L’artiste

Terry Rodgers est né en 1947 à Newark (New Jersey). Cet artiste américain formé à la peinture sur les bancs du Amherst College (Massachusetts) débarque dans le monde de l’art au début des années 70. Héritier du pop art et de son ironie mordante et désenchantée, passionné par les grands maîtres du xviie siècle autant que par la monumentalité néoclassique, Rodgers s’illustre dans des tableaux de grand format hyperréalistes mettant en scène des groupes de beautiful people vautrés dans une atmosphère bling-bling et lascive. Alcool, déco baroque, fringues griffées et lingerie fine : une esthétique porno chic à laquelle la publicité et un certain imaginaire hollywoodien nous ont habitués (voir la série Nip/ Tuck). Miroir grossissant d’une jeunesse dorée qui s’ennuie, d’une époque qui a fait du culte du corps une religion, de l’érotisme un sacerdoce et de Paris Hilton une icône, les toiles de Rodgers évoquent aussi l’univers de Jay McInerney et de Bret Easton Ellis. Comme dans les romans de ces chroniqueurs cyniques et cruels de la décadence, des personnages friqués en perte de repères se délitent dans leur quête effrénée et pathétique du plaisir. Un plaisir narcissique, consumériste presque, que le peintre traduit en isolant chacun de ses modèles au sein du groupe, foule solitaire et méchamment déprimée de bimbos et gandins cherchant un sens à leur vi(d)e.

L’expo

Pour la première exposition monographique de Terry Rodgers en Belgique, Jerome Jacobs, directeur de la galerie Aeroplastics Contemporary à Bruxelles propose une lecture approfondie du processus créatif de l’artiste américain. Certes, les peintures – dont certaines très récentes sont ici dévoilées – restent les stars de son travail, le point d’arrivée de ses réflexions. Mais pour mieux comprendre la démarche de Rodgers, il est particulièrement intéressant de découvrir également ses photographies et ses dessins. La photo, de un, parce qu’elle est à la base de toutes ses £uvres : l’artiste dessine en effet chaque portrait individuellement à partir de clichés. Avant d’intégrer le personnage à la composition, à la manière de certains maîtres anciens comme Watteau (1684-1721) ou Le Lorrain (1600-1682) qui considéraient leur tableau comme une scène de théâtre. Et de deux, parce que Terry Rodgers développe en parallèle un travail photographique en noir et blanc sur l’étrangeté du corps, à l’orée du trash, quelque part entre Jérôme Bosch (1450-1516) et Freaks (1932) de Tod Browning. Quant à ses dessins, ils tranchent avec la facture léchée de ses toiles. Le trait, qui peut évoquer Egon Schiele (1890-1918), à la fois raffiné et brutal, dégage une inquiétude subtile, doucement torturée. Une sorte d’écho aux âmes abimées qui hantent ses tableaux.

Terry Rodgers : Radical Continuity, à la galerie Aeroplastics Contemporary, 32, rue Blanche, à 1060 Bruxelles. Jusqu’au 17 février prochain. Tél. : 02 537 22 02. www.aeroplastics.be

Chaque mois, Le Vif Weekend vous propose le décryptage d’une exposition. Parce que l’art contemporain est souvent taxé d’hermétisme, nous vous donnons les clés de lecture pour passer les portes des galeries et apprécier le meilleur de l’art vivant.

Baudouin Galler

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