Et si l’on s’offrait un city-trip à Londres avec la créatrice de mode Vivienne Westwood en guise de fil rouge ? Entre sa boutique originelle de Kings Road et son temple de Conduit Street, il y a surtout une exposition en son honneur au prestigieux Victoria and Albert Museum.

Chelsea, Kings Road, n°430. A cette adresse du sud de Londres, le temps n’en fait visiblement qu’à sa tête. Les aiguilles folles d’une immense horloge à 13 chiffres tournent à l’envers sur les ardoises de la façade, laissant joyeusement présager la douce excentricité qui habite les lieux. Car derrière les châssis tur- quoise de la boutique  » World’s End  » ( » La Fin du monde « ), subsiste un parfum d’impertinence nommé Vivienne Westwood. C’est là, en effet, que la célèbre créatrice de mode se fit remarquer pour la première fois au tout début des années 1970 avec son complice Malcolm McLaren, grand initiateur du mouvement punk.

A cette époque encore très  » flower power « , Vivienne Westwood a 30 ans à peine. Elle a déjà un passé d’ouvrière en usine derrière elle et deux enfants nés de lits différents, mais elle possède aussi une précieuse expérience de couturière autodidacte. Sa rencontre, quelques années plus tôt, avec le fameux Malcolm McLaren (qui est le père de son deuxième enfant) est le déclencheur d’une toute nouvelle existence, tissée d’anarchie et de provocation vestimentaire. En 1971, le jeune couple s’offre une minuscule boutique dans le quartier underground de Kings Road qu’il baptise  » Let it rock  » et innove à coups de tee-shirts troués, délavés, peinturlurés et, surtout, garnis d’épingles, de chaînes, de badges et de slogans subversifs. L’endroit devient rapidement le passage obligé d’une jeunesse contestataire et surtout le berceau d’un nouveau courant musical et sociologique : le mouvement punk symbolisé par le groupe Sex Pistols formé précisément au c£ur de cette boutique.

Depuis son inauguration, la toute première enseigne Vivienne Westwood a plusieurs fois changé de nom ( » Too fast to live, too young to die « ,  » Sex « ,  » Seditianories  » et enfin  » World’s End « ), mais le lieu garde toujours cet esprit résolument décalé, même si le quartier de Kings Road est devenu entre-temps beaucoup plus commercial. A l’intérieur, les murs turquoise garnissent un minuscule espace de 40 m2 et le plancher d’origine, fier de son superbe dénivelé, garde encore les cicatrices des nombreuses soirées déjantées. Sur les tringles, les rééditions de tee-shirts vintage côtoient les nouvelles créations de la couturière britannique, le tout articulé autour d’une horloge à 13 chiffres, s£ur jumelle du grand cadran extérieur.

Hautement symbolique, ce clin d’£il irrespectueux au temps qui passe sert d’ailleurs d’introduction à l’actuelle exposition  » Vivienne Westwood, 34 années de mode « , organisée au prestigieux Victoria and Albert Museum de Londres jusqu’au 11 juillet prochain. D’entrée de jeu, le visiteur est confronté à la même horloge excentrique qui trône devant un superbe portrait de la créatrice et un panneau explicatif retraçant brièvement son parcours. Une citation de Queen Viv (comme on la surnomme affectueusement) est mise en exergue :  » La mode est un bébé que j’ai pris avec moi et que je n’ai jamais quitté.  » Le ton est donné : Vivienne Westwood a la mode dans le sang et a fait de ce métier sa vraie raison d’être.

Au fil des 150 robes et divers objets exposés pour l’événement, le visiteur attentif prend véritablement conscience de l’amour viscéral que porte cette dame de 63 ans à l’essence même du vêtement. Car au-delà du cliché qui accompagne la créatrice depuis trois décennies déjà, c’est toute son approche personnelle du sens de la tradition qui est mise en valeur au c£ur de l’exposition. Bien sûr, la première salle rend joliment hommage aux années punk de l’intéressée, mais rapidement, le parcours remet en perspective les recherches menées par Westwood au cours de ses 34 années de mode. C’est d’ailleurs une des grandes leçons de cet hommage rendu par le Victoria and Albert Museum de Londres : depuis sa première  » vraie  » collection présentée sur podium en 1981, le travail de cette couturière hors pair n’a jamais cessé d’être lié à sa propre découverte du passé à travers la peinture, la littérature, la musique et les arts appliqués. Point d’orgue : les xviie et xviiie siècles que Vivienne Westwood affectionne tout particulièrement.

Ainsi, lorsque la créatrice sort du tunnel punk à la fin des années 1970, c’est étonnamment dans le monde des boucaniers qu’elle puise son inspiration pour son premier défilé baptisé  » Pirates  » (automne-hiver 1981-1982). Au programme : coupes historiques et silhouettes unisexe présentées sur fond de musique… rap ! Une fois encore, Westwood surprend et gagne en crédibilité. Les livres et les musées l’absorbent ; sa création prend des chemins inattendus. Obsédée par la royauté, son travail l’amène progressivement à décortiquer et à réinterpréter les codes du gotha britannique. En 1985, elle détourne l’hermine royale, ose les chapeaux-couronnes et réhabilite les faux-culs. Poursuivant un peu plus son exploration dans l’histoire du vêtement, elle revisite le corset, la crinoline et le bustier à sa manière, signant des silhouettes d’une audace folle et résolument à contre-courant de l’air du temps.

Si la première salle de l’exposition amorce cette évolution créative en douceur, la deuxième salle baptisée  » Maturity  » ( » Maturité « ) insiste en revanche fortement sur ces références historiques et culturelles qui ont guidé Vivienne Westwood depuis plus de vingt ans. Un peu plus aérée, la scénographie privilégie cette fois son goût pour l’art français du xviiie siècle et son amour pour le  » tailoring  » britannique, à savoir cette façon unique de couper le vêtement en Grande-Bretagne. Grâce aux références littéraires et artistiques mises en évidence, le visiteur perçoit mieux les influences franco-anglaises qui habitent encore une artiste toujours prête à apporter cependant son petit grain de folie. Pour Claire Wilcox, commissaire de l’exposition, le constat est limpide :  » Vivienne Westwood est une créatrice d’avant-garde qui personnifie, par son travail, une certaine spécificité britannique, plus exactement une  » britishness  » qui allie un non-conformisme sans limite et un grand sens de la tradition « , affirme-t-elle.

Persistant, cet attachement au précepte du  » classic with a twist  » se retrouve également dans la troisième et dernière salle de l’exposition, notamment au c£ur d’une vitrine exclusivement dédiée au tartan. Symbole immuable de la tradition écossaise, le motif à carreaux a été de nombreuses fois décliné par la créatrice britannique, de sa période punk jusqu’à ses dernières collections, au c£ur de silhouettes de plus en plus maîtrisées. Faussement iconoclaste, Vivienne Westwood persiste et signe dans cette fameuse  » britishness  » puisque l’exposition nous apprend qu’elle a même créé et déposé un modèle spécifique au Musée du Tartan en Ecosse. Son nom ? Le McAndreas, du nom de son actuel mari Andreas Kronthaler, un étudiant qu’elle rencontra au début des années 1990 alors qu’elle était professeur à l’Académie des Arts appliqués de Vienne.

Si l’une des dernières vitrines du parcours met en valeur les robes de soirée imaginées par Vivienne Westwood au cours de sa carrière avec un florilège de perles, d’or, de plumes et de taffetas, la fin de l’exposition se concentre davantage sur la toute dernière collection de la créatrice pour l’été 2004. Un minuscule auditoire invite également le visiteur à découvrir un reportage sur cette institution vivante de la mode britannique avec interview et images de défilés au programme. En guise de conclusion surgissent un portrait délicieusement grimaçant de la dame, une phrase à méditer ( » Votre vie est meilleure lorsque vous portez des vêtements qui font impression « ) et un ultime panneau informatif où l’on rappelle enfin que Vivienne Westwood a reçu de nombreuses récompenses et que son entreprise indépendante est une affaire qui marche : 20 boutiques en nom propre et plus de 500 points de vente à travers le monde…

Un petit détour par la prestigieuse Conduit Street au c£ur de Londres suffit à le prouver. Cette rue commercialement pointue et perpendiculaire à la célèbre Savile Row si chère aux tailleurs britanniques (on y revient !) abrite en effet la plus prestigieuse des boutiques de Vivienne Westwood. Rien à voir avec le minuscule espace de  » World’s End  » situé sur Kings Road, mais le contraste entre les deux enseignes illustre à merveille le chemin parcouru par Queen Viv. Réparti sur deux étages (un consacré à l’homme, l’autre à la femme), la superficie au sol est au moins dix fois supérieure à la boutique originelle et la décoration raffinée révèle visiblement la bonne santé financière de la compagnie. Autre différence de taille : aucune horloge à 13 chiffres n’occupe ces lieux distingués. Avec le temps, la mamy s’est assagie. Enfin, c’est elle qui le dit…

Frédéric Brébant

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