Les ados raffolent des séries qui leur sont dédiées et s’identifient aux personnages, au point de vouloir dégoter le téléphone aperçu dans Gossip Girl ou le tee-shirt de Sheldon dans The Big Bang Theory. Des programmes truffés de marques et ça n’a rien d’innocent…

Charlie est fan de séries, elle les dévore. Dès qu’elle a fini ses devoirs, cette jeune fille de 15 ans se connecte sur des sites de streaming et regarde un épisode de Gossip Girl ou de Pretty Little Liars, ses deux titres préférés.  » Avec mes copines, on en parle tout le temps, confie-t-elle. On s’envoie même des Snapchats de nos moments préférés « , faisant allusion à une application pour smartphones qui permet de partager photos et vidéos. Il y a quelques mois, avant un voyage à Paris, l’adolescente et sa soeur repèrent les macarons Ladurée dans une scène d’une de ces fictions. Arrivées dans la capitale française, les frangines foncent dans la boutique –  » On voulait absolument les goûter !  »

Vampire Diaries, Les Frères Scott… Toutes ces productions que les 12-18 ans adorent sont en réalité bourrées de marques et d’objets de consommation. Gossip Girl, qui met en scène la jeunesse dorée de l’Upper East Side à Manhattan, est championne en la matière. L’accent est mis sur les griffes de luxe, avec des tenues toutes plus glamour les unes que les autres. Et on n’hésite pas à afficher, voire nommer ces labels.  » Ça fait un peu rêver « , livre Charlie qui se rappelle d’une journée shopping dans un outlet center avec sa famille. Comme son héroïne fétiche, elle avait voulu acheter du Prada.  » Mais finalement, je ne mets jamais ces vêtements… « , avoue-t-elle. Dans Gossip Girl, les personnages sont également constamment accrochés à leur portable, s’informant sur un blog qui dévoile les secrets de la communauté. Certains modèles de smartphones sont depuis devenus cultes, les fans se les arrachant dans les magasins.

PLUS DE RÉALISME

Dans la vraie vie, les marques sont partout. En placer un maximum dans un programme permet donc de le rendre plus crédible. Mais bien sûr il s’agit avant tout de com’ : le plus souvent, l’intégration d’un objet, d’un vêtement ou d’une voiture se fait contre paiement de l’annonceur. Ici, contrairement à la pub classique, le message ne passe pas entre les séquences mais bien à l’intérieur de celles-ci.  » Depuis les années 80, les annonces classiques sont de plus en plus perçues comme étant non objectives, explique Jean-Claude Jouret, président de la section publicité et communication commerciale à l’IHECS. Les jeunes ne sont pas dupes, ils sont moins naïfs que leurs parents.  » Les as du marketing cherchent donc à faire vendre autrement, notamment via le placement de produit.  » Cette technique est moins intrusive. Il y a une mise en situation de l’objet, le pouvoir de persuasion est donc plus grand « , poursuit le spécialiste. Et puis, contrairement aux spots, que l’on peut zapper, ici, on ne peut rien éviter.

Pour Claude Pecheux, professeure à l’UCL spécialisée dans l’étude du consommateur-enfant, le danger de cet outil de vente réside dans son caractère insidieux.  » Face aux vraies réclames, on a des levées de boucliers allant parfois jusqu’à la volonté de les interdire. Mais avec le placement de produit, c’est pire : l’intention persuasive est cachée.  » Car, si la compréhension des mécanismes de promotion via les canaux usuels se fait vers 8 ou 9 ans, le  » product placement  » reste méconnu même de nombreux adultes ! Et ce, bien que le procédé ne soit pas nouveau. On estime que le blockbuster de Spielberg, E.T. L’Extra-terrestre, sorti en 1982, a propulsé cette tactique publicitaire qui s’est ensuite généralisée à Hollywood. On se souvient du jeune Elliot semant des Reese’s Pieces dont raffolait son invité de l’espace. Trois mois plus tard, les ventes de ces bonbons au beurre de cacahuètes avaient fait un bond de 65 % !

Diffusée de 1998 à 2004, Sex and the City a de son côté rendu célèbres des griffes comme Manolo Blahnik ou Jimmy Choo. Les marques de mode ont ici un vrai rôle dans le scénario, même si la chaîne américaine HBO a toujours nié avoir reçu de l’argent pour les insérer dans ses épisodes. Un ordinateur Apple, un sac Fendi ou une robe Vivienne Westwood… Simplement des manières de rendre leur production plus réaliste, selon la chaîne. Mais, à l’époque déjà, les téléspectateurs se précipitaient dans les boutiques pour dégoter les pièces stars apparues à l’écran.

JEU D’INFLUENCE

Ce qui est nouveau, par contre, c’est l’application de ce phénomène aux jeunes ados. Vus comme les consommateurs de demain, ils constituent la cible favorite des annonceurs.  » Leurs pouvoirs de décision et d’achat se sont considérablement accrus ces dernières années « , explique Jean-Claude Jouret. Sept jeunes de 11 à 17 ans sur dix reçoivent de l’argent de poche, selon une étude du CRIOC réalisée en 2011. Ils perçoivent en moyenne quelque 39 euros par mois, un montant en hausse.  » Ils pèsent aussi un poids certain dans les décisions d’achats de leurs parents, auprès desquels ils sont prescripteurs. Et puis, l’adolescence est une période de recherche identitaire, où on a besoin d’inspiration.  » Ils sont donc plus facilement influençables que leurs aînés.  » Ils sont à la recherche de modèles, poursuit l’expert de l’IHECS. Il y a un phénomène de projection et d’identification qui s’opère.  »

C’est pourquoi les scénarios des séries qui leur sont dédiées tournent autour des deux principales préoccupations de cette tranche d’âge : l’amitié et l’amour. Une téléspectatrice se comparera aux héroïnes et ressentira des sentiments amoureux pour un personnage masculin, par exemple.  » Pour ressembler à ses modèles ou acquérir une partie de leur célébrité, on aura alors envie d’acheter les habits qu’ils portent ou les accessoires qu’ils possèdent « , conclut Jean-Claude Jouret. D’autant que, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, on peut facilement retrouver les détails des tenues de Blair Waldorf de Gossip Girl, le survêtement porté par le beau Damon dans Vampire Diaries ou le dernier tee-shirt geek de Sheldon dans The Big Bang Theory en quelques clics. Plus le spectateur sera passionné, plus il sera sensible au phénomène.  » Consommés quotidiennement et bien souvent à la maison, ces programmes courts, plus que les films, permettent de développer une vraie familiarité avec les téléspectateurs « , explique Mathieu de Wasseige, prof à l’IHECS et auteur d’une thèse de doctorat sur l’idéologie sous-jacente des séries américaines contemporaines. Ces dernières font partie de la vie de ces apprentis adultes et deviennent des sujets de conversation à part entière. Les jeunes ados prolongent l’expérience en surfant sur des sites ou des forums et téléchargent la musique des épisodes, puis partagent leurs émotions sur les réseaux sociaux. Autre élément, le récit colle au réel et au temps présent, ce qui augmente la vraisemblance et par conséquent l’identification.  » Les épisodes sont diffusés sur plusieurs années ; cinq ans, parfois dix, ce qui permet d’installer un lien d’empathie bien plus profond qu’un film de deux heures « , ajoute le professeur.

LE RÈGNE DU  » LIKE  »

Ce qui ne veut pas dire que les ados ne remarquent pas la présence des marques.  » Dans Gossip Girl, on cite des vêtements, des bijoux et des aliments, mais je ne sais pas s’il y a une sorte de collaboration entre ceux qui font la série et ceux qui vendent ces produits, note d’emblée Charlie. Lorsqu’on repère une idée qui a l’air chouette, comme un look de soirée par exemple, on essaie de le copier entre copines.  » Mais la miss peut se montrer également critique :  » En voyant tout ça à l’écran, on s’attend à quelque chose de super, mais ce n’est pas toujours le cas.  » Les macarons Ladurée, elle ne les a pas trouvés si terribles que ça. C’est ce que Jean-Claude Jouret appelle le phénomène du  » Like « .  » Les ados sont habitués à dire « J’aime » ou « J’aime pas » avant de se renseigner. Les sociétés le savent et jouent sur l’affectif pour entamer une relation avec eux.  »

Le placement de produit s’est d’ailleurs incroyablement professionnalisé ces dernières années. Aux Etats-Unis et en France, des agences spécialisées dans ce procédé se multiplient. En 2010, pour la première fois, une série française a suivi la tendance, après que le principe a été autorisé par l’Union européenne. Cela concernait un test de grossesse dans Plus belle la vie. Depuis, chaque épisode impose son lot d’objets commerciaux.  » Il faut rester vigilants, il existe beaucoup de formes de communication dont on ne se méfie pas assez « , signale Claude Pecheux. Au lieu de chercher à les interdire, elle préconise l’éducation et la sensibilisation. Car dans quelques années, lorsque le placement publicitaire sera complètement banalisé, les annonceurs devront trouver d’autres subterfuges…

PAR MARIE DOSQUET

 » Les jeunes ne sont pas dupes, ils sont moins naïfs que leurs parents.  »

 » L’adolescence est une période de recherche identitaire où on a besoin d’inspiration.  »

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