En plein Pacifique, vogue un groupe d’îles en constante évolution, qui est aussi un fascinant laboratoire de la vie. Aux Galapagos, l’homme n’a jamais eu le rôle principal et c’est précisément ce qui rend la destination unique.

Dans le petit port de l’île de San Cristobal, les lions de mer se prélassent sur les quais et les pontons des bateaux. Le ton est donné : ici, les animaux sont chez eux et l’homme est un invité de passage, obligé de rester sur ses gardes et dans les sentiers balisés. C’est le petit prix à payer pour admirer de près la vie sauvage comme nulle part ailleurs dans le monde. Nous embarquons sur La Pinta, fringant yacht aux cabines spacieuses et confortables. Pour permettre de découvrir le plus de choses possible, l’organisation à bord est aussi précise qu’une horloge suisse. Au premier briefing, le capitaine explique que l’épopée se déroulera comme une véritable expédition, la navigation et les escales variant en fonction du temps, mais surtout des rencontres et des concentrations d’animaux. Ainsi, aucun voyage ne ressemble tout à fait à un autre, pour le plus grand bonheur des naturalistes qui sont également présents à bord et consignent leurs observations pour étoffer les connaissances sur l’archipel.

GARE AUX LIONS !

Après le repas, plongée immédiate dans le vif du sujet. Par petits groupes, le  » corps expéditionnaire  » prend place dans des canots pneumatiques appelés pangas, seul moyen de manoeuvrer et de débarquer sur les îles, pour un premier contact avec la faune locale sur la plage d’Ochoa, à Lobos, le repaire des lions de mer ! Ceux-ci, affalés sur le sable, ne semblent pas se soucier de la présence humaine. Les mâles tiennent la distance, les jeunes sont curieux. Mais si l’on s’approche de trop près, ils se dressent et rugissent. Mieux vaut éviter une de leurs charges, sous peine de morsure…

Le lendemain, La Pinta est en approche de l’îlot de North Seymour. Un havre pour les iguanes terrestres issus de Baltra, sa voisine. La base américaine implantée durant la dernière guerre les a lentement éradiqués. Sans l’initiative d’un scientifique qui en exporta 70 sur North Seymour, ils auraient disparu. Aujourd’hui, ils sont plus de 4 000 et plusieurs ont été réintroduits sur Baltra. Même en suivant le sentier obligatoire, on croise à quelques dizaines de centimètres une faune unique, dont des fous à pieds bleus et d’étonnants grands oiseaux noirs, les frégates. C’est la période d’accouplement et les mâles gonflent fièrement leur gorge d’un rouge flamboyant. L’île grouille de vie. La végétation réserve elle aussi son lot de curiosités : l’arbre à encens, au tronc étrangement argenté, y règne en maître.

L’océan possède également ses trésors : une première plongée est prévue en fin de matinée. L’eau, bien claire et fraîche en cette saison (à peine plus de 20 °C !), nécessite le port d’une combinaison. Les poissons tropicaux, éclatants de couleur, virevoltent dans le courant parfois vif. Après une dizaine de minutes, apparaissent les premiers jeunes lions de mer qui, d’observateurs lointains, se font vite joueurs, s’approchant de nos masques pour y coller leur museau, puis repartir aussi vite.

Débarquement en début d’après-midi sur Santa Cruz, du côté de Cerro Dragon la bien nommée. Les iguanes s’y dorent paisiblement au soleil. Ils aiment ces sables volcaniques bien chauds, qui varient ici du noir au rouge, pour y creuser leurs nids. Le naturaliste nous fait remarquer que la présence des reptiles explique l’aspect des cactus dont le tronc est, sur cette île seulement, couvert de piquants. En vieillissant, leurs feuilles perdent leurs aiguilles, sauf sur le fût. Ainsi, les iguanes ne peuvent grimper les dévorer. Tout à coup, des chèvres sauvages pointent le nez derrière des buissons. Un vrai danger pour la faune endémique. Le guide est obligé de les signaler aux autorités du parc, qui viendront les abattre.

MÉLANGE DES GENRES

A la fin du XVIIIe siècle, baleiniers et marins de passage sur l’île de Floreana avaient l’habitude de déposer leur courrier à Post Office Bay, dans un vieux tonneau de bois. La coutume est restée et chaque voyageur ramène une lettre adressée à un compatriote pour la poster de retour au pays. En échange, il dépose ses missives à charge des suivants. Floreana est l’île la plus méridionale, soumise à l’influence des courants froids de Humboldt. On y croise même des manchots venus d’Antarctique et qui se sont parfaitement adaptés à l’archipel.  » Ils ne sont qu’un millier, explique notre guide Andres, tout simplement parce que l’écosystème ne pourrait en supporter plus.  »

En seconde partie de journée, La Pinta est en approche de Punta Cormorant, une vaste zone de lagunes où nichent de nombreux flamants roses. Les eaux marines sont plus troubles mais on y observe des tortues vertes, évoluant tranquillement parmi les bancs d’algues. Au cours d’un trajet en zodiac vers Punta Moreno, on croise des manchots, des raies et de petits requins. Cap vers Isabella, l’île préférée de notre accompagnateur. Une terre jeune, toujours en mouvement – la dernière éruption du volcan Cerro Azul s’est produite il y a quelques années – et de loin la plus grande de l’archipel. Y débarquer procure cette sensation étrange d’explorer un espace vierge. Et c’est un peu cela, puisqu’on foule une lave presque  » fraîche « , à l’aspect de croûte très rugueuse. Il fait particulièrement chaud sur ce plateau noir. Ici et là, on découvre des micro-oasis blotties dans les cuvettes laissées par les éruptions. L’eau s’y est accumulée pour former de minuscules étangs, rapidement envahis de verdure. Ailleurs, sur les coulées refroidies, ne poussent que quelques étranges cactus de lave, ainsi que des scalesias – de la famille des marguerites.

En revenant vers le rivage, un cormoran aptère pêche dans une mare et se laisse approcher sans même nous prêter attention. Cette population, unique au monde, a lentement cessé de voler. Faute de prédateurs terrestres, leurs ailes se sont atrophiées au fil des générations. Une ultime plongée nous emmène dans une mer agitée mais truffée de vie : tous les dix mètres, une tortue verte, quelques lions de mer bien sûr, des crabes rouges ou une langouste dont la taille pourrait figurer au Livre des Records. Sans oublier ce requin pointe blanche de belle dimension, passé à deux mètres de nous…

FRINGANTS CENTENAIRES

Débarquement sur le basalte de Fernandina pour rencontrer l’une des stars des Galapagos : l’iguane marin. Avec son dos couronné d’épines et son faciès patibulaire, il évoque un petit monstre préhistorique. Mais derrière cet aspect de godzilla, se cache une bête totalement inoffensive. Au fil des générations, il s’est tourné vers l’océan pour trouver de quoi se nourrir et s’est mué en plongeur adroit, partant brouter les algues durant de longues minutes. Sur Fernandina, la densité de cette population est énorme : de 2 à 3 000 par kilomètre de côtes. En étant distrait, on pourrait marcher dessus, d’autant que le gris de leur peau se confond avec la roche volcanique. Ils paressent les uns contre les autres et, à intervalles réguliers, leurs narines expulsent des jets d’eau salée, façon d’éliminer le sel accumulé lors de leurs plongées. Cette île est la plus récente de l’archipel, mais aussi l’une des plus vierges de la planète : elle n’a jamais été habitée et aucun animal n’y a été introduit par l’homme. Andres ajoute que, depuis la visite de Darwin dans les années 1830, les Galapagos ont migré de 100 mètres vers le sud-est… ce qui est énorme. Les terres les plus anciennes se trouvent donc à l’est et les plus jeunes émergent d’un volcan, à l’ouest.

Nous quittons le navire à Santa Cruz. Mais on ne va pas aux Galapagos sans faire la connaissance de l’un de ses habitants les plus célèbres : la tortue géante (galapago en espagnol). Ou plutôt l’une des sept espèces encore existantes. Sur chaque île, elles se sont différenciées en fonction du relief, du climat et de la végétation. Sur Santa Cruz, c’est justement la saison où elles descendent des montagnes pour paître dans les vallées fertiles et les prairies, puis se vautrer dans les mares. Ces géants peuvent mesurer jusqu’à 2,2 m de longueur et peser 250 kg. Le temps n’a évidemment pas la même échelle, pour elles qui peuvent vivre 200 ans, voire plus ! Moins nombreuses qu’avant la découverte de ces territoires par l’homme, leur nombre – environ 20 000 – s’accroît à nouveau chaque année. Le voyage s’achève avec le sentiment d’avoir fait un incroyable saut dans le temps, jusqu’au premier matin du monde…

PAR ERIC VANCLEYNENBREUGEL

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