La mer, le sable, la liberté ou encore des jouets d’enfant… Pour parler de son travail de designer automobile chez Seat, Simona Falcinella n’hésite pas à utiliser un langage des plus poétiques et imagés. Rencontre.

M artorell, à 25 kilomètres de la très branchée Barcelone. Dans une vallée cernée de montagnes aux pics acérés et brûlée par le soleil catalan s’étendent les immenses hangars de l’usine Seat. Ici la marque espagnole produit pas moins de 2 300 unités par jour et de tous les modèles (excepté l’Alhambra fabriquée au Portugal). Plus de 2 000 personnes font tourner 24 heures sur 24 ces immenses chaînes d’assemblage. A l’écart de la production journalière, un bâtiment banal enferme le centre de design. L’avenir de Seat se joue ici, dans un lieu discret mais bien mieux protégé que Fort Knox. Depuis 1999, Walter de Silva a pris en main la destinée stylistique de Seat. Dans une équipe pluriculturelle, le designer-vedette (il dessina, entre autres, les Alfa 156, 166 et 147, des succès stylistiques de ces dernières années) a su s’entourer d’une équipe de créateurs efficaces, hyperdoués mais toujours très humbles. Parti depuis peu chapeauter le centre de design Audi à Munich (Seat fait partie de la constellation Volkswagen comprenant Audi, Lamborghini, Bugatti, Skoda et Bentley), Walter de Silva ne passe plus ici qu’épisodiquement, laissant les rênes quotidiennes à Steve Lewis, par ailleurs époux de Simona Falcinella, la responsable du département couleurs et matières.

Pour l’heure, les deux designers se prêtent à toutes les exigences des journalistes venus les interviewer ; posant fièrement près de deux magnifiques prototypes : un SUV dénommé Salsa, qui devrait sortir sur le marché fin 2004-début 2005, et un roadster appelé Tango attendu courant 2005. En attendant la sortie de ces voitures, le futur proche de Seat porte le nom d’Altea, un monospace moyen d’allure sportive qui sera présenté en mars prochain au Salon de l’automobile de Genève. Sur tous ces modèles, la patte de Walter de Silva y est bien entendu reconnaissable. Mais, en tout grand professionnel, il a su faire confiance à ses collaborateurs, laissant carte blanche à Simona Falcinella pour les finitions intérieures et les coloris de carrosserie. Nous avons rencontré la designer. A 36 ans, cette mère de deux enfants de 7 et 5 ans avoue être tombée toute petite dans la marmite de la mode, de la fabrication des tissus et des couleurs en regardant travailler ses propres parents. Bon sang ne peut mentir…

Weekend Le Vif/L’Express : Pourriez-vous définir votre travail chez Seat ?

Simona Falcinella : En tant que responsable couleurs et matières, je m’occupe de la finition des surfaces, des couleurs, des textiles, des moquettes ou encore du graphisme des instruments. Pour prendre un exemple concret, imaginez un changement de vitesses. Mon travail consiste à déterminer si celui-ci doit être mat ou brillant et en quel matériau et coloris il devra être proposé. Ce travail vaut aussi bien pour les voitures produites qui subissent un restylage que pour les prototypes.

Avant d’arriver dans le secteur automobile, vous avez travaillé dans le secteur textile. Quel est votre itinéraire professionnel ?

Je viens en fait d’une famille travaillant dans la mode et le textile. Ma mère était une designer de mode indépendante, tandis que mon père travaillait dans l’industrie du textile. Toute petite, je devais avoir 2 ans, je leur posais déjà des questions sur le pourquoi et le comment d’un vêtement ou sur la composition d’un tissu. Toute ma vie, à la maison, j’ai été environnée par des échantillons de tissus et des dessins de mode. J’ai commencé à travailler avec ma mère en traçant des esquisses, tout en collaborant avec mon père. Par ce biais, un industriel italien important m’a alors demandé de travailler avec lui. J’avais juste 18 ans et je n’ai pas hésité une seule seconde ! J’ai commencé au bas de l’échelle car je voulais véritablement comprendre comment fonctionnait chaque pièce et chaque rouage des différentes machines. Je passais ainsi mon temps, couchée sur le sol, en dessous de chacune d’elles, pour véritablement la disséquer. Un jour, mon patron qui fournissait aussi des tissus pour Alfa, m’a fait rencontrer Walter de Silva. Le courant est tellement bien passé qu’il m’a demandé bien vite de travailler pour lui. C’est comme cela que j’ai abordé le secteur automobile.

Depuis quand travaillez-vous avec Walter de Silva ?

Je travaille avec lui depuis 1989. Je lui dois beaucoup car il m’a appris énormément. Tout ce que je sais aujourd’hui s’est sans doute grâce à lui. Il m’a laissé surtout la possibilité de faire toutes les erreurs possibles pour que j’apprenne et que j’arrive au niveau où je suis. Je dois dire qu’il a été très patient. J’ai commencé à l’âge de 22 ans et j’ai débuté tout de suite chez Alfa comme responsable couleurs et matières. Le 1er janvier 2000, changement de cap : je suis arrivée à Martorell chez Seat. Je ne connaissais ni les lieux, ni la langue, ni les gens et Walter de Silva m’a donné exactement deux mois pour tout assimiler ! J’ai relevé le défi et je dois dire que j’en suis très heureuse.

Ayant travaillé pour les Italiens et maintenant pour les Espagnols, pourriez-vous définir les différences entre ces deux designs méditerranéens ?

C’est difficile pour moi d’établir des généralités car je n’ai travaillé que pour Alfa et Seat. Je dirais néanmoins qu’en Italie la plupart des designers sont de nationalité italienne et qu’ils constituent un petit monde très fermé et secret. Au contraire de l’Espagne où il y a un plus grand brassage de nationalités. Chez Seat, nous rencontrons bien sûr des Espagnols mais aussi des Britanniques, des Allemands ou encore des Français. Parmi toutes ces nationalités différentes, il nous faut alors trouver un langage  » commun « . Aussi bien pour nous comprendre verbalement mais aussi pour créer un design cohérent. Je dirais que cela prend plus de temps pour arriver à un résultat mais quand on y arrive c’est enrichissant.

Comment qualifierez-vous votre travail chez Seat ?

Il est méditerranéen, éclectique et bruyant ! Bruyant car nous travaillons à mille et une choses à la fois tout en répondant à de multiples sollicitations et en répondant au téléphone !

Où trouvez-vous votre inspiration ?

C’est difficile de répondre… Nous suivons, bien entendu, les tendances du moment que cela soit dans la mode ou encore la décoration, mais, pour ma part, je dirais qu’elle se trouve partout et dans tout. Pour l’habitacle de la Tango, par exemple, j’ai tout de suite pensé à des métaux oxydés, rouillés. C’est pourquoi les sièges possèdent ce rouge si particulier. Ma première idée va généralement vers un matériau, sans que l’on s’occupe de la couleur ou du grain que pourrait prendre celui-ci. Peu à peu, l’idée se développe en soi. Un matin, je me lève et je sais exactement vers quoi je vais faire évoluer cette matière. Je travaille vraiment à l’instinct ; au feeling, aux sensations et suivant mes émotions. Ainsi pour la couleur jaune choisie pour la Tango, j’ai pensé tout de suite à la mer, au sable et à la liberté. Je réfléchis aussi à la qualité du pigment que doit présenter ce jaune, ce n’est pas uniquement une couleur. La couleur vit, bouge et change de tonalité suivant la luminosité et c’est cela qui est important. J’ai conçu la couleur bleue des sièges en pensant à l’océan qui offre des nuances mouvantes. Un autre exemple : le changement de vitesses ressemble pour moi à un jouet d’enfant sur la plage. L’ensemble doit refléter le plaisir de la conduite.

Est-ce plus facile d’imaginer de telles choses quand on est une femme ?

Je sais qu’il y a beaucoup de femmes qui sont responsables couleurs et matières dans le monde de l’automobile, mais il ne faut pas imaginer que c’est aussi simple que cela. La création est un pur moment de bonheur mais après cela viennent les aléas de la fabrication. Il faut se pencher sur les coûts de production, la technologie, les tests… Tout cela pour atteindre un but bien défini. Une femme voit les choses à plus longue échéance qu’un homme. Elle peut imaginer la gestation d’un modèle. Je compare cela à l’éducation des enfants. C’est une tâche que l’on mène avec énormément de patience. Un homme, lui, focalise plus sur des problèmes au jour le jour ; il n’a aucune vue à long terme.

D’après vous quel est le conducteur type d’une Seat ?

Quand j’imagine une voiture, je pense toujours à ce que pourrait ressentir un jeune conducteur qu’il soit un homme ou une femme. Je travaille à l’instinct pour que celui-ci ou celle-ci se sente bien dans une Seat.

Vous avez aussi travaillé sur le merchandising de Seat en imaginant les uniformes des hôtesses lors des Salons automobiles internationaux et une ligne de sacs ? Comptez-vous persévérer dans cette voie ?

J’aimerais bien pouvoir développer ces projets mais pour le moment je dois me consacrer à 100 % au futur automobile de Seat.

Propos recueillis par Chantal Piret

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