Le trésor mirifique du corsaire La Buse, des histoires de fantômes, des enseignes à la mémoire de la flibuste : au cour de l’océan Indien, les navires à tête de mort croisent toujours dans les eaux de l’imaginaire.

S ur la superbe plage de Beau Vallon, véliplanchistes, parachutistes, plongeurs et baigneurs s’en donnent à c£ur joie. Ciel azur, mer translucide, sable blanc et végétation luxuriante… L’endroit est l’un des lieux de prédilection des touristes étrangers venus s’évader û à grands frais û sur Mahé, l’île principale des Seychelles, cet archipel préservé perdu au c£ur de l’océan Indien, entre l’équateur et les côtes nord de Madagascar.

Passé l’immense baie longue de 3 kilomètres, on parvient par une route cabossée au petit village de Bel-Ombre, le royaume des pêcheurs. Puis à celui de Danzilles, d’où l’on atteint, à pied, la plage de l’anse Major. Ici, pas de visiteurs se baladant à l’ombre ondoyante des cocotiers, ni de baigneurs, mais le panorama chaotique d’une côte  » en travaux « . Des plages et des falaises partent de longs tunnels creusés profondément dans la terre. Près du rivage, de nombreux murs ont été aménagés pour retenir la marée. On aperçoit çà et là des ouvriers piochant le sable. Peut-être la construction d’un hôtel ou d’un port de plaisance ? Rien de tel ! Ici, les hommes n’ont qu’une obsession : dénicher le trésor de la Buse, le célèbre pirate français qui écuma les eaux seychelloises au début du xviiie siècle, à bord de son navire le  » Victorieux « .

Voilà plus de cinquante ans que cet immense chantier, entrepris par le grenadier britannique Reginald Cruise-Wilkins subsiste, tel un ovni, entre cocotiers et plages désertes. Une rupture dans l’espace-temps. Un contraste total avec le paysage paradisiaque, presque utopique, qui l’entoure. De l’ancien butin dérobé par le forban français au vice-roi des Indes û 5 000 pièces d’or accompagnées de la croix de Goa, sertie de pierres précieuses û n’ont été retrouvés qu’un fusil à pierre, une lame d’épée, des figurines et quelques monnaies… Pâle consolation au regard des 30 000 livres sterling investies pour la cause durant plusieurs décennies ! Bredouille mais fair-play, John Cruise-Wilkins a repris le flambeau. A la poursuite du rêve inachevé de son père.

Des histoires comme celle-là, les Seychelles en fourmillent. Souvenir des temps où les navires à tête de mort hantaient ses eaux turquoise, la piraterie reste ancrée au c£ur de la culture locale. A tel point que la chasse au trésor est devenue un véritable sport national. Un jour, une famille déterre dans son jardin des pichets à vin remplis de pièces d’or. Un autre, on découvre sur une plage des fers, des boulets et des restes de campement. Sur tout l’archipel, les légendes bruissent des noms de célèbres pirates : Hodoul, Boudin, Avery, Kid, Halsay ou Taylor. Les enseignes de bars sont aussi éloquentes (The Pirate Arms), tout comme celles des restaurants (le Corsaire). Sur les cartes topographiques figure l’anse Forbans, celle où se ravitaillaient les flibustiers, et dans l’annuaire de Victoria, capitale de Mahé, on ne compte pas moins de quatre pages de Hodoul.

Le flibustier Jean-François Hodoul, après avoir dépouillé quantité de navires sur la mer Rouge et le golfe Persique pour le compte des Anglais, a laissé un autre héritage : le château Mamelles, construit en 1804 au sud de Victoria. L’histoire raconte que le pirate céda aux charmes d’une sirène seychelloise et vint couler des jours heureux à Mahé. Enfin presque… Fidèle à ses vieilles habitudes, le pirate aménagea, dans la cave de la belle demeure, un tunnel rejoignant la baie Sainte-Anne, où se cachaient sa flotille et son précieux butin. On peut encore aujourd’hui se recueillir sur sa tombe, au cimetière de Bel Air, le plus ancien de l’archipel. Sur son caveau, protégé de lataniers et frappé d’une fine goélette, se déchiffre l’épitaphe  » Il fut juste « .

Mais l’aventure ne s’arrête pas là. Pour se plonger dans le monde de la piraterie, direction Moyenne, petite île située dans le Parc marin national de Sainte-Anne, gigantesque aquarium naturel à quelques encablures de Mahé. Si les histoires de flibustiers et de fantômes sont ici très populaires, Brendon Grimshaw, son propriétaire, l’est tout autant. Excentrique à souhait, cet ancien journaliste britannique de 78 ans vit une véritable romance avec son île depuis près de trente ans. L’histoire commence au début des années 1970, lorsqu’il acquiert, pour une poignée de dollars, ce petit bijou terrien d’à peine 5 kilomètres carrés. A Moyenne, pas âme qui vive. Seuls quelques chiens, une centaine de tortues géantes et d’innombrables manguiers. Bref, l’île déserte par excellence. Pourtant, le plus anglais des Seychellois n’est pas au bout de ses surprises… A peine installé, d’étranges phénomènes se produisent : grincements, bruits suspects, coups aux carreaux… Qui l’eût cru ? L’île est hantée !  » On m’a alors parlé de Madame Best, cette ancienne résidente qui fut enterrée û contre sa volonté û à Mahé plutôt qu’à Moyenne, se souvient-il. J’ai alors décidé de construire, en sa mémoire, une petite chapelle. Dès lors, elle ne s’est plus jamais manifestée…  »

Récit authentique ou simple élucubration ? Peu importe ! Brendon Grimshaw aime à raconter ces fables insulaires aux nombreux visiteurs qui viennent explorer l’endroit tout au long de l’année. Porté par tant d’enthousiasme, ce Robinson des temps modernes a même balisé, entre roches granitiques et végétation abondante, un petit sentier sur les traces des nombreux pirates qui logèrent ici autrefois. On y découvre, successivement, des sépultures et des grottes mystérieuses û où ils dissimulaient sans doute une partie de leurs prises. Ce fameux butin, Grimshaw a bien essayé de le trouver, excavant et piochant au petit bonheur la chance. Un jour, près du cimetière de Forbans, sa pelle heurte un corps métallique ressemblant à s’y méprendre au couvercle d’un vieux coffre. Il touche enfin au but lorsqu’une noix de coco tombe à quelques centimètres de lui, manquant de lui briser le crâne. Aussitôt, l’homme abandonne ses recherches :  » Après toutes ces années d’investigation, j’ai compris que le véritable trésor, c’était mon île !  »

A chaque atoll sa légende. Située à 56 kilomètres de Mahé, Frégate, un écrin posé sur l’eau, recèle, elle aussi, bien des secrets… A faire pâlir les plus intrépides. Pour preuve, cette légende û répandue au xixe siècle par deux pêcheurs afin d’éloigner les concurrents potentiels û selon laquelle une jeune femme, jadis décapitée par de cruels flibustiers, déambulerait la nuit tombée, sa tête sous le bras… Digne d’un vrai film d’épouvante, l’histoire effraie encore bien des Seychellois. Il est vrai que les ruines d’habitations pirates que l’on trouve près d’anse Parc, dans le sud-est de l’île, ainsi que le vieux puits et les étranges signes cabalistiques visibles sur les rochers alentour ne sont guère rassurants. Quantité de témoignages donc, mais, au final, que de maigres butins ! La quête serait-elle définitivement vaine ? Pour s’en assurer, il ne reste plus qu’à relever le défi et à suivre attentivement les traces d’investigateurs chanceux ou, pourquoi pas ? d’insulaires argentés. Aux Seychelles, ne dit-on pas de quelqu’un qui a fait fortune qu’il a  » trouvé un trésor dans son jardin  » ?

Marion Tours

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