La fiesta, pas la siesta ! Infatigable Séville, animée par les meilleures vibrations du moment. Mais dans cette ville émotions, être branché est un art de vivre en parfaite connivence avec le passé.

Les 40 °C qu’affiche le thermomètre ne sont pas suffisants pour refléter la température de Séville. La quatrième ville d’Espagne après Madrid, Barcelone et Valence a la fièvre hype. On a beau être à l’extrême sud du pays, ici, la fiesta a désormais remplacé la siesta. Preuve de cet engouement, les demandes des étudiants pour un programme Erasmus à Séville ne cessent de croître. De Grande-Bretagne, d’Italie ou d’Allemagne, tous veulent y venir. Driss, un jeune Français résidant à Rabat, n’a pas hésité une seconde.  » C’est en entendant ce que mes potes racontaient que j’ai foncé, s’enthousiasme-t-il. D’après eux, Séville était synonyme de fête perpétuelle. Je n’ai pas été déçu. Le rythme de vie est incroyable. On mange à 23 heures et les boutiques sont ouvertes jusqu’à 22 heures. Les Sévillans sortent tous les soirs jusqu’à des heures pas possibles, surtout du mercredi au dimanche. Le lendemain, ils reprennent le travail frais et dispos. Le tout sans faire de sieste, une habitude aujourd’hui tombée en désuétude. Depuis trois ans que je suis ici, je n’ai toujours pas compris comment on peut vivre avec une telle intensité.  »

Il suffit de se balader le soir dans les rues de Séville pour constater que Driss n’exagère pas. Pour peu, en comparaison, Barcelone semblerait léthargique. Tout le monde est dehors, peu importe l’âge. Rares sont les maisons d’où s’échappe la lumière bleue de la télévision. Les filles sont belles et les garçons le leur rendent bien. La séduction squatte tous les coins de rue. On sent ici un vrai souci de l’apparence.

Points chauds

Plusieurs quartiers concentrent cette chaleur qui consume les corps. L’Alameda de Hercules, une vaste place aux allures de forum romain, est sans conteste l’endroit le plus chaud de la ville. Elle est le point de départ obligé quand on décide d’  » ir de tapeo « , soit faire les bars à tapas. Ce rituel typiquement andalou consiste à déambuler en bande d’un établissement à l’autre, histoire de mieux apprécier chaque spécialité. L’un des lieux de rendez-vous les plus branchés est l’Habanilla Café, un bar typique décoré de céramiques, de parpaings et d’un grand nombre de cafetières de toutes sortes. Il ne désemplit pas et les clients discutent le coup tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

D’autres musts se partagent l’Alameda où la municipalité a installé – pour être en phase avec l’esprit des lieux – l’un des commissariats les plus avant-gardistes d’Europe en matière d’architecture. Pour prendre la mesure de l’ambiance électrique de la place, il faut également se rendre au Bulevar. Ce bar arty bardé de tôle ondulée et pourvu d’un mobilier minimaliste évoquant un entrepôt, s’affiche comme le refuge pointu du moment. On citera également le Diablito à la scénographie bien balancée. Sous-titré  » food and music « , il propose une junk food qui hésite entre pizzas et mets tex-mex.

Dans un genre plus alternatif, la tribu des altermondialistes (qui refusent les diktats de la société de consommation) se retrouve sur la Plaza San Juan de la Palma. Assis au milieu de la place, une cannette de bière à la main, ils refont gentiment le monde. A Séville, il existe une vraie  » conscience  » qui se porte sur des sujets comme le logement pour tous et la liberté. Certains ont fait de cet état d’esprit un mode de vie à l’image de Pepe qui vit paisiblement dans sa Fienda, une épicerie décalée. Dans sa petite librairie portant le nom de La Fuga, Luis, quant à lui, se veut radical. Il commente le mouvement parmi sa sélection de livres de philo et de bandes dessinées américaines façon Crumb ou Daniel Clowes.  » Certains d’entre nous trouvent que Séville s’embourgeoise, s’emporte-t-il. Il faut sans cesse la réveiller. C’est la raison pour laquelle je prépare un tract pour une rave improvisée sur l’Alameda de Hercules. Si l’on ne résiste pas, ce quartier risque de devenir l’une de ces zones où ne pourront habiter que des gens avec des gros budgets.  »

Pas de plaisir sans drame

Séville est d’autant plus complexe et attachante qu’elle n’a pas fait table rase de son glorieux passé : au xviie siècle, elle était la seconde ville d’Europe après Paris. Une richesse qui lui est venue tout droit du Nouveau Monde vers lequel elle a longtemps été une voie d’accès royale. La ville sur le Guadalquivir est donc une cité fière, marquée par son histoire et sa tradition… Une tradition qui n’est pas faite de légèreté et d’insouciance. La vie et la mort y sont inextricablement liées. Elles se rappellent au voyageur à tout moment. Les différentes représentations du Christ et de la Vierge sous forme d’icônes implorantes et de  » mater dolorosa  » en sont un bon exemple. Au détour d’une rue, dans un bar ou au-dessus d’un arrêt de bus, surgissent des représentations de souffrance qui rappellent cette âme du sud pour laquelle  » il n’est pas de plaisir sans drame « .

Et le flamenco ? Il suffit d’écumer les bars traditionnels pour le voir surgir là où ne l’attend pas. A ne pas rater : le Quitapesares, antre de Pepe Perejil, un géant au coffre impressionnant. L’homme n’est pas commode, il faut l’apprivoiser. Pour cela, il n’y a pas d’autres moyens que de montrer sa bonne volonté. Il faut alors ne plus rien décider, c’est lui qui passe commande : une bière fraîche servie dans un petit verre et quelques  » caracoles  » – des escargots – servis à la louche. Après, il faut les enchaîner, jusqu’à 6 au minimum, pour prouver sa bonne foi. Pepe se détend et devant la cour des clients habituels, il s’éclaircit la voix avant de renouer avec le chanteur de flamenco qu’il était et que plusieurs CD ont immortalisé.

La vibration de son chant prend aux tripes. On réalise l’aspect sacré de cet art vocal qui se transmet de génération en génération mais dont l’origine se perd quelque part entre le monde arabe, le monde juif et les peines des gens du voyage. L’ambiance monte et Pepe Perejil émeut désormais l’assemblée entière. Il a choisi de chanter  » jondo « , c’est-à-dire  » profond « , mais le flamenco peut aussi être  » chico « , léger. Sans doute est-ce son humeur du moment. On est soufflé par la maîtrise qu’il témoigne de ce que les Espagnols appellent  » el cante « , un mot désignant  » le chant  » spécifiquement appliqué au flamenco.  » Le cante est bien plus qu’un chant, souffle Perejil, c’est une façon de regarder, de défier la vie et la mort.  » On n’a aucune peine à le croire.

Il est possible de glaner la tradition dans d’autres endroits encore. Vers 18 heures, chaque jour, les hommes s’arrêtent dans les bodegas pour prendre un verre. La Vizcaino est mythique. Ouverte sur la rue, on y savoure la vraie Andalousie. Dans la chaleur étouffante de la fin de journée, les Cruzcampo – du nom de la marque de bière omniprésente – s’enchaînent rapidement. On grignote quelques olives ou des  » picos « , des biscuits à apéritif. Les plus gourmands dégustent des petits en-cas achetés à l’épicerie du coin : jambon ibérique ou fromage à pâte dure. Le serveur, lui, note à l’aide d’une craie l’addition à même le comptoir de bois. A terre, la sciure de bois se mêle aux coquilles d’arachides. Une atmosphère qui plonge au c£ur d’une convivialité franche et populaire.

Le matin, le repaire des gourmands est la Confiteria La Campana, une pâtisserie centenaire où les Sévillans ont leurs habitudes. On y déjeune de café et de pain grillé arrosé d’huile d’olive. L’endroit est idéal pour goûter une autre spécialité de la ville : les fruits confits, particulièrement ceux aux écorces d’oranges amères. Un goût fort et particulier qui se prolongera comme la saveur d’une ville atypique où l’on chemine sans transition entre branchitude et authenticité.

Carnet de voyage en page 74.

Voir également notre jeu-concours en page 81.

Michel Verlinden

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