TERRACOTTA & TESTOSTÉRONE

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L’ubiquité du digital et la pression sociale ont imposé le diktat de la peau parfaite en toutes circonstances. Et les hommes n’y échappent pas. Mais, encore aujourd’hui, très peu d’entre eux sautent le pas et achètent des produits  » bonne mine « .

A l’ère de Photoshop et d’Instagram, les hommes comme les femmes ont des attentes similaires : camoufler les imperfections, masquer les premiers signes de l’âge, illuminer la carnation et assurer un regard vif au quotidien. Puisque l’outil correcteur localisé n’est pas utilisable dans la vraie vie et parce que, malheureusement, on ne peut pas se promener en rue flatté d’un filtre Valencia, les grands labels de la beauté proposent désormais des produits teintés – souvent appelés soins  » d’apparence  » ou  » d’embellissement  » pour ne froisser aucun ego – spécialement conçus pour les gentlemans ou tout simplement unisexes. Si on nous promettait leur boom depuis des lustres, ils restent destinés à un marché de niche et les ventes plafonnent. Pour preuve, le site Horace.co – spécialiste en grooming masculin – n’offre aucun article coloré.  » Sur notre millier de clients, nous n’avons reçu qu’une demande pour une BB crème. De notre côté, nous prônons plutôt une exfoliation et une hydratation adéquate qui régénèrent la peau pour avoir le teint frais « , explique Marc Briant-Terlet, le fondateur.

VERS UNE ÉVOLUTION

Dans la plupart des cas, ce type de produits ne perce pas les normes établies par la société en Europe. Il reste lié à la notion de féminité ou à la question de la sexualité – la communauté gay a beaucoup travaillé pour libérer des contraintes liées à la virilité et à l’hyper-masculinité. Néanmoins, les choses changent progressivement. Le dandy d’aujourd’hui soigne davantage son apparence. Notamment, le terme – autrefois péjoratif –  » métrosexuel  » n’existe plus de par sa généralisation. Cette année, L’Oréal Paris a choisi, pour la première fois de son histoire, un homme pour une campagne de maquillage. Gary Thompson, blogueur britannique, encourage ses semblables à mettre leurs atouts en avant et espère faire évoluer les mentalités. De la même manière, de plus en plus de Youtubeurs – comme, Jake Ward alias  » The Beauty Boy  » en Grande-Bretagne et Maxime Makeup en France – proposent des tutoriels pour ceux qui désirent s’essayer à l’art du contouring. En général, ils utilisent des articles destinés au marché féminin, ce qui explique – en partie – les faibles ventes de ceux consacrés au sexe dit fort. De la même manière, Anouchka de Bellefroid, make-up artist belge spécialisée dans l’événementiel, précise :  » Lorsque je réalise un maquillage masculin, j’utilise des textures très légères, presque transparentes. Cela ne doit pas être vu ou senti. Et je trouve tout ça dans la gamme Femme. Finalement, une BB crème, c’est un fond de teint discret.  » Et si, à l’avenir, les correcteurs et autres bronzers se débarrassaient une bonne fois pour toutes des cadres genrés qui les emprisonnent maintenant ?

PRATIQUE ANCESTRALE

On sait désormais que l’être humain porte des cosmétiques depuis la nuit des temps. Dans l’Égypte ancienne, les pharaons se maquillent les yeux pour exprimer leur statut social. Durant l’Empire romain, l’ancêtre du rouge à lèvres prend des allures militaires et colore la bouche des généraux de guerre. Il y a quelques siècles, il était courant pour les aristocrates anglais et français de se poudrer le visage et de se rougir les joues. Vers la fin du XIXe, le maquillage masculin tombe finalement en désuétude dans le monde occidental. Actuellement, le phénomène persiste encore, mais très localement. En Corée du Sud, les mecs achètent plus de produits cosmétiques qu’ailleurs sur la planète – et quatre fois plus qu’au Danemark, second pays sur la liste. Les critères de beauté étant très élevés, ceux-ci optent tout naturellement pour des CC crèmes. On retrouve également cette tendance – mais pas forcément maîtrisée – dans les plus hautes sphères de la politique mondiale. Ainsi, plusieurs quotidiens britanniques ont révélé que leurs ex-premiers ministres Tony Blair et Gordon Brown – plutôt branché Clinique et Guerlain – dépensaient des milliers de livres en soins couvrants. De son côté, Benyamin Netanyahou débourserait – selon le quotidien israélien Haaretz – la somme astronomique de 20 000 euros par an dans le domaine de la beauté. Sans grande surprise, Donald Trump et Silvio Berlusconi s’ajoutent à cette énumération. Le marché existe donc malgré tout et les marques l’ont bien compris, certaines d’entre elles peut-être un peu trop tôt.

DANS LES RAYONS

Guerlain est le premier, en 1988, à présenter une Terracotta Men – qui n’est plus disponible à l’heure actuelle. La poudre ultramate était non irisée et non pailletée, contrairement à son équivalent féminin. Quinze ans plus tard, Jean Paul Gaultier lance sa collection  » Tout beau, tout propre  » – sobrement rebaptisée  » Monsieur  » et finalement retirée des magasins. Il confiait, à l’époque, à l’hebdo français L’Express Styles :  » Contrairement aux idées reçues, ce territoire n’est pas la chasse gardée des femmes. L’homme aussi doit suggérer le désir.  » Avant-gardiste comme à son habitude. On y trouvait, entre autres, un fluide qui donne bonne mine, un baume légèrement pigmenté pour rehausser la couleur naturelle des lèvres et un crayon noir pour souligner les yeux ténébreux. Aujourd’hui, des créateurs comme Tom Ford et Marc Jacobs lui emboîtent le pas. Cet été, M.A.C a collaboré, pour la deuxième fois, avec Peter et Harry Brant – les fils du top model Stephanie Seymour – pour la création d’une ligne qui convient à tous les genres. On retrouve, ici et là, un Face Bronzer chez Clinique For Men et des crèmes camouflantes chez Biotherm Homme et Erborian. A l’instar de M.A.C, la réelle tendance est au no gender avec des packagings épurés et des communications qui s’adressent à tous – comme chez Kiehl’s, Guerlain et Annayaké.  » J’ai travaillé longtemps en parfumerie et les produits spécifiquement masculins, c’est souvent une histoire de marketing. C’est pourquoi j’opte pour une crème teintée unisexe en hiver « , explique Thomas Briffeuil, 35 ans, indépendant. Une véritable redéfinition de la beauté à une époque clé sur les questions de l’identité, du genre et de la sexualité.  » Utiliser un peu d’anticerne pour couvrir un bouton ou une rougeur n’a rien à voir avec le fait de ressembler à une femme, confiait il y a peu Tom Ford au magazine GQ US. N’ayons pas honte de vouloir présenter la meilleure version de nous-même « . Messieurs, vous savez désormais ce qu’il vous reste à faire.

PAR YORIS BAVIER

 » CONTRAIREMENT AUX IDÉES REÇUES, CE TERRITOIRE N’EST PAS LA CHASSE GARDÉE DES FEMMES. L’HOMME AUSSI DOIT SUGGÉRER LE DÉSIR.  »

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