Autrefois marginal, le tatouage ne se cache plus. Qu’il soit tribal ou haut en couleur, hommes et femmes de tous milieux l’affichent aujourd’hui sans complexe. Preuve de sa nouvelle normalité : la mode et la pub s’en sont emparés. Pas pour choquer mais pour faire vendre.

Lorsque David Beckham prend la pause en slip dans un ancien vestiaire de l’East London, il n’a rien d’un bad boy mais tout d’un sex-symbol reconverti pour l’occasion en designer de sous-vêtements. Si pour (espérer) lui ressembler, il pourrait suffire dans ce cas-ci de passer à la caisse du magasin H&M le plus proche de chez vous, l’autre option nettement plus douloureuse consiste pour un grand nombre de fans de l’ex-milieu de terrain du Paris Saint-Germain à s’offrir un copier-coller de l’un de ses nombreux tatouages, presque plus visibles et désirables sur les images de la campagne que les dessous dont il fait la promo.

Et c’est bien là tout le paradoxe : ce qui symbolisait encore il y a peu la  » rebelle attitude  » par excellence ne serait plus aujourd’hui qu’une forme de conformisme comme une autre, un signe de soumission à la starmania qui fait rage avec d’autant plus de vigueur que l’Internet à haut débit nous bombarde d’images.  » Une des clés de la popularité du tatouage est certainement la facilité de circulation des photos qu’a permise l’émergence du Web, note Anna Mazas, auteure (tatouée) du livre Life Under My Skin : 40 portraits of tattoos (1). La Toile a changé la donne : à partir du moment où les clients potentiels n’avaient plus à se déplacer physiquement pour découvrir les books des artistes, tout est devenu plus facile. Partout et à tout moment, on peut aujourd’hui échanger des informations sur le sujet.  » Exposé, normalisé, ces dessins à l’encre, longtemps réservés aux marins, aux bikers et aux prisonniers, sont peu à peu devenu acceptables pour tous.

 » En moins de deux générations, le tatouage s’est banalisé, constate Chris Paulis, docteur en anthropologie à l’Université de Liège. Il s’est répandu dans tous les publics. Au début, on pouvait encore différencier les pratiques des couches sociales plus aisées, qui choisissaient plutôt un motif discret ou symbolique, des classes dites populaires qui optaient pour des dessins plus voyants. Aujourd’hui, cette distinction n’existe plus.  »

Les hommes de tous milieux, mais aussi les femmes, n’hésitent plus à se couvrir le corps de tatouages colorés qui les habillent comme une seconde peau.  » Il faut y voir le signe de l’émancipation des femmes au sens large, précise la psychothérapeute britannique Lucy Beresford. Elles ont le droit de voter et d’être propriétaire, ce qui était impensable il y a un siècle encore. Elles ont pris le pouvoir, ce qui a eu un impact évident sur leur apparence physique. Elles osent plus, sont plus créatives, plus indépendantes d’esprit. En même temps, le tatouage est aussi synonyme de sensualité, ce qui plaît aussi à celles qui veulent être indépendantes sans éprouver le besoin de se montrer agressives.  »

UN SIGNE DE RALLIEMENT

Porté de manière visible, comme un bijou finalement, le tatouage devient un signe de ralliement, voire un outil de drague aussi efficace qu’un chien pour briser la glace.  » Parce qu’il attire l’attention, qu’il interpelle, il sert de prétexte pour engager la conversation, ajoute Chris Paulis. Il finit par incarner des valeurs de socialisation et de convivialité. A travers lui, on affiche son appartenance à une tribu. Mais cela n’a plus rien à voir avec les rites ancestraux de marquage. Autrefois, c’était obligatoire. Maintenant c’est choisi. Et l’on est bien souvent dans le mimétisme. On se tatoue pour ressembler à une star qu’on vénère. Star qui elle-même n’a aucun droit de regard là-dessus et n’a, que ça lui plaise ou non, d’autre choix que de laisser faire.  »

S’il ne sent plus le soufre, le tattoo reste encore suffisamment edgy pour inspirer la pub qui ne se prive pas d’y faire référence de manière plus ou moins détournée. Lorsqu’il s’agit de lancer le masculin Brit Rhythm, le patron de Burberry, Christopher Bailey, mise sur le marketing viral pour distribuer en avant-première aux fans de la marque un échantillon peu commun puisqu’il s’agit d’un mini-tatouage parfumé ayant la forme du futur flacon, sorte de signe d’appartenance à ce que l’on pourrait appeler la tribu rock’n’roll du tartan. Dans la campagne du parfum Florabotanica de Balenciaga, l’actrice Kristen Stewart voit une fleur vénéneuse lui envahir le dos comme un tatouage, à la manière de celui qui électrise la chute de reins d’Anna Brewster, égérie de la version Tattoo de Loverdose, la dernière fragrance Femme de Diesel. Un qualificatif qui sied aussi à la nouvelle ligne de lingerie Simone Pérèle dont les broderies, qui empruntent les codes du tatouage, se révèlent à fleur de peau.

 » Le fait que la pub se soit emparée du tatouage est une preuve de plus qu’il est devenu respectable, nuance Chris Paulis. La pub ne fait que cautionner l’idée parfaitement admise qu’il n’a plus rien de marginal, qu’il ne faut plus en avoir peur ni le regarder de haut. Le tatouage peut aujourd’hui faire partie du « vestiaire » de n’importe qui.  » Qu’on choisisse de l’arborer pour la vie ou pour quelques heures grâce à des modèles éphémères plus vrais que nature. L’illustratrice belge Claire Laffut – à qui la boutique bruxelloise prescriptrice de tendance Hunting & Collecting vient de commander un logo de peau – s’est d’ailleurs lancée dans le business et propose même sur son site des conseils d’application (2).

 » La démarche est complètement différente, insiste Chris Paulis. D’après les études que j’ai pu mener sur le sujet, à peine 3 % des personnes qui utilisent des tatouages éphémères franchiront un jour le pas du véritable tattoo. Ici, il n’est pas question de marquage mais d’embellissement. En revanche, ce que l’on constate de plus en plus, c’est que les gens qui se font tatouer ne passent plus par la case « petit motif discret » mais foncent tout de suite, souvent sans réfléchir, vers quelque chose de voyant et d’imposant. En oubliant que c’est définitif. Sans se poser de questions sur la manière dont ce tatouage va vieillir.  »

Popularisée par les défilés de Jean Paul Gaultier, de Chanel et plus récemment d’Haider Ackermann, l’idée du tattoo pour tous pourrait bien devenir à son tour une victime de la mode.  » Ceux qui utilisaient le tatouage pour se singulariser risquent de le trouver trop mainstream et d’opter pour des signes distinctifs plus radicaux, conclut Chris Paulis. On touche alors véritablement à l’intégrité du corps, on n’hésite pas à se mettre en danger. La quête est particularisante, pas esthétique. Et c’est encore perçu par les gens qui ne pratiquent pas ce genre de modifications comme quelque chose de très agressif.  »

L’émergence du tatouage blanc – déjà plébiscité par Rihanna et Lindsay Lohan, entre autres – qui se rapproche davantage de la scarification en est déjà une évidence. Résister à cette lame de fond, ce sera peut-être un jour oser une autre forme ultime de subversion : un corps vierge de toute trace d’intervention.

(1) Editions de Conti, ouvrage bilingue anglais-français.

(2) www.laclaire.be

PAR ISABELLE WILLOT

Une forme de conformisme comme une autre, un signe de soumission à la starmania.

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