Mêlée, moulée, cuite. De cette terre originelle qui pétrit le premier homme naissent aujourd’hui comme hier des carreaux de noble facture. Aux franges de la ville de Mantoue perdure une tradition ancestrale chère au Tessin et à la Lombardie.

Paysage nimbé de poussière ocre. Ciel aux tons terreux. Odeur de terre humideà Nous sommes en pleine terre, celle de Borgoforte. Ce petit bourg agricole abritait au siècle dernier des centaines de poteries, briqueteries et autres tuileries. Aujourd’hui, seule la Fornace Polirone demeure, immuable, dans sa manufacture édifiée à l’aube du xixe siècle. Un fleuve souverain, le Pô, aux alluvions chargées d’argile bien moelleuse, et les premiers pâtons voient le jour : ils ont le teint plutôt grisâtre avant leur séjour dans le fourà Ces tons de  » terre de soleil « , si flatteurs, se révèlent à la cuisson ! Et si les belles teintes unies, du rouge à l’ocre rose, du sépia au terre de Sienne, du noir d’ébène en passant par les gris volcan, sont la base de la manufacture, c’est sans nul doute le variegato – littéralement  » bigarré  » – qui fait se pâmer les tifosi du vrai, les amoureux de la terre, les chantres de l’authentique ! La technique, proche de la pâte feuilletée en pâtisserie, s’apparente à celle des terres mêlées des faïences d’Apt (Vaucluse)à Appliquée aux pavements, elle génère des sols subtilement nuancés, en accord parfait avec l’architecture vernaculaire en brique des grandes fermes mantovanes. Le savoir-faire ne s’improvise pas, la mixture a ses formulesà Un savant mariage de terres de diverses provenances, dont l’argile rose de Lombardie et l’argile jaune du Piémont, mêlées à des argiles noires, crée des variations de tons à l’infini. Mais chut ! C’est un secret ! Outre la couleur, la main de l’homme imprime les mouvements. Ainsi éclosent ces motifs aléatoires en formes de vagues, de marbrures, de plumes, de nuages, de taches, de rayuresà  » Tutto e possibile !  » nous dit-on chez Polirone ! Chaque carreau est différent, unique en ton, unique en graphisme ! Et il peut être réalisé selon vos desiderata (ton, formeà). Quant aux formats : de la navette aux demi-lunes en passant par les hexagones ou les bâtonnets, la palette est infinieà C’est que, outre les carrelages, la Fornace Polirone fabrique des éléments architecturaux : pilastres, chapiteaux, génoises, marches, épis de faîtage… sont au catalogue ! Le tournis vous saisit devant les myriades de modules destinés à un mystérieux usage ! Au préalable, chacun fait l’objet d’une forme en noyer, le stampo qui lui servira de moule, dont des  » troupeaux  » emplissent les réserves de la fabrique ! Il signore Roberto Pasqualini et son associé, Alberto Cappelli, veillent aux destinées de cette manufacture hors norme, qui semble inchangée depuis deux sièclesà Un nouveau four vient toutefois d’être inauguré pour venir à la rescousse des deux anciens datant de l’origine de l’édificeà Les quatre jours et quatre nuits de chaque fournée vont être réduits de moitié et, surtout, la manutention sera moins lourde, plus mécanisée : une révolution en somme, pour cette vénérable maison dont toute la production est générée par la main de l’homme. La main italienne a du talent : les hautes sphères transalpines ne s’y sont pas trompées ! Elles ont fait, et font toujours, appel à Polirone pour les restaurations de prestige, les grands monuments, les églises… Ainsi, c’est la Fornace qui a  » commis  » les dallages de la Scala de Milan, la restauration du Palais ducal de Mantoue, nombre de palais vénitiens et autres villas palladiennes ! Et si le travail de la fabrique est noblement représenté sur les modénatures des maisons patriciennes, il est aussi visible sur les claires-voies (frangisole ou brise-soleil) des fenils, ou les sols des cuisines rurales les plus modestesà Polirone, imperméable à la modernité ? Pas vraimentà Les  » nouveaux tons « , variation de gris au noir, très tendance, font une percée en terre cuite unie et surtout en variegato ! Mais Polirone, outre la sophistication extrême, sait aussi servir la simplicité de l’utile, à prix accessibles. Néanmoins, une clientèle d’esthètes cultivés et amateurs de bel ouvrage considère le délai comme un privilège et la facture comme la juste rançon à payer pour obtenir l’aristocratie des sols : unique et à la fois réédité depuis des temps immémoriaux ! Un vrai luxeà

Carnet d’adresses en page 48.

Alix de Dives – Photos : Bernard Touillon

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content