Sortie, le 16 juillet. Dans le Sagan de Diane Kurys, Sylvie Testudfait revivre  » le charmant petit monstre  » au cinéma de façonstupéfiante. L’écrivain Marie Desplechin a interviewé pour nousl’actrice… qui est aussi romancière.

Attention, la crise de saganite aiguë risque de durer quelques semaines ! Ce sera Françoise partout, version archives ou version  » biopic « , la panoplie Françoise, les petites phrases Françoise, les rééditions Françoise… Je me demande ce qu’elle en aurait pensé. J’espère qu’elle aurait haussé les épaules. C’est bizarre ce qu’on fait des gens, dès qu’ils ont le dos tourné. Enfin… on peut toujours se dire qu’elle l’a bien cherché. A force de faire la maligne. Bizarre, aussi, comme notre temps de transparence obligatoire, de bonne santé légiférée, de bonheur sur ordonnance, de sérieux mortel s’excite sur une petite personne douée, pudique, suicidaire, rigolote, lucide, tête en l’air et désespérée. Sagan est un antimodèle pour ce début de siècle. D’où la curiosité inquiète qu’elle suscite, sans doute. Sagan fume. Boit. Se drogue. Joue. Couche. Conduit trop vite. Claque tout son blé. Gaspille son talent. Arnaque l’Etat.

N’en a rien à battre. Ne l’envoie pas dire. Toute sa vie. Et elle n’est même pas fichue de faire un bon bouquin autobiographique avec tout ça… Vous voyez le gâchis. Avec le quart, avec le dixième d’une vie de Sagan, vous imaginez ce qu’une romancière pourrait vendre aujourd’hui ? Et pourtant. Sagan s’est contentée de faire sauter la banque avec des bouquins écrits en deux mois pour faire tourner la baraque. Sagan, non contente de ne pas placer d’espoir en Dieu, n’avait rien à placer non plus dans la Littérature. Elle n’avait pas d’ambition posthume. Pas plus, d’ailleurs, qu’elle n’avait l’instinct maternel. L’instinct, elle l’avait plutôt amical. Mauvaise mère, en plus. C’est complet. Voilà comment on finit, comme dans le film de Diane Kurys, vieille, moche, seule et malade, ce qui prouve au moins que le vice ne paie pas.

Seulement, voilà. On ne m’ôtera pas de l’esprit qu’un dixième de la vie dissipée de Sagan est plus marrant, plus vivant, plus enviable que 10 vies moyennes, économes et bien gérées. Ni qu’un seul texte réussi ( Avec mon meilleur souvenir, par exemple) surpasse, et de loin, 30 volumes de purge sentencieuse oubliés aujourd’hui. Qui se souvient de tous les graphomanes productifs dans les années Sagan ? Qui se souvient d’Hervé Bazin (auquel Sagan aurait au moins pu recommander son coiffeur), pour citer l’un des noms qui surnagent encore ? Elle est restée. Malgré le je-m’en-foutisme, malgré les ratés, les critiques pédantes, l’engouement d’un public trop large.

Elle est restée pour cette  » légende « fitzgéraldienne qui lui aura collé à la peau. Mais également pour ses textes, qui, s’ils ne sont pas tous bons, sont aussi parfois drôlement bons. Sagan, qui était une copine de Sartre, a poussé loin l’art d’exister. Elle laisse derrière elle une poussière insaisissable et brillante après laquelle nous n’avons pas fini de courir. Après l’édition, le cinéma tente sa chance. Le Sagan de Diane Kurys a quelque chose d’une performance. Cinquante ans de vie en une heure et cinquante-sept minutes… Et Sylvie Testud dans le rôle-titre. Sylvie Testud, évidemment. Pour sa ressemblance avec Sagan, certainement. Pour son expérience d’écrivain, sans doute. Et pour cette vivacité juvénile et insolente qu’elle n’aura pas eu à chercher bien loin quand elle l’a jouée, parce qu’elle lui appartient.

Marie Desplechin : Visiblement, il y avait une sorte d’évidence à vous faire interpréter Françoise Sagan…

Sylvie Testud : Pas pour moi ! Pour la génération à laquelle j’appartiens, Sagan était quelqu’un de 50 ans. Pas la jeune fille qui vient de sortir Bonjour tristesse. Sur le moment, j’ai pensé : c’est hyper-bizarre qu’on me propose de jouer un personnage de 50 ans… Je suis partie avec des photos et le scénario. Et je l’ai pris de l’extérieur. Un peu comme quand on entre dans un appartement.

Il était bien, l’appartement ?

Pas mal. J’apprends toujours mes textes avec quelqu’un et cette personne m’a dit tout dernièrement :  » On était bien avec Sagan, hein ? » Oui, on était bien. Au début, pourtant, je suis passée par toutes les couleurs.

Pourquoi ?

J’ai commencé par rencontrer les gens qui la connaissaient. Et plus j’en voyais, plus j’étais embrouillée. Tout le monde l’avait très bien connue, tout le monde était son meilleur ami… On m’apportait sans cesse des réponses à des questions que je n’avais pas posées. Et personne ne me racontait la même chose. Si bien que, dès que je croyais attraper une idée, je me rendais vite compte que ce n’était pas ça. J’ai donc dit à Diane (Kurys) : ce n’est pas la bonne méthode ; je vais faire autrement.

Comment vous y êtes-vous prise ?

J’ai fait comme les gamins qui apprennent l’anglais. Ils  » mimétisent « . Diane a acheté des documents à l’INA ( NDLR : Institut national de l’audiovisuel, en France) que j’ai regardés sur l’ordinateur. J’ai écouté en boucle Avec mon meilleur souvenir, lu par Sagan. Je prenais des petits bouts d’elle, à 20 ans, à 30 ans, et je bougeais comme elle. Je ne faisais que ça, imiter, ses moues, ses chantonnements. Je sentais que ça venait. Je suis allée voir un ami logopède qui m’a confirmé que j’avais trouvé quelque chose. Et, un jour, j’ai pu dire à Diane : ça y est, j’ai chopé un truc ! Elle était terrorisée… Mais, à partir de là, j’ai pu mettre Sagan un peu de côté. Et entrer dans les textes de Diane. Ce n’est pas du tout la même chose de répéter des phrases de Sagan et de prendre des phrases de Diane et d’y coller Sagan. Finalement, pendant le tournage, j’ai tout oublié. Est resté ce qui est resté. Une chose est sûre : je ne  » joue  » pas Sagan.

Vous restituez pourtant cette diction très particulière qui faisait aussi son charme…

J’ai amoindri ! A 18 ans, elle ne parle pas, elle chante. Il fallait alléger. Plus tard, sa manière de parler change. Les mots sont bloqués, comme s’ils se pressaient trop nombreux. Comme s’ils ne suffisaient jamais pour se faire comprendre. Elle a toujours besoin d’ajuster, de préciser, et elle n’y parvient jamais tout à fait. Le rythme de la langue parlée en dit beaucoup sur quelqu’un. C’est son horloge interne.

Sagan venait d’un milieu bourgeois qu’elle n’a jamais renié. Posséder les attitudes, les codes, c’est quelque chose qu’on apprend tout petit. N’était-ce pas une difficulté supplémentaire ?

C’est même la première que Diane a soulevée. Comment attraper le maintien, la manière de parler… Je viens d’un milieu populaire. Mais j’ai essayé. Le temps d’un film, ça peut fonctionner. D’autant que, pour l’essentiel, je tenais le fil. Je comprenais sa quête. Elle n’est peut-être pas si éloignée de la mienne.

La transformation de votre visage, quand vous incarnez la Sagan des dernières années, est spectaculaire. J’imagine que vous voir vieillie a créé un choc ?

Je n’aime pas les déguisements. Mais les maquilleurs ont été incroyables. Ils ont suivi mes traits pour y appliquer les changements, détail par détail, comme un puzzle. Le visage est resté mobile. Je pouvais tout faire, rire, fumer… Même au toucher, c’était stupéfiant. J’avais cette peau détendue, un peu molle… La perruque a été coupée sur moi. Il fallait compter cinq heures chaque matin. La première fois que je me suis regardée, j’ai pensé pendant trois secondes que j’étais devenue dingue. Je me ressemblais. C’était comme si j’étais vieille et que je me souvienne d’aujourd’hui…

Vous diriez de Sagan que c’était une femme libre ?

Oui, si on mesure sa liberté en considérant la longueur de la chaîne à laquelle elle était attachée. Elle ne s’interdit rien. Elle ne revendique rien. Elle est intelligente. Elégante. Jamais vulgaire.

Connaissiez-vous ses £uvres ?

Seulement Bonjour tristesse et Un château en Suède. J’ai lu les autres. Et, là, j’étais ahurie ! C’était complètement fleur bleue. Rien à voir avec ses livres de souvenirs ou avec les entretiens. Avec Derrière l’épaule, par exemple, que j’adore.

Le fait d’être écrivain vous a-t-il aidée ?

Je n’ai pas vraiment l’impression d’être écrivain ! Ecrire, c’est ma récréation. Un peu comme mon fils qui organise le soir le débriefing de sa journée quand il joue. Mais j’ai l’expérience d’une chose : au moment où il écrit, l’écrivain n’a pas de meilleur pote que ce qu’il écrit. Il vit dans une solitude entourée. Quoi qu’il se passe autour de lui, il reste accroché à ce qu’il raconte.

Est-ce qu’on garde quelque chose en soi après avoir interprété un tel personnage ?

Oui. Son absence de vulgarité. Une certaine manière de voir les situations, de vivre les instants… Regardez : nous sommes à Paris, en terrasse, au bord du soir, il fait beau, les gens passent sur le boulevard Saint-Germain… C’est vivant, c’est clair. C’est Sagan.

Propos recueillis par Marie Desplechin

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