A tout juste 70 ans, l’artiste pop californien Mel Ramos, connu pour ses tableaux de pin-up aguichantes et ses pastiches de maîtres anciens, manie encore le pinceau. Avant une série de rétrospectives qui lui seront consacrées en 2006, nous l’avons rencontré, en exclusivité, dans son atelier espagnol. Portrait.

Pour accéder à Horta de San Joan, petit village d’à peine 1 300 âmes situé à 160 km au sud de Barcelone, il vaut mieux posséder un GPS. De lacets nauséeux en lignes droites infinies, on peine à trouver ce petit paradis catalan où Mel Ramos a acheté une modeste maison au début des années 1970. Et où il vient capter la lumière aveuglante et la douceur de vivre quelques mois par an, avec sa femme Leta, loin de leur demeure californienne de Oakland. On le prévient, désolé :  » La route… Vous savez…  » Nous serons en retard . Excuses inutiles : quand il traverse l’Atlantique, Mel Ramos, oublie sa montre. Une demi-heure plus tard, c’est un grand monsieur, cheveux gris bouclés, le dos légèrement courbé par les années, qui nous accueille. Pas de chichis : tee-shirt rouge ligné blanc, short de circonstance, sandales en cuir et cigare au bec. L’£il rieur, il explique, loquace :  » Picasso a vécu ici. A deux reprises. On dit même que c’est ici qu’il a peint sa première £uvre cubiste, en 1909. C’est pour cette raison que je me suis retrouvé à cet endroit précis, il y a plus de trente ans. J’étais venu visiter le village avec quelques amis artistes, dont le nouveau réaliste suisse Daniel Spoerri. Je n’avais pas du tout l’intention d’acheter. Mais quand j’ai vu le paysage, je suis tombé amoureux. C’est un des plus beaux endroits du monde. Les vues sont superbes. Et puis, c’est le pays de Zurbaran, de Goya, de Velàzquez…  »

L’homme cite les grands, mais vit ici comme un quidam. Rien de mégalo. La maison en pierre, sise au milieu d’une rue ombragée, ne paie pas de mine. A l’étage, il a installé un atelier. Minuscule. Trois chevalets, une poignée de pinceaux, quelques pots de couleurs, un ordinateur. L’essentiel, en somme. On est loin des fastes de la Factory d’Andy Warhol. Pourtant, si Mel Ramos ne bénéficie pas de la notoriété du peintre des Marylin, il reste un des illustres survivants du mouvement Pop qui fit fureur aux Etats-Unis et en Europe dans les années 1960 et 1970.

Né en 1935, à Sacramento, en Californie, dans une famille d’immigrés portugais, le jeune Mel décide de devenir peintre dès l’adolescence.  » Grâce à Salvador Dali, se souvient-il. J’ai vu des reproductions de ses £uvres dans un bouquin. J’avais 14 ans. Certes, quand on a 14 ans, on est tous impressionné par Dali. Mais j’ai persévéré.  » Quand il accompagne son père à la chasse, il capture des insectes et tente de les reproduire fidèlement au crayon.  » Depuis lors, je n’ai jamais arrêté de dessiner.  » A 23 ans, il est fraîchement diplômé en graphisme à la California State University de Sacramento. Alors que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la mode est à l’expressionnisme abstrait de type Jackson Pollock ou à la figuration américaine traditionnelle héritée du XIXe siècle, il se lance avec audace dans des reproductions à l’huile de superhéros de BD. Batman, Superman, Captain Midnight  » méritent  » sa toile et sa pâte onctueuse. Sans le savoir, Ramos signe son entrée dans le mouvement pop. Au même moment, en effet, à New York, Warhol et Lichtenstein, entre autres, rompent avec tout ce qui s’est fait en matière d’art jusque-là. Utilisant comme sujets, les grands thèmes de la mythologie populaire américaine pétrie de pubs, de célébrités et personnages de comics, ils déculpabilisent l’artiste et font entrer dans le monde élitiste de la grande peinture ces thèmes laissés jusque-là aux mass media. Dans sa Californie natale, Ramos ne fait pas autre chose. Rapidement, les échanges entre la côte Est et Ouest s’amplifient. La scène pop californienne plus exotique, moins grave que la scène new-yorkaise commence à être reconnue par la critique et, a fortiori, par les marchands : en 1964, Ramos se retrouve pour la première fois aux cimaises de la galerie new-yorkaise Bianchini. Le succès personnel est à la clé  » C’est à cette époque que j’ai commencé à peindre des filles plutôt dénudées juxtaposées à des produits de grande consommation, se rappelle-t-il, avant de poursuivre, fier. Toute ma réputation s’est construite là-dessus. A 28 ans, je faisais la Une de  » Time Magazine « . En fait, avant d’avoir cette idée de dualité  » marque/femme « , j’étais dans une impasse. J’avais visité les grands musées américains et j’étais bloqué par le poids des chefs-d’£uvre. Je ne savais pas où me positionner. Puis j’ai regardé autour de moi, au cinéma, à la télévision, sur les panneaux d’affichage et je me suis rendu compte que tout cela était plein de  » cellules  » sexuelles.  » Une réflexion sur la femme-produit, en totale adéquation avec l’ironie constituante du pop art. L’idée paie. Entre les cours de peinture qu’il dispense à l’Université et les expos qui se succèdent aux Etats-Unis et à l’étranger (en 1971, à la galerie Richard Fonck à Gand), Ramos vit son heure de gloire. Avec ses médailles. Et ses revers :  » J’ai été attaqué par les organisations féministes. On me reprochait de réduire la femme à un simple objet. C’était pourtant comme ça dans la pub. Je n’ai rien inventé. ça n’a d’ailleurs pas beaucoup changé. En Amérique, on le remarque encore dans l’industrie automobile qui s’adresse aux jeunes. On voit toujours un type qui conduit avec une supergonzesse à ses côtés.  »

En utilisant le nu comme thème principal, Mel Ramos s’inscrit consciemment dans l’histoire de la peinture figurative occidentale. De Pompéi aux peintres du XIXe en passant par les baroques. Sa passion pour l’histoire de l’art fait partie intégrante de son £uvre.  » Les musées sont les cathédrales de ma vie. J’ai eu une éducation catholique mais je ne vais pas à l’église. Je vais donc au musée « , sourit-il. En découle une série de toiles pastichant les maîtres du passé.  » L’Olympia  » de Manet, version playmates,  » Nu descendant l’escalier « , clin d’£il à Duchamp, mais aussi  » I still have a thrill when I see Bill Nb 1 « , en hommage à  » Woman Nb 1  » de l’expressionniste abstrait Willem de Kooning. Entre humilité et  » mises à jour « , un brin blasphématoires, Ramos pose question : ces chefs-d’£uvre, à force d’être reproduits en affiches et dans les livres ne sont-ils pas devenus eux aussi des marchandises, et, partant, des sujets pour peintres pop ?  » Il n’y a pas de message psychosociologique « , répond Ramos, évasif. C’est simplement une combinaison d’images organisées de manière harmonieuse, belle et élégante. Et qui vous font sourire, surtout.  »

Aujourd’hui, le peintre continue de travailler sur les mêmes thèmes. Seule nouveauté : il recourt au logiciel photoshop pour composer ses tableaux avant de les traduire en peinture. Conscient de ses limites :  » J’apprends encore des petites choses techniques. Mais du côté conceptuel, je pense que j’ai eu de meilleurs jours quand j’étais jeune. Le tout est que je m’amuse encore.  » Et c’est le cas ! La nostalgie le gagne, parfois. Mais il compense par des petits plaisirs.  » Je me lève le matin et je ne pense qu’à la bonne pêche que je vais manger avec le petit pain espagnol de chez le boulanger. Je me réjouis de la journée que je vais passer. Je monte travailler dans mon studio et le soir j’emmène ma femme au restaurant. C’est simple mais j’adore ça.  »

Loin d’être dépassé, Ramos s’inscrit malgré lui dans le retour à la peinture figurative. Mieux : il épouse à merveille la vague rétro qui colore la mode et le design. Encore mieux : qui peut encore se targuer de faire du pop vintage en 2005 ?  » On peut dire que le pop est revenu à la mode « , c’est vrai analyse-t-il.  » On voit des motifs qui s’y apparentent sur les tee-shirts, etc. C’est une tradition historique, maintenant. C’est devenu très familier. Tout le monde connaît. Mais, il faut être prudent avec les tendances. Quand j’étais à l’école, toutes les personnes qui enseignaient faisaient de l’expressionnisme abstrait. Il y avait très peu de peintres figuratifs. Maintenant le figuratif revient à la mode. C’est un cycle. L’art se meut toujours en cercle. La plupart des jeunes artistes recherchent le style. Si j’ai un conseil à leur donner ce serait ceci : le style doit venir de toi. Il ne faut pas aller le chercher ailleurs. Fonctionner à la mode. Il faut être patient. Le style vient un jour, et quand il est là, il reste.  »

Baudouin Candavène

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