La plus européenne des villes d’Amérique du Sud s’offre aguichante et légère sous des airs langoureux de tango. Rencontre de ses habitants, les Porteños et d’une danse sensuelle connue du monde entier.

Ils forment un couple inséparable. Elle, Buenos Aires, capitale mythique d’Amérique du Sud, rivée aux eaux du Rio de la Plata. Lui, le tango, à la fois musique et danse, dont les notes et les pas ont accompagné, depuis plus d’un siècle, les espoirs et les désillusions de tous les Porteños. Tantôt suave et nostalgique, tantôt enjoué et canaille, le tango n’a jamais cessé de bercer l’âme de Buenos Aires. Et gare à celui qui remettrait en question le lien infaillible entre  » el tango  » et son berceau.  » Nier l’argentinité du tango est un acte aussi pathétiquement suicidaire que de nier l’existence de Buenos Aires « , disait, en 1968, l’écrivain Ernesto Sábato. Ainsi, parcourir la ville comme on suivrait une partition de Carlos Gardel est peut-être l’un des meilleurs moyens d’en découvrir les charmes secrets, de percer les mystères de cette capitale déconcertante, tant elle semble familière au voyageur venu du Vieux Continent. On peut commencer, par exemple, par le quartier coloré de la Boca, aujourd’hui aussi connu pour être le lieu de naissance du tango que pour héberger la Bombonera, célèbre stade du club Boca Juniors, dont est issu le non moins célébrissime footballeur Diego Maradona. Berceau du prolétariat au début du xxe siècle, la Boca demeure le  » barrio  » le plus populaire du centre de Buenos Aires. Avec ses maisonnettes en bois et en tôle ondulée, peintes aux couleurs très vives, le Caminito et ses ruelles adjacentes contrastent avec la grisaille du port voisin, entouré d’usines désaffectées et habité par de vieux cargos rouillés. Entre boutiques touristiques et démonstration de danse, le  » petit chemin  » ressemble à un Montmartre tout entier consacré au tango, où l’on peut s’asseoir en terrasse pour écouter les mélodies enjouées d’  » orquestas tipicas  » (piano-bandonéon-violon) ou, pourquoi pas, contre quelques pesos, se laisser conduire par un bel hidalgo.

Si le tango prit naissance dans les bordels de la Boca, où les immigrés déracinés et les fils d’esclaves le dansaient entre hommes, c’est aujourd’hui le  » barrio  » voisin de San Talmo qui est devenu l’épicentre  » tanguero  » de Buenos Aires. Chaque soir, touristes et Argentins viennent admirer les danseurs prodiges dans quelques-uns des nombreux cabarets de ce quartier longeant le Paseo Colon, au sud de la Plaza de Mayo. Comme au légendaire bar El Sur, où, sous le regard bienveillant de Carlos Gardel, dont les portraits envahissent les murs, danseurs et chanteurs se succèdent au milieu d’une salle minuscule. Quartier des antiquaires et des brocanteurs, San Telmo accueille aussi chaque dimanche un grand marché aux puces autour de la Plaza Dorrego. Là, cheminant entre les danseurs de rue et les marchands sirotant leur maté, la boisson nationale argentine, on peut négocier des breloques en tout genre : vaisselle, partitions, bijoux en argent ou vêtements en cuir. Non loin de là, une très belle halle maraîchère voisine avec le Paseo de la Defensa, grande demeure bourgeoise reconvertie en boutiques de bric et de broc, dont l’architecture révèle la splendeur passée de ce faubourg.

Sur les traces de l’icône Eva Peron

En fait, lorsque l’on sillonne cette ville de 3 millions d’habitants, qui semble avoir été tracée à l’équerre, à l’instar des agglomérations nord-américaines, mais que l’on appela aussi jadis  » la petite Paris « , on distingue encore nettement cette frontière invisible entre les  » barrios  » populaires du sud et les quartiers chics du Retiro, de la Recoleta et de Palermo, au nord. Pour rejoindre  » el norte « , on peut emprunter la gigantesque Avenida 9 de Julio, que les Porteños décrivent orgueilleusement comme la plus vaste avenue du monde, avec ses 125 mètres de largeur, ou préférer flâner le long des anciens docks de Puerto Madero, réaménagés à la fin des années 1990 en une succession de boîtes et de restaurants branchés. Entre ces deux artères parallèles, on découvre Microcentro, centre historique et institutionnel de la ville. La Plaza de Mayo, où fut fondée la cité en 1580, rassemble, à elle seule, de nombreux symboles. Ici, la pyramide de Mai, autour de laquelle, depuis 1977, tournent chaque jeudi les célèbres Folles, ces mères et grand-mères de disparus sous la junte militaire. Là, l’imposante Casa Rosada, siège de l’exécutif argentin, renvoie immédiatement au souvenir d’Eva Peron, saluant de son balcon ses compatriotes idolâtres. On pourra d’ailleurs suivre les traces de l’icône argentine jusque devant sa tombe, sise dans l’une des allées étroites de l’élégant cimetière de la Recoleta, où sont inhumées, dans des stèles luxueuses, de grandes familles de Buenos Aires. Mais, avant de visiter ce Père-Lachaise argentin, il ne faudra pas manquer de remonter l’Avenida de Mayo, qui conduit jusqu’au Sénat, en faisant une halte au café Tortoni, vénérable institution de l’intelligentsia argentine, chef-d’£uvre de la Belle Epoque, à l’atmosphère délicieusement rétro. A quelques pas de là, la Calle Florida est l’une des artères les plus fréquentées de la ville, avec son enfilade de vitrines et de grands magasins, dont les impressionnantes Galerias Pacifico, construites à la fin du xixe siècle et ornées d’un magnifique dôme recouvert de fresques murales.

Pour parfaire son shopping, un petit tour vers Palermo Viejo s’impose. Rebaptisée récemment  » Palermo Soho « , en référence au célèbre quartier new-yorkais, cette zone résidentielle entourée de parcs est devenue en quelques années le repaire des créateurs branchés. Ici, les boutiques de design disputent la vedette aux magasins de vêtements tendance et aux restaurants à la carte très fusion food. Mais, même dans ce quartier, berceau de Jorge Luis Borges, le tango n’est jamais très loin. Les amateurs trouveront leur bonheur en poussant les portes de la Viruta, une immense milonga, bondée tous les week-ends. Là, ils pourront s’initier en quelques heures aux huit premiers pas de la combinaison basique. A moins qu’ils ne préfèrent regarder le ballet des danseurs de tous âges, en se laissant bercer par les notes nostalgiques du bandonéon.  » Le tango est une pensée triste qui se danse « , aiment à dire les Porteños. Il est aussi la meilleure bande originale pour le voyageur parti à la découverte de cette cité  » au commencement impossible, car aussi éternelle que l’air et l’eau « , selon les mots du plus grand poète argentin.

Catherine Robin

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