l’abbaye de stavelot plonge le visiteur dans la vie spirituelle du moyen age et, sans transition, dans la plus étonnante modernité. superbement rénovée, elle rayonne de nouveau d’un bel éclat. le 28 juin, le premier samedi vif de la saison 2003 vous promet des découvertes très éclectiques. un régal.

(*) Michel Décaudin,  » Apollinaire « ,

Le Livre de Poche,

N° 580, pp. 10-11.

On contemple de loin sa silhouette équilibrée, admirablement proportionnée, ré-chauffée par une couleur  » gourmande  » de framboise, et l’on se dit que rien n’a changé. Et pourtant : une aile entièrement vitrée, empreinte d’un style architectural moderne et pointu, affirme désormais la nouvelle identité de l’abbaye et vous accueille. Le décor y est raffiné et minimaliste, la vue sur le jardin superbe. Entre les différents musées (celui de la Principauté Stavelot-Malmedy, le Musée du Circuit et le Musée Guillaume Apollinaire), les circulations sont excellentes. L’abbaye est redevenue très vivante. Elle s’ouvre aux amateurs du patrimoine, aux visiteurs en quête de spiritualité, aux flâneurs, aux mélomanes, aux poètes et aux passionnés de vitesse…

Un peu d’histoire

Sa vie  » antérieure  » a commencé il y a bien longtemps déjà. Au milieu du VIIe siècle, saint Remacle, abbé de l’abbaye de Solignac en Limousin, est chargé par le fils de Dagobert  » d’évangéliser une partie de la forêt royale d’Ardenne « . Conquis par le site naturel des Fagnes, irrigué par l’Amblève, il décide de fonder deux abbayes, une à Malmedy, l’autre à Stavelot. Il préfère la seconde, s’y installe et la gouverne comme  » une principauté ecclésiastique indépendante « . Au fil des siècles, le domaine s’agrandit, une impo-sante abbatiale est construite au XIe siècle. Des âges d’or alternent avec des périodes de décadence. Les bâtiments actuels datent du XVIIIe siècle. Après la Révolution française, les moines s’enfuient vers l’Allemagne, emportant le trésor et les archives qui disparaissent dans la nature. Les habitants de Stavelot démantèlent complètement l’abbatiale et récupèrent les pierres pour leurs propres constructions. Les vastes bâtiments abriteront un hospice, l’administration communale, l’office de tourisme, un café et des habitations particulières… En 1995, la décision de la Région wallonne tombe : il faut sauver ce  » site majeur de Wallonie « , le pérenniser, notamment grâce au tourisme, et générer, ainsi, des retombées économiques pour la région. Créée le 1er juillet 1999, l’ASBL Espaces Tourisme et Culture s’attaque à la réalisation de ce triple objectif. Au même moment démarrent les travaux. Menés tambour battant, ils permettent l’inauguration de l’abbaye en mars 2002.

Une synergie franco-belge

Les architectes Luc Dutillieux et Norbert Nelles du bureau Artau à Malmedy sont les auteurs du concept global et de la scénographie du Musée du Circuit. L’architecte Adeline Rispal, responsable du bureau Repérages à Paris, spécialisé dans la création et la rénovation des musées, a imaginé l’aile vitrée ainsi que la scénographie du Musée Guillaume Apollinaire et du Musée de la Principauté Stavelot-Malmedy.  » Il a fallu supprimer tous les cloisonnements postérieurs à la Révolution française, restaurer les bâtiments, les toitures, les charpentes et les 250 châssis, explique Luc Dutilleux. Parallèlement, nous avons travaillé à l’aménagement des abords du site. L’idée consistait à valoriser les fouilles, menées à l’endroit de l’ancienne abbatiale. Les vestiges des fondations ont été restaurés, l’ancien ch£ur restitué symboliquement par les douze colonnes. A côté, un parking couvert, une esplanade arborée et un agora créent un lien avec la ville.  » Le résultat est superbe. On est séduit par l’esthétique, mais surtout par sa cohérence et sa grande fluidité.

La destruction de l’abbatiale au XVIIIe siècle a entraîné la disparition de l’aile nord du cloître. L’abbaye était ainsi ouverte, béante sur la ville. Le projet initial ne prévoyait aucune  » fermeture  » moderne. Puis Adeline Rispal a eu l’idée de construire une galerie vitrée.  » Un cloître est toujours fermé, note l’architecte. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé de restituer cet esprit d’intériorité de manière contemporaine et virtuelle. Cette aile joue le rôle d’accueil pour les visiteurs et permet aussi de distribuer judicieusement les activités culturelles du lieu.  »

La découverte commence par le Musée de la Principauté Stavelot-Malmedy. L’espace est décomposé en huit  » temps  » qui racontent les événements clés de l’abbaye et de la principauté, de la fondation à nos jours. Chaque  » temps  » est organisé selon le même schéma et à l’aide de mêmes outils : images, films et reconstitutions 3D. Equipé d’un casque audio, on écoute le commentaire dans la langue de son choix (il y en a quatre). Adeline Rispal a tenu a recréer le rythme monacal. Ici, on prend son temps, on chemine lentement à travers l’histoire. On peut s’asseoir. Dans chaque espace-temps, il y a un mini-salon, de couleur différente, pour bien marquer les époques. Le mobilier, composé d’une banquette et de tabourets, est actuel, ludique et confortable. On écoute de la musique, les chants grégoriens remplissent l’espace. On médite, en déchiffrant la règle de saint Benoît placée sur les vitres. On a vraiment envie de s’attarder dans ce havre de paix, à la fois instructif, serein et superbe. Mais d’autres découvertes nous attendent.

Dans trois salles thématiques, on se familiarise avec différents aspects du passé des Stavelotains : la vie religieuse, la vie artistique et la vie politique et économique.  » Ici, la scénographie joue sur d’autres registres que ceux du parcours chronologique, souligne Adeline Rispal. Pour illustrer la vie religieuse, nous avons choisi le registre sonore : le récit de la règle de saint Benoît et les chants monastiques. Le registre visuel, sous forme de films et de photos du trésor dispersé de Stavelot, raconte la vie artistique. Enfin, le registre documentaire, avec des reportages audiovisuels, familiarise le visiteur avec la vie politique et économique.  » Tout est admirablement mis en scène, clair, accessible, intéressant. Ce qui frappe également, c’est la qualité exceptionnelle de la rénovation des plafonds, des planchers, des cheminées, effectuée sous le contrôle de la Commission royale des Monuments et des Sites. Les coloris sont magnifiques, extrêmement raffinés, les détails sont  » justes  » et irréprochables. Dans la  » pièce maîtresse « , l’ancien réfectoire, on admire l’impressionnant poêle en fonte, daté de 1709, et le superbe plancher en chêne du XVIIIe siècle. Cette salle prestigieuse bénéficie d’une acoustique exceptionnelle et sert d’écrin au festival annuel de Musique de Chambre. Ponctuellement, elle peut accueillir séminaires ou réunions de prestige.

Place à la vitesse

On descend dans les sous-sols et on change d’époque, d’ambiance et de rythme. Les chants monastiques se sont tus, la lenteur fait place à la vitesse, l’air électrique vibre de so-norités vrombissantes. Nous sommes au Musée du Circuit de Spa-Francorchamps. Des bolides rutilants de formule 1, des voitures d’endu-rance, des prototypes, quelques  » ancêtres « , présentent un contraste saisissant dans cet espace ancien, rythmés de voûtes, le tout remarquablement  » lifté  » par les soins de Luc Dutilleux et Norbert Nelles. Plus loin, on passe en revue un bel échantillonnage de motos belges et, plus particulièrement des  » Demoiselles de Herstal  » qui se sont également distinguées dans les circuits. Aux murs, une panoplie impressionnante de photos, de portraits, d’affiches et de plans retrace la grande histoire du circuit, dont le premier départ remonte à 1922. Il y a aussi une maquette géante. On visualise parfaitement les deux pistes, ancienne et nouvelle, ainsi que le site de ce circuit, considéré par de nombreux pilotes comme  » le plus beau du monde « . Le Musée a vu le jour en 1984, grâce à l’enthousiasme de trois hommes, passionnés de sports automobiles. Détail intéressant : tous les véhicules fonctionnent et aucune voiture n’appartient au Musée, mais aux différents collectionneurs qui les prêtent pour trois mois.

A l’étage, on découvre le Musée Guillaume Apollinaire, le seul musée en Europe qui rend hommage au poète. Son passage à Stavelot y a laissé des souvenirs inoubliables. Lorsqu’il arrive dans la ville avec son frère, il a 19 ans et s’appelle encore Wilhelm de Kostrowitzky. Ce  » rejeton d’une vieille famille polonaise, Russe selon ses papiers, Italien de naissance, Français de langue et de culture  » (*) est issu d’une famille monoparentale, comme on dit aujourd’hui. Son père est inconnu. Madame la mère vaque à ses nombreuses occupations galantes et dépose les deux adolescents à Stavelot, à la pension Constant, rue Neuve (la maison, transformée en restaurant, existe toujours).

Très éveillé, très curieux, amoureux de la nature, le jeune poète sillonne les Fagnes, explore la forêt d’Ardenne, s’initie au wallon. Il tombe aussi sous le charme des beautés locales. Tout d’abord, il y a Mariette, une jeune paysanne dont il est fou amoureux. Mais, surtout, Maria Dubois, une jeune fille de santé fragile. Wilhelm l’adule :  » Et j’adore même ta toux, Et le frisson de quand tu tousses.  » Il lui dédie des poèmes exaltés, enflammés, osés, voire carrément érotiques. L’idylle se termine brutalement. La mère, au bord de la banqueroute (selon certaines sources, la chance l’aurait abandonnée dans un casino), ordonne à ses fils de quitter la pension à la fine pointe de l’aube, pour déménager à la cloche de bois. Chez Constant, c’est le tollé ! Le patron engage les poursuites contre Wilhelm de Kostrowitzky et son frère. Mais il s’agit de mineurs et l’affaire se terminera par un non-lieu. Ce n’est que trente ans plus tard que sa véritable identité sera découverte, grâce à une enquête serrée de Marcel Thiry, poète et écrivain belge.

Au diable la rancune ! La ville a décidé d’honorer l’un des plus grands poètes du XXe siècle, en lui dédiant un petit musée qui s’est étoffé au fil du temps. Installé à l’abbaye, il a également profité du grand lifting. Adeline Rispal a imaginé, une fois de plus, une scénographie extrêmement originale, déclinée en plusieurs ambiances. Dans l’antichambre, on regarde Apollinaire, en découvrant photos, documents et manuscrits, dont le poème en wallon dédié à Maria Dubois. Puis on pénètre dans une salle aux murs noirs. Cinquante personnalités du monde des arts et de la culture (Max Jacob, Jean Cocteau, Marie Laurencin, etc.) parlent d’Apollinaire. Leurs portraits ainsi que leurs commentaires sont accrochés à des câbles tendus entre le sol et le plafond, suspendus dans l’espace. On y circule très librement. A travers cette approche kaléidoscopique, l’architecte a voulu refléter la personnalité multifacettes du poète. A côté, la bibliothèque. Ici, on lit Apollinaire. Sur une grande table traînent des livres de poche. On s’installe, on bouquine à son rythme… On passe ensuite au salon, meublé sobrement, avec beaucoup de goût. On s’installe avec un audio-guide pour écouter les poèmes, certains dits par l’auteur. On les savoure avec énormément de plaisir. La vue est somptueuse et les fauteuils tellement confortables, qu’on a vraiment du mal à s’en extirper. Mais il est temps de partir à la découverte de la ville.

Le charme médiéval

La place du Marché, rebaptisée place Saint-Remacle, aujourd’hui classée, est à deux pas. Ses dimensions généreuses, étonnantes pour une petite ville, renvoient au XVe siècle, époque du marché aux bestiaux. On marche sur un joli pavage, réalisé avec des galets de l’Amblève. On s’arrête devant la ravissante fontaine de 1777. On pousse la porte de l’église Saint-Sébastien, pour admirer la châsse de saint Remacle, trésor de l’art mosan, remarquable par ses dimensions et la finesse des détails. La flânerie se poursuit, le nez en l’air, à travers les petits rues d’un charme exquis. Dans le passé, la plupart des maisons bourgeoises avaient des façades à colombages, les maisons plus modestes étaient  » planchéiées « , recouvertes de planches. Assez fragiles, elles ont dû être protégées par des ardoises, mais on découvre encore pas mal de façades authentiques. Il fait doux, très calme. Cela dit, la ville s’anime, régulièrement, par des manifestations prestigieuses. Le Festival de Théâtre (il en est déjà à sa 38e édition) a lieu au mois de juillet. Chaque année, son programme ambitieux attire toujours la foule. On apprend que Fabrice Luchini a fait ici ses premières armes. Au mois d’août, place à la musique classique, avec le Festival de musique de chambre. Plus récent, le Festival du conte et de la légende bâtit lentement sa notoriété. L’abbaye  » nouvelle génération  » a déjà drainé, en une seule année, 57 000 visiteurs. Sans oublier qu’une partie est toujours en rénovation. Une galerie d’art contemporain y est prévue. L’éventail artistique à Stavelot est prêt à susciter de nombreuses jalousies. Décidément, cette ville oscille magnifiquement entre passé et futur.

Barbara Witkowska

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