Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille.

D’aucuns, êtres instruits mais infatués dont j’espère ne pas faire partie tant est sacré mon respect du lecteur, prendront plaisir à vous en remontrer pour vous faire sentir combien vous êtes béotiens en culture gastronomique, en vous révélant qu’on ne dit pas  » homard à l’armoricaine  » mais bien  » à l’américaine « . En effet, en 1860 à Paris, des Amerloques friqués débarquent tard le soir dans un resto chic en réclamant à son chef sétois un plat vite fait mais raffiné. Les cuisines sont fermées, la brigade est partie se coucher, mais qu’importe ! Le grand cuisinier, pas fou, se refuse à décevoir de riches clients qu’il doit à sa réputation d’excellence. Il improvise alors un plat simplissime mais concocté avec des ingrédients de choix digne des palais exigeants et des poches pleines de dollars de ses convives de dernière heure. Il lui reste quelques homards vivants, des herbes fraîches, des tomates mûres à point. Avec le support logistique d’une bonne bouteille de cognac qui trône dans un coin, cela devrait faire l’affaire. Le tour est joué en quelques minutes et les clients d’outre-Atlantique sont si enchantés de ce plat créé spécialement pour eux que le chef mettra désormais à sa carte cette préparation baptisée en mémoire de ses inspirateurs. Et donc matraqueront vos distingués interlocuteurs avec suffisance  » on dit à l’américaine « , point final !  » Bien sûr, vous croyiez qu’il s’agissait d’une préparation à l’armoricaine à cause des réputés homards bretons « , condescendront peut-être vos maîtres à penser en voyant votre mine déconfite, humilié que vous êtes de votre ignorance crasse.

Bon, a priori je dirai que ces êtres fats ont raison : l’histoire est vraie et l’inventeur de la recette aurait même eu le droit de baptiser celle-ci  » à la tibétaine  » si ça lui chantait… Cela étant, il est certain qu’à l’époque ce n’étaient sûrement pas des crustacés de Nantucket qui avaient été cuisinés mais plus que probablement de bretonnants homards à chapeaux ronds. Et en sus, le cuistot était français, après tout. Cela fait au moins deux bonnes raisons pour en faire une recette à l’armoricaine, non ? Alors, que chacun décide selon les affinités de son c£ur (et de son estomac) en optant pour l’ADN de son choix : Armoricain de Naissance ou Américain de Nationalité… et tout le reste n’est que friture.

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