Elles sont les nouvelles valeurs montantes de la mode londonienne. Sous le label Tata-Naka, les jumelles géorgiennes, qui ont habillé Sarah Jessica Parker dans la saison 6 de  » Sex and the City  » et qui défileront en octobre à Milan, se racontent. Entre quotidien à Chelsea et souvenirs d’enfance en Géorgie.

Carnet d’adresses en page 177.

Pendant que l’une dessine, l’autre brode. Seulement quinze petites minutes les séparent. Tamara,  » l’aînée « , se dit volontiers plus calme, alors que Natasha serait davantage tributaire de ses émotions. Depuis leur enfance, les jumelles géorgiennes ne font qu’un bloc au point que leurs parents ont réuni leurs prénoms sous cette délicieuse appellation, Tata-Naka. Tata pour Tamara et Naka pour Natasha. A l’âge de 6 ans, elles griffonnent déjà ensemble des croquis et organisent, pour s’amuser, des petits défilés de mode. A 14 ans, elles quittent leur pays pour la Suisse où elles reçoivent une éducation internationale. Après un détour par les Etats-Unis, c’est à Londres, au Central Saint Martins College of Fashion qu’elles décident d’apprendre la mode en 1996. Présentée en 2000, leur collection de fin d’études, très remarquée, est immédiatement raflée par le grand magasin new-yorkais Barneys et par des acheteurs japonais. Devant un tel succès, les deux s£urs Surguladze décident alors de créer sous le label unique Tata-Naka. En maintenant deux lignes, Tata-Naka et Stolen Memories, plus vintage. Car pour les deux jeunes femmes, la mode est affaire d’individualité et fait appel aux mémoires du passé.

Romantiques, elles aiment l’idée que les vêtements aient une âme. Dans une de leurs premières collections, elles avaient d’ailleurs distillé, avec humour, des références aux symboles communistes ; pour l’été 2005, elles reproduisaient aussi sur des imprimés les papiers peints de la maison de leur grand-mère, en Géorgie. Et la collection hiver 2005-2006, présentée dans la section Nude (New upcoming designers) à Milan, a également pour point de départ la pièce d’un auteur et marionnettiste géorgien, Rezo Gabriadze, intitulée  » The Battle of Stalingrad « . Une collection constituée de vêtements extrêmement travaillés, minutieusement brodés et abondamment accessoirisés. L’originalité de Tata-Naka tient en effet à d’énormes colliers cousus dans les pulls, à de gros pendentifs en métal doré, à des lunettes de stars dont les branches ont été remplacées par des perles ou encore à des bottes larges qui viennent casser la fluidité d’une jupe. Les deux s£urs de 27 ans réunissent toujours dans leur collection leurs souvenirs d’enfance qu’elles mêlent avec subtilité à l’air du temps sans jamais céder à la facilité des tendances.

En octobre, elles entreront dans le calendrier officiel de la semaine de la mode de Milan où elles présenteront leur collection printemps-été 2006. Une façon d’asseoir la réputation de ces deux Londoniennes d’adoption, dont la mode a déjà séduit des actrices comme Cameron Diaz, et qui peuvent se targuer d’avoir habillé Carrie, alias Sarah Jessica Parker, dans la sixième Saison de la série américaine  » Sex and the City « . Un fabuleux coup médiatique pour les jumelles qui ne prennent pas pour autant la grosse tête, se tiennent à l’écart du milieu de la mode et vivent à Chelsea comme dans un village, où elles ont reproduit les habitudes de leur pays. Car, même si elles adorent la vie londonienne, les deux Géorgiennes, aussi chaleureuses que démonstratives, n’ont pas été gagnées par la réserve anglo-saxonne. Depuis leur atelier de Fulham Road où, ce jour-là, le ciel d’un bleu intense invite à se livrer, elles nous parlent avec passion de leur pays, de leurs souvenirs d’enfance dans la maison de leur grand-mère, de l’ex-Union soviétique qu’elles ont vu s’effondrer, de la nouvelle Moscou qu’elles adorent pour son exotisme et son art de mélanger, avec nostalgie, nouvelles valeurs occidentales et vieux symboles soviétiques. Même si elles parlent en leur nom propre et préfèrent l’individualité d’un  » je  » au  » nous  » collectif, c’est ensemble que Tata et Naka répondent à nos questions. Pendant toute la durée de l’entretien, Tamara ne quitte jamais son ouvrage des mains et continue à broder, comme par réflexe.

Weekend Le Vif/L’Express : Votre pays d’origine, la Géorgie, est-il toujours présent dans vos collections ?

Tata-Naka : Oui, mais toujours de manière subtile. On le retrouvera dans le travail des broderies par exemple, dans un bouton militaire fait à la main en Géorgie, dans des bijoux assez volumineux comme ils se portent là-bas, dans l’utilisation de l’émail, dans des vêtements tricotés à la main… Dans cette idée aussi que tout sert, rien ne se perd. En Géorgie, on apprend à faire de tout avec n’importe quoi. Pour la collection de l’été précédent, nous avions reproduit sur des imprimés le papier peint de la maison de notre grand-mère qui était recouvert d’annotations, de messages téléphoniques rapidement griffonnés sur le mur, de mots de visiteurs laissés en souvenir… Souvent, comme point de départ de nos collections, nous partons d’une référence à une musique, un film, un paysage, une pièce de théâtre de notre pays…

Justement, pour votre défilé automne-hiver 2005-2006, le point de départ est une pièce de théâtre d’un auteur géorgien…

Oui, cette pièce raconte comment la guerre affecte des histoires d’amour quotidiennes, entre une mère et son enfant par exemple. Nous avons joué sur l’art de l’illusion en introduisant dans notre défilé le son d’un hélicoptère, le bruit d’un train… Nous avons également emprunté à l’univers de l’auteur, Rezo Gabriadze, les vestes militaires, que nous avons accessoirisées de grosses boucles en métal. Et nous avons travaillé sur le style masculin-féminin à travers des silhouettes qui associent, par exemple, des bottes militaires à des jupes très fluides, plus romantiques.

Que pensez-vous du vent de l’est qui souffle cet hiver sur la mode ?

C’est un peu cliché. Docteur Jivago, par exemple, c’est vu et revu. Il y a beaucoup plus que cela à explorer dans la culture d’Europe de l’est. L’ex-Union soviétique comprend quinze républiques et toutes sont tellement différentes les unes des autres. Vous ne trouverez pas les mêmes traditions en Russie ou en Géorgie, qui est beaucoup plus sudiste, plus influencée par la Turquie, par exemple.

Lors d’une de vos premières collections, vous aviez utilisé les symboles du régime soviétique. Cela vous a valu à l’époque quelques critiques…

On avait utilisé des références communistes comme le marteau. C’est une collection qui avait été controversée, notamment aux Etats-Unis. Mais nous l’avions fait avec humour, pour montrer que la propagande à cette époque était partout. Bien sûr, nous ne sommes pas communistes mais cela fait partie de notre culture, nous avons été témoins de la chute du communisme. Nous pensons que nous avons, en tant que Géorgiennes, plus de légitimité que quiconque à parler de ces choses-là. Cette collection avait eu beaucoup de succès au Japon.

Avez-vous participé à la semaine de la mode de Moscou ?

L’an dernier, nous avons été invitées à la semaine de la mode de Moscou en tant que créateurs britanniques. En fait, il y a plusieurs semaines de la mode à Moscou, mais ce n’est pas un rendez-vous intéressant d’un point de vue commercial, pas autant que Milan ou Paris. Le problème avec les Russes, c’est qu’ils ne prennent pas leurs propres créateurs au sérieux et préfèrent, lorsqu’ils ont de l’argent, acheter de grandes marques étrangères. En mode, le pays souffre d’un manque d’écoles, comme on en trouve à Londres, par exemple. Moscou est pourtant une des villes les plus excitantes au monde pour son exotisme. Nous aimerions faire quelque chose pour la création de mode là-bas, peut-être un jour ouvrir une école…

Tata-Naka se vend un peu partout dans le monde. Votre mode est d’ailleurs assez chère…

On vend à Hong-Kong, au Japon (où notre ligne enfant, Tata-Naka Shrunk, a également beaucoup de succès), en Arabie Saoudite, aux Etats-Unis, en Italie et en Grande-Bretagne. Nos vêtements sont assez chers mais nous avons remarqué que plus ils sont chers, plus ils ont du succès…

Parlez-nous de votre expérience pour la série  » Sex and the City « …

Dans la saison 6 de  » Sex and the City « , Carrie, alias Sarah Jessica Parker, porte une robe Tata-Naka. Ce qui est génial, c’est qu’elle s’affiche aussi sur les photos de la campagne de promotion de la saison 6 avec cette robe. C’était incroyable le retour médiatique que nous avons eu ! On recevait des appels de partout, des mails de l’Ohio nous demandant où l’on pouvait acheter cette robe. Bien sûr, elle a été très vite en rupture de stock. Sarah Jessica Parker l’a aussi achetée pour elle. Samantha, l’autre héroïne culte de la série, porte également, dans la saison 6, de grosses boucles d’oreille Tata-Naka.

Envisagez-vous d’ouvrir une boutique ?

On y arrivera très vite, notre projet est d’en ouvrir une à Londres. Une boutique, c’est quand même le meilleur moyen de présenter notre univers.

Quelle est votre définition de la mode ?

La mode n’a rien à voir, selon nous, avec les tendances. Nous refusons cette dictature. Nous aimons le style mais pas la mode. Le style est individuel, il consiste dans l’art de mélanger les vêtements. Selon nous, le style doit exprimer un certain romantisme, une nostalgie, une sensibilité, les mémoires du passé et de l’humour aussi.

Avez-vous toujours créé ensemble ?

Quand nous étions petites, nous dessinions ensemble. Puis, plus tard à Saint Martins, nos professeurs nous ont encouragées à dessiner deux collections séparées car nous avions deux styles différents. L’une était plus romantique, plus axée sur les broderies, plus vintage, l’autre plus intéressée par le travail de la coupe. Finalement, nous avons choisi de réunir les deux collections sous le label unique de Tata-Naka.

Est-ce difficile de travailler ensemble ?

Au contraire, c’est très facile. Nous nous entendons très bien. Ainsi, on n’est pas seules, on se soutient et on se fait confiance. Cela nous donne de la force. Notre proximité apparaît étrange aux yeux de certaines personnes mais, en Géorgie, la famille est une valeur très importante. Là-bas, aucun de nos amis ne trouverait ça bizarre. C’est naturel. Et quand on se dispute, au moins ce n’est jamais vraiment sérieux.

Vos parents vous ont-ils encouragées à vous lancer dans la mode ?

Certainement. Et pourtant, en Géorgie, la mode n’était pas très reconnue. Il était plutôt question de théâtre, de peinture, mais jamais de mode. Nos parents ne sont pas du tout dans ce milieu. L’un est médecin, l’autre dans les affaires, mais ils ont une âme d’artiste et sont très ouverts. Ils nous ont toujours laissé faire ce que l’on voulait.

Avez-vous encore le temps d’avoir une vie privée ?

Oui, heureusement. Lorsque vous avez votre propre business, il faut impérativement profiter de la vie, avoir une vie sociale à côté.

Ensemble ou séparées ?

Ensemble. Nous avons les mêmes amis, nous allons dans des dîners, au café ou danser.

Et les mêmes petits amis ?

( Rires) Nous avons toujours eu des petits amis différents. D’ailleurs, il n’y a jamais eu de jalousie entre nous car nous ne trouvons jamais les mêmes garçons attirants. C’est marrant mais immédiatement, ils savent nous distinguer !

Agnès Trémoulet

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