Il y a vingt ans, Marguerite Duras recevait le prix Goncourt pour  » L’Amant « , un roman largement autobiographique. Retour sur les lieux de la rencontre avec le Chinois, un livre à la main.

« Quinze ans et demi. C’est la traversée du fleuve. Quand je rentre à Saigon, je suis en voyage, surtout quand je prends le car. Et ce matin-là, j’ai pris le car à Sa Dec où ma mère dirige l’école des filles.  » Sa Dec serait aujourd’hui une petite bourgade tombée dans l’oubli si une certaine Marguerite Donnadieu n’y avait pas séjourné avant de l’immortaliser dans les romans qu’elle signera sous le nom de Duras. Sa Dec, dont le c£ur bat au rythme du Mékong qui fertilise si bien les terres qu’il donne au marché toute son effervescence et ses couleurs exotiques. Sa Dec, poste de brousse de l’ancienne Cochinchine, ses allées à la française où, à la nuit tombante, les riches blancs se promenaient dans le parfum des flamboyants. A Sa Dec, le passé français resurgit dans la cour de l’école : des gamins enjoués vous accueillent dans la langue de Molière.  » Bonjour Madame, comment allez-vous « . Ils entonnent, rigolards, un  » Au Clair de la lune  » pendant que leur professeur va chercher le livre de l’école. La maman de Marguerite fut directrice, ici, à partir de 1929 et le livre de l’école garde consignée une photo de Marie Donnadieu et une lettre d’appréciation signée de sa main.

C’est à la fin de l’année 1929 que Marguerite Duras situe sa rencontre avec l’Amant.  » C’est donc pendant la traversée d’un bras du Mékong sur le bac qui est entre Vinh Long et Sa Dec, dans la grande plaine de boue et de riz de la Cochinchine, celle des oiseaux.  »

Aujourd’hui, des années plus tard, après les guerres, les mariages et les enterrements, après la mort de l’auteur et d’une indolence à l’en croire éternel, le Mékong continue inlassablement de verser ses flots boueux dans les eaux turquoise de la mer de Chine. Le Mé-Kong,  » la grande mer  » pour les Vietnamiens, descend des hauts plateaux tibétains, traverse six pays et irrigue tout le sud du Vietnam de ses neuf bras formant un riche bassin deltaïque. Le delta du Mékong, aussi appelé Cuu-long, les neufs dragons, c’est le grenier du Vietnam. Son régime d’eau douce, ses terres alluvionnaires riches en limon nourrissent tout le pays.

A Vinh Long, la ville est un immense marché. Les étals de fruits exotiques, de poissons séchés ou d’encens s’approprient quasiment toute la rue et se referment sur le piéton forcé de ralentir le pas. Au marché couvert, on peut s’asseoir sur de longs bancs en bois pendant qu’on prépare sous vos yeux la  » pho « , une soupe de nouilles que les Vietnamiens consomment du matin au soir. Une ruelle court le long du Mékong, c’est le marché aux poissons. Les pêcheurs accostent directement à l’arrière des étals et y déchargent de leurs barques sans âge des ribambelles de poissons tout juste enlevés aux flots. Maintenus vivants dans 5 cm d’eau, les carpes, congres et autres anguilles rivalisent d’exploits pour rejoindre les eaux bienfaitrices, au grand plaisir de l’acheteur venu tester la fraîcheur de son repas du soir.

Sur le fleuve nourricier glissent des kyrielles de barques de pêcheurs et de chalutiers, des pirogues aux rames en forme de X, des péniches remplies de riz, de fruits et de légumes. Marguerite Duras évoquera, dans ses romans, la vie grouillante du fleuve, sa force dévastatrice, l’odeur de sel et de vase du Mékong qui resteront à jamais gravés dans sa mémoire. A Vinh Long, il suffit de pousser une de ces vieilles grilles rouillées pour pénétrer l’ambiance de l’ancienne colonie.

Au milieu de la cour sommeille une imposante villa, les volets à persiennes sont clos et les larges coursives aérées sont maintenues à l’abri de la mousson et du soleil vertical par une large toiture à débord, l’équivalent en architecture du casque colonial.

Chaque fois à la fin de ses vacances, Marguerite adolescente quitte donc la quiétude et l’existence retranchée du delta pour Saigon, alors surnommée le petit Paris de l’Extrême-Orient. « Je suis dans une pension d’Etat à Saigon. Je dors et je mange là, dans cette pension, mais je vais en classe au-dehors, au lycée français.  » Le lycée Chasseloup-Laubat a été rebaptisé lycée Lé Quy Don par les communistes, du nom d’un encyclopédiste vietnamien du xviiie siècle. Seuls les plus anciens des surveillants parlent encore le français. Trois mille élèves de 15 à 18 ans préparent leur diplôme de fin d’études secondaires dans ce havre de verdure et de fraîcheur en plein c£ur de la fournaise saigonnaise. C’est sur une de ces avenues où agonisent dans la vapeur des pots d’échappement les grands tecks et les tamariniers que la Morris Léon-Bollée noire attendait la jeune fille pour l’emmener aux confins de la ville, dans la garçonnière de Cholon, où elle s’offrait à son amant.  » Chinois. Il est de cette minorité financière d’origine chinoise qui tient tout l’immobilier populaire de la colonie. Il est celui qui passait le Mékong ce jour-là en direction de Saigon.  » Marguerite Duras ne le nommera jamais, libre alors de composer avec le personnage et d’adapter la réalité.

Or, il y avait bien un jeune et riche Chinois à Sa Dec à l’époque où Marguerite passe le bac sur le Mékong. Il habitait avec son père le long d’un bras du fleuve. Tout le monde le connaît à Sa Dec. A l’évocation de son nom, les regards s’illuminent, les têtes acquiescent. On vous emmène à la pagode où un vieil homme distingué aux cheveux blancs semble méditer sur un banc le long d’un mur, à l’abri du soleil. C’est le gardien de la pagode et le neveu de l’Amant. Dans les rares mots d’anglais qu’il connaît, il donne tout son crédit au roman de Duras :  » Marguerite was my oncle’s girlfriend « , lâche-t-il avec un sourire malicieux. Il cherche dans les recoins de sa mémoire l’endroit où est enterré son oncle, décédé en 1972. Il se dit malade, il avoue qu’il n’a plus les idées claires. L’Amant repose au bout d’un petit chemin rocailleux. Récemment, on a construit un cours de tennis à proximité du petit mausolée sculpté de caractères chinois rouges et jaunes. Un grand palmier et le ciel bleu égayent un peu ce lieu de recueillement.

A la pagode, un bonze veille sur la tablette funéraire qui porte la photo du Chinois, aimé et respecté à Sa Dec  » parce qu’il était très très riche « . L’homme sur la photo semble plus séduisant que dans la description de Marguerite Duras dans son livre. Le regard est serein, le sourire doux. A Sa Dec, la maison du père du riche chinois fait toujours face au fleuve. Le marché grouille aux alentours. La grille est ouverte, la maison à la façade jaune décorée de stuc et de colonnettes d’un blanc immaculé est aujourd’hui un commissariat. Triste machine à remonter le temps. A la magnificence des ornements chinois, des murs de bois sculptés et des portes en marqueterie, on a superposé un mobilier de bureau en acier et formica dépareillé. Un thermos et un paquet de cigarettes gisent devant le somptueux autel en or laqué représentant un bouddha. Les policiers de service se restaurent avec un bol de riz et font la sieste dans des hamacs au milieu de ce bric-à-brac anachronique. Dans la pièce arrière, une énorme table basse de nacre sculptée encombre le passage depuis des années sans que personne pense à lui donner une fonction digne de ses origines.

Si on lit bien l’£uvre de Duras, la rencontre aurait eu lieu entre Sa Dec et Vinh Long, en direction de Saigon. En empruntant cette route, 3 kilomètres environ avant d’arriver au centre de Vinh Long, on bifurque à gauche sur une large rue asphaltée, bordée d’habitations basses. La circulation cesse brusquement et quelques camions éreintés tombent en morceaux sur l’asphalte déserté. Quatre ans seulement que le bac de l’histoire s’est arrêté à tout jamais. La voie qui y menait est un axe mort, sauf pour les enfants qui en ont fait leur plaine de jeux et pour les femmes qui s’activent au-dessus de bassines en plastique en taillant une bavette avec les voisines. En accédant à l’ancien embarcadère amputé de son bac, on comprend pourquoi les anciens bus et les camions de marchandises ont définitivement déserté les lieux. A quelques encablures, en descendant le Mékong, le nouveau pont de My Thuan affiche sa silhouette moderne de béton et d’acier sur fond de rizières ancestrales et de palmes pliant sous le vent. Le pont construit  » sur le modèle du pont de Normandie « , me dit-on fièrement à l’office du tourisme, a définitivement volé la vedette au bac de Marguerite Duras. Le Mékong, lui, semble éternel. Mais qui empêchera la mémoire de l’Amant de disparaître avec son neveu vieillissant et la maison du père d’être abandonnée comme le vieux bac rouillé ? L’histoire de l’Amant ne sera plus alors que ce qu’elle a toujours été : le recueil vibrant de souvenirs et de fiction d’une grande romancière marquée à jamais par son enfance indochinoise et qui n’a eu cesse de réécrire le livre de sa vie jusqu’à sa mort.

Renseignements.

Ambassade du Vietnam en Belgique. 1, boulevard Général Jacques, à 1050 Bruxelles. Tél. : 02 379 27 37 ou 47.

Service des visas ouvert les lundi, mercredi et vendredi de 14 à 17 heures.

Formalités.

Passeport valable 6 mois après la date de retour, le visa est obligatoire et payant. 60 euros et 1 semaine de délai pour un visa 1 entrée valable 1 mois ou 120 euros pour un visa à entrées multiples. Possibilité d’obtenir un visa de trois mois.

Langues

Vietnamien. Anglais et français par les professionnels du tourisme, possibilité d’échanger quelques mots d’anglais, plus rarement de français, avec les habitants.

Monnaie.

Le Dong. 1 euro = 18 835 dongs (VND).

De plus en plus de distributeurs automatiques se trouvent dans les grandes villes, avec possibilité de retirer de l’argent avec Visa et même Bancontact. Change de devises et de traveller’s cheques dans les banques et dans les hôtels. Possibilité de paiement en dollars US.

Vaccins.

Pas de vaccins obligatoires mais il est recommandé de se mettre à jour en ce qui concerne les vaccins traditionnels, plus fièvre typhoïde et hépatite A.

Téléphoner.

Depuis la Belgique : + 84.

Décalage horaire.

+ 6 heures en hiver, + 5 heures en été

Saison idéale.

Pour le sud : Saigon et le delta du Mékong.

De décembre à avril, temps doux et sec, température de 25/30 °C. Février est le mois où il pleut le moins. Mars et avril sont les mois les plus chauds, en moyenne 34 à 35 °C. Eviter l’été, c’est la période des moussons.

Y aller.

Air France au départ de Bruxelles avec Thalys jusqu’à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle, puis vol Paris-Bangkok-Hô Chi Minh-Ville. A partir de 710 euros + taxes.

Lufthansa au départ de Bruxelles, transit à Francfort, puis vol direct jusqu’à Hô Chi Minh-Ville. A partir de 711 euros + taxes.

Se loger.

A Hô Chi Minh-Ville (Saigon)

Dans le quartier routard, des dizaines

de petits hôtels avec air conditionné, ventilateur, minibar et télévision câblée à partir de 10 euros en chambre double. Point de départ et d’arrivée des excursions dans le Mékong. 1er arrondissement, demander le quartier Pham Ngu Lao, tout le monde connaît.

Plus chic : l’hôtel Continental en plein centre, à côté du théâtre municipal. Construit dans les années 1930, le Continental était un des hôtels les plus chics d’Asie. Graham Greene y situe plusieurs scènes de son roman « Un Américain bien tranquille ». A partir de 80 euros la chambre double. 132-134, rue Dong Khoi (ancienne rue Catinat), 1er arrondissement. Tél. : + 84 8 829 92 01. Fax : + 84 8 824 39 99. E-mail : continentalhtl@mail.vnn.vn

A Vinh Long

Peu de bonnes adresses, sauf l’hôtel Phuong Hoang, chambres spacieuses avec douche, propres, terrasses pour les chambres qui donnent sur la rue. 7 euros environ la chambre double. 2, rue Hung Vuong. Tél: + 84 70 82 51 85.

Sinon, on peut dormir sur l’île d’An Binh, en face de Vinh Long, dans des maisons coloniales ou dans des vergers, à conditions d’aimer le confort spartiate. Office du tourisme de Vinh Long : 1, rue du 1-5 (1er Mai). Tél. : + 84 70 82 36 16. Fax : + 84 70 82 33 57.

A Sa Dec

L’hôtel Sadec, la seule adresse, hôtel d’Etat sans surprise. De 8 à 15 euros la chambre double. 108/5 A, rue Hung Vuong. Tél.: + 84 70 86 14 30. Fax : + 84 70 86 28 28.

Voyagistes.

Nouvelles Frontières propose un circuit à la carte de 4 jours/3 nuits à Hô Chi Minh-Ville (Saigon) et dans le delta du Mékong. Visite du quartier chinois de Cholon à Saigon, d’une maison de l’époque coloniale et d’un marché flottant dans le delta du Mékong, arrêt à Vinh Long et à Sa Dec. Groupe de 2 à 6 personnes. Prix par personne, du 1er novembre au 30 avril, hôtel en 1er catégorie : 269 euros sur la base de 2 personnes, 236 euros de 3 à 6 personnes.

Voyage organisé 20 jours/17 nuits, dont 3 jours dans le delta du Mékong, promenade en barque à Vinh Long, visite d’un marché flottant et d’une maison coloniale. A Saigon, découverte des vieux quartiers coloniaux. Prix par personne : 2 095 euros. Nouvelles Frontières, 2, boulevard Lemonnier, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 547 44 44. Fax : 02 547 44 96. Internet : www.nouvelles-frontières.be

A lire.

 » Le guide du Routard « , Hachette, 2004 ;  » L’Amant « , Marguerite Duras, éditions de Minuit, 1984 ;  » Un barrage contre le Pacifique, Marguerite Duras « , éditions Gallimard, collection Folio plus, 1950 ;  » Marguerite Duras « , Laure Adler, Gallimard, collection Folio, 1998.

Stéphanie Fontenoy

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