Esprit brasserie et cuisine de tradition ont la cote à Paris. Remixé ou brut de décoffrage, l’authentique fait recette.

Carnet d’adresses en page 64.

P aris, dans le quartier du Louvre. Avec son mur de béton brut, son alignement d’ampoules nues basse tension et ses parois laquées rouge, le restaurant Hamaïka a la cote. Consécration,  » Maps « , l’émission ultratendance de la chaîne câblée Paris première, lui a consacré tout un reportage. Inaugurée depuis quelques mois à peine, l’adresse séduit une clientèle branchée pour qui le cadre est no 1 dans le plaisir de se retrouver autour d’une table. Rien de bien neuf pourtant a priori sous le ciel parisien habitué à voir fleurir les enseignes plastiquement irréprochables. Une particularité cependant, l’Hamaïka est un restaurant 100 % basque. Au menu : l’imparable axoa, ce délicieux hachis de veau gratiné ou le gosnoa, le fameux fromage de brebis accompagné d’une confiture de cerises noires.  » Des plats traditionnels où la fantaisie n’est pas de mise « , reconnaît sans détour le patron des lieux, Benjamin, 30 ans, originaire de Biarritz.  » Mais ce n’est pas parce qu’on propose une cuisine régionaliste que l’on doit jouer la carte de la ringardise.  »  » Indépendamment de la cuisine, nous avions envie d’introduire une touche contemporaine, poursuit Béatrice, sa compagne. Les premiers travaux d’aménagement ont consisté à virer tout le décor de l’ancienne brasserie avec ses dorures et ses coffrages biseautés !  » Certes, le Montijo, le jambon de Bayonne, et les piments d’Espelette, deux produits typiquement basques, pendent au-dessus du comptoir mais pour le poster géant de joueurs de chistera, il faudra chercher ailleurs…  » L’Hamaïka est un endroit vrai mais sans manières, s’enthousiasme Léa, une jeune public relations, adossée à sa chaise en bois. Un lieu d’aujourd’hui avec une esthétique contemporaine mais qui ne cède pas au branchouille à tout prix et ça fait du bien !  »

Signe des temps pour certains observateurs : la faillite du Korova, le restaurant branché de la star du petit écran Jean-Luc Delarue, et les difficultés rencontrées par le très select Nobu dans le VIIIe arrondissement, ont accentué un mouvement de balancier en faveur du terroir.  » Moins de clinquant et plus d’authenticité ? se demande un critique gastronomique qui préfère garder l’anonymat. Il faut relativiser… La chute d’un temple de la restauration parisienne aux allures de dance-floor, qui a périclité d’abord pour des raisons de gestion, ne signifie en rien la fin du concept branché. Peut-être juste un peu plus de méfiance… Le public consommateur de mode, de design et de musique, est prêt à jouer le jeu de la branchitude mais à condition de ne pas se sentir floué. En ce sens-là, un certain retour aux valeurs sûres est dans l’air du temps. L’AOC (l’Appellation d’Origine Contrôlée) ne s’est jamais aussi bien portée mais d’un autre côté, le sacro-saint terroir, avec toute sa connotation conservatrice, n’est pas le nouveau sésame. Le terroir se doit de renouveler son image, moins ennuyeuse, moins bedonnante si j’ose dire.  »

Au Square Trousseau, Philippe Dom, 45 ans, revendique le look brasserie d’époque brut de décoffrage qui fait la renommée de son restaurant. Ni lampes de designers, ni notes électro-pop en guise d’accompagnement sonore. Quasi intact depuis 1907 avec ses rideaux en dentelle et son zinc d’origine, le bistrot était le fief de Mistinguett et de Gabin qui venaient s’y encanailler.  » Il faut se souvenir qu’ici, au-delà de la Bastille, c’était un repaire de mauvais garçons où personne n’osait s’aventurer… aujourd’hui, c’est devenu le quartier des bobos !  » lance-t-il assis à la table 22, celle du styliste Jean Paul Gaultier, grand habitué de la maison, au même titre que le producteur Marin Karmitz, table 38, ou l’architecte Jean-Michel Wilmotte, qui s’assied n’importe où pourvu qu’il y ait une table de libre.  » J’ai repris les lieux en 1986 et ça n’a jamais désemplit.  » Réputé pour servir l’un des meilleurs jarrets demi-sel aux lentilles de la capitale û une institution franco-française ! û, Philippe Dom réveille les papilles d’une touche trendy grâce à une belle sélection de vins non soufrés et le choix exclusif de pain bio.  » Je ne renie pas le décor couleur locale pour autant, avoue-t-il. Le cliché nappe à carreaux et carafe Ricard, la clientèle en raffole, y compris les Parisiens.  » Le décor du Square Trousseau est très prisé par le cinéma. Du  » Père Noël est une ordure  » à  » Rires et châtiments  » ou  » Monsieur Batignolles « , la brasserie est régulièrement choisie pour servir de décor à un film à succès. Ce mois-ci, Philippe Dom dressera la table pour Mia Farrow et Jack Nicholson, dans le rôle d’un  » Américain à Paris  » qui a ses habitudes au… Square Trousseau.

En quête de patrimoine hexagonal, l’hédoniste du xxie siècle tentera cet été de concilier cuisine de grand-mère et cadre fashion-poulbot. L’Ebauchoir, lui, joue dans un autre registre. Cette brasserie populaire et bohème aux belles perspectives, remplie de meubles de métiers, où l’on affiche forcément les menus du jour à la craie sur une ardoise, n’hésite pas à rajeunir sa carte. Le foie de veau au miel ou mignon de cochon aux pleurotes rehaussé d’une pointe de mangue prend à contre-courant le trio tartare de b£uf-£uf mayonnaise-onglet à l’échalote qui sévit dans trop de restaurants à l’ancienne. Le Zéphyr s’appuie sur un registre identiquement décalé (exemple : raviolis d’asperge à la vinaigrette menthe) sans rapport direct avec son décor : une belle brasserie Art déco nichée dans l’un des derniers quartiers réellement populaires de Paris. Pour le décorum titi tout y est : du comptoir patiné à la cabine téléphonique en sous-sol, en passant par des affiches écornées de l’Expo universelle, l’amateur sera ravi.

Formule peu éprouvée à Paris, la table d’hôte, un concept aux confins de la ruralité, a trouvé il y a peu sabot à son pied. L’Auvergne gourmande, située à deux pas des Invalides, fait le régal des trentenaires issus des beaux quartiers. Christophe Laignel y sert une authentique cuisine auvergnate qui s’ouvre par une soupe au chou au cantal et se clôt par une tranche de pounti, un gâteau de blettes. Cette ancienne boucherie aux dimensions lilliputiennes (26 mètres carré) trouve le parfait équilibre entre la farmer’s touch (une cruche à lait négligemment oubliée) et l’épure minimaliste.  » Dans ce mouchoir de poche, les Parisiens peu enclins à s’adresser spontanément la parole, note Christophe Laignel, sont obligés de se parler. Et cela fonctionne !  » Avec un peu de chance, votre voisine de table aura les traits de l’actrice et vigneronne à ses heures… Carole Bouquet, jet-seteuse habituée des lieux.

Texte et photos : Antoine Moreno

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