Une course effrénée à l’argent bouscule ShanghaI. La mégapole ne s’encombre ni de préjugés ni de tradition

et se plonge avec ivresse dans les délices d’un capitalisme qui révolutionne l’empire du Milieu. Pour mieux cultiver encore ses extrêmes.

Carnet de voyage en page 80.

 » A u-dessus de la mer  » : telle est la signification des deux idéogrammes qui désignent Shanghai. D’un côté, la ville a des nostalgies d’Europe, de l’autre une vitalité économique qui fascine.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, elle fut un petit port de pêche et une cité cotonnière florissante.  » Il est des cités où l’on fait des canons, d’autres des étoffes, d’autres des jambons. A Shanghai, on fait de l’argent. C’est la matière première et dernière « , écrivait à son propos, en 1922, dans le journal  » Excelsior « , Albert Londres. Plus que jamais, Shanghai a le commerce dans l’âme. Les Occidentaux assistent, fascinés, à l’essor économique et au chamboulement urbanistique de la plus grande ville de Chine. Les avenues sont élargies, les vieilles habitations collectives rasées pour reconstruire en hauteur. Il faut pouvoir loger pas moins de vingt millions d’habitants. Objectif : devenir le phare financier et commercial du pays et, pourquoi pas,  » damer le pion  » à Hong Kong.

La courbe d’un fleuve, le Huang Pu, sépare la cité en deux. Côté ouest, Puxi avec le célèbre quartier du Bund et ses façades années 1930, ses palais de pierres grises au déguisement néo-corinthien, sièges autrefois des sociétés de commerce étrangères, des banques et des clubs huppés ; sans oublier véritable institution Art déco avec ses luminaires signés Lalique, l’Hôtel de la Paix, l’ancienne  » Sassoon Mansion  » du nom d’une des grandes familles de commerçants étrangers de la ville. A 6 h 30, dans le gris matinal et les nuées de brouillard, des silhouettes trottinent sur le Bund nouvellement bétonné. Les plus de 50 ans viennent au bord du fleuve Bleu pratiquer le tai-chi, danser le tango ou la valse au son d’une radio posée sur l’asphalte.

De l’autre côté du fleuve Bleu, à l’est, la ville du IIIe millénaire avec ses nouveaux riches. On peut y accéder par le tunnel touristique du Bund. L’entrée se fait par le passage piéton souterrain face à l’Hôtel de la Paix pour déboucher à Lujiazui, à 100 m de la tour de la télévision en forme de bilboquet. Quinze minutes de son et lumière psychédélique en métro pour 35 yuans (3,50 euros) aller-retour. Ancienne zone maraîchère, Pudong s’est transformée, en l’espace de dix ans, en ville ultramoderne à la verticalité époustouflante pour devenir très rapidement le nouveau centre des affaires en Chine. Pas moins de 6 000 sociétés sont implantées dans ses flamboyants gratte-ciel de verre et d’acier. Avec pour star, la tour Jinmao (420 m), la plus élevée de Chine qui abrite l’hôtel Hyatt installé dans les nuages (du 53e au 87e étage). Dans le hall, des photos de l’International Finance Center à Hong Kong côtoient les images de la tour Eiffel et les tours du World Trade Center à New York qui n’ont pas été retirées. Le message est clair : la Chine veut rivaliser avec les grandes puissances. A la vitesse ahurissante de sept mètres par seconde, les ascenseurs conduisent au 88e étage (320 m) où l’on découvre un panorama stupéfiant d’immeubles tout en hauteur, de grues, de voies rapides, de ponts suspendus et… de voitures.

Pour conquérir les 70 millions de passagers qui transiteront bientôt par Shanghai, les autorités locales n’ont pas lésiné. Elles ont confié à Paul Andreu, l’architecte des aéroports de Paris, la réalisation du nouvel aérogare de Pudong. Le métro, mis en chantier en 1995, compte déjà 65 km de lignes pour atteindre 250 km en 2005. Voitures Siemens certes, mais un métro construit par les Chinois. L’automobile n’est pas pour autant oubliée. Le Dalian Road Tunnel à huit voies est devenu le huitième point de franchissement du fleuve. Six autres tunnels sont prévus pour permettre aux 1,5 million de véhicules que compte déjà Shanghai de circuler, et ce malgré la mise aux enchères des plaques d’immatriculation (3 000 par mois) pour tenter de diminuer le nombre de voitures personnelles. A Shanghai, en effet, la plaque coûte 40 000 yuans (4 010 euros). Une paille pour les nouveaux riches. Un rêve inaccessible pour de nombreux ouvriers qui roulent à bicyclette (la ville en compte neuf millions dont beaucoup sont électriques).

Miraculeusement la vieille ville, un îlot dans la jungle des buildings, a été préservée. Les lampions rouges, les maisons restaurées, le lac artificiel laissent perplexe. Mais la maison de thé sur pilotis Huxing jouit d’une réputation à la mesure de son éclectisme architectural. On y accède par un petit pont tarabiscoté en zigzag pour déjouer les mauvais esprits. On sirote ici son thé avant d’aller marcher dans le jardin Yu (jardin de la joie du XVIe siècle), pas moins de deux hectares de jardins paysagers, aménagés sur l’ordre d’un mandarin.

Mais Shanghai, c’est aussi la gourmandise. Escale obligée donc au Yé-Shanghai, un restaurant branché fier de ses racines chinoises et qui propose une potée de 18 légumes : navets, potirons, pousses de bambou, feuilles de lotus, potée de tarot et poisson mandarin farci aux haricots noirs. Ne dit-on pas ici que  » bien manger c’est atteindre le ciel  » ? La promenade digestive indispensable conduit au temple du Bouddha de Jade au nord de la ville, un sanctuaire reconstruit en 1918 et qui abrite deux bouddhas, un couché et un assis rapportés de Birmanie à la fin du XIXe siècle par un moine chinois. Dans la cour, des bâtons d’encens brûlent dans des vasques de bronze remplies de sable.

Pour finir joyeusement le parcours, les puces, rue Dongtai, s’imposent. On peut y acheter des calligraphies, des antiquités (souvent fausses), des porcelaines, des affiches des années 1940 et les souvenirs de la Révolution culturelle : bustes de Mao (les blancs sont authentiques), pins Mao et l’incontournable petit livre rouge. Discuter le prix est une règle de bienséance. On parle fort, calculette en main, dans une atmosphère bon enfant. N’hésitez pas à diviser le prix par deux ou par trois… et armez vous de patience ! Décidément, à Shanghai, tout a un prix.

Dernière étape avant de partir, Suzhou, à une heure et demie de route de l’aéroport de Shanghai, haut lieu de la mémoire chinoise, riche d’un million d’habitants avec ses deux villes nouvelles entourées d’usines. Des pans entiers de la vieille ville ont été refaits à neuf, la pierre des ponts centenaires a fait place au ciment. Soixante jardins privés sur trois cents ont pu y être sauvés et pas moins de trois cents maisons protégées. Au XVIe siècle, Suzhou était un chef-d’£uvre d’harmonie, fait de ruelles et de canaux, de bois, de pierre… et de jardins. Des mandarins, de riches marchands, des notables esthètes amoureux de la nature et de la sagesse s’y étaient retirés après l’agitation d’une carrière gouvernementale. Leurs jardins û jardin du maître des filets, jardin de la politique des simples, jardin Liu, jardin du Pavillon des Vagues û situés à l’écart, leur permettaient de contempler la nature à domicile. Arbres (pins, mûriers, bambou), rocailles, eau, chrysanthèmes et lotus : le jardin chinois est un tableau que l’£il devine, interprète. Ici, déjà quatre jardins sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Une richesse susceptible d’attirer, très vite, des milliers de visiteurs.

Texte : Michèle Lasseur

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