SOIS BEAU… ET DIS-LE !
« Je suis très surpris de voir à quel point la scène masculine est classique, nous confiait Raf Simons, directeur artistique de sa griffe éponyme et de Jil Sander ( lire Le Vif Weekend du 2 septembre dernier). Au final, à une soirée, tous les mecs sont soit en costume, soit en jeans/ tee-shirt ! Quel dommage ! Certes, la tradition a du bon, mais pas quand elle tue l’audace. » Pourtant, si l’on remonte le fil de l’Histoire, il fut un temps où les mâles riaient de se voir si beaux… Sans aller jusqu’aux 181 diamants et 55 rubis ornant le pourpoint d’Henry VIII d’Angleterre, les dépenses vestimentaires des seigneurs de la Renaissance dépassaient largement celles de leurs épouses.
Ce n’est qu’au XIXe siècle, explique Jean Claude Bologne dans son Histoire de la coquetterie masculine ( lire son interview en pages 40 à 44), que celle-ci » apparaît comme un symptôme qui, combiné à d’autres critères, témoigne d’un mode de vie, d’habitudes invétérées ou de signes de reconnaissance « . De là ce » vieux préjugé réduisant la coquetterie à une inversion sexuelle » et à une dépravation morale, alors qu’elle est vue comme naturelle chez les femmes. Et l’auteur de rappeler que le premier défilé de mode masculine fit scandale à Londres en 1929 – rien à voir pourtant avec la lingerie pour homme qui s’affiche aujourd’hui sans complexe sur les podiums, puisque les mannequins présentaient alors… des impers et des costumes.
Derrière les commentaires outrés des sujets de sa royale majesté comme derrière l’introduction de » métrosexuel » dans Le Robert 2012, une même phobie, celle de la dévirilisation. Car ce mot n’a d’autre utilité que de remplacer celui de » coquet « , toujours tabou. Et s’il fait tantôt sourire, tantôt grincer des dents à force d’être rebattu, le néologisme a au moins rendu aux hommes le droit de se faire beaux. Quand ce n’en est pas l’obligation morale : avec la crise qui a poussé la compétition sur le marché du travail à son paroxysme, les yuppies se mettent en devoir de renvoyer une image jeune, fraîche et lisse, » preuve » de dynamisme et de résistance au stress ( lire en pages 66 à 68). Aux États-Unis, on a ainsi recensé 225 000 injections de Botox chez les mecs rien qu’en 2010 ! Mais s’il assume son geste, l’homo estheticus ne s’en vante pas. Les interventions plastiques sont donc plutôt pratiquées la veille d’un week-end, pour arriver ni vu ni connu au bureau le lundi. Ultime coquetterie.
DELPHINE KINDERMANS, RÉDACTRICE EN CHEF
AUX ÉTATS-UNIS, 225 000 INJECTIONS DE BOTOX CHEZ LES MECS RIEN QU’EN 2010.
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