Troisième long-métrage de Sofia Coppola,  » Marie-Antoinette  » – en compétition au tout prochain Festival de Cannes – va faire froufrouter toute la Croisette. Les fleurs y jouent un rôle majeur. Le fleuriste bruxellois Thierry Boutemy en a assuré le casting. En guise de bande annonce, Weekend vous emmène dans les coulisses de ce tournage hype et romantique, aux côtés de ces milliers de figurantes éphémères et graciles.

Si Sofia Coppola avait dû rédiger une petite annonce pour le poste de  » casteur  » de fleurs, l’offre d’emploi aurait pu ressembler à ceci :  » princesse de Napa cherche pour dernière reine de France encore frivole, fleuriste romantique, amoureux des pivoines, des roses et des pois de senteur, prêt à quitter sa boutique pendant trois mois pour une vie de château à l’ancienne et à temps partiel. Grand frileux, s’abstenir « . Les choses, on s’en doute, ne se sont bien sûr pas passées de la sorte. C’est par une amie, avec qui il avait déjà eu l’occasion de travailler sur un téléfilm, que le fleuriste Thierry Boutemy, Normand d’origine, Bruxellois d’adoption, apprend que Sofia Coppola cherche un spécialiste pour s’occuper des fleurs lors du tournage de son prochain film.  » Au premier abord, ça m’a fait vraiment peur, se souvient-il aujourd’hui avec amusement. Je me demandais si je serais vraiment capable de faire cela. Et je n’ai pas tout de suite dit oui. Ce n’est qu’au milieu de la nuit que j’ai pensé  » je crois que j’ai fait une bêtise, j’aurais dû accepter ! « . J’ai laissé un message le lendemain… et je suis resté sans nouvelle pendant plus de trois mois. Ce n’est finalement que le soir du 31 décembre 2004, une heure avant que je ne ferme le magasin, que j’ai appris que j’étais sur la liste des participants.  » Quelques jours plus tard, Thierry Boutemy se rendra à Paris pour y découvrir les peintures d’époque dont il devra s’inspirer. Des morceaux de tissus, des photos de décor, aussi. Et surtout, le  » moodboard  » imaginé par Sofia Coppola elle-même. Soit un collage subtil de photos d’aujourd’hui et de reproductions d’hier, chargé de décrire en images l’esprit d’un film en devenir. En feuilletant le livret, où se décline tout un arc-en-ciel de couleurs marchmallow, c’est un étrange sentiment de légèreté et de décadence mêlées qui se dégage.

Pour découvrir cet intrigant carnet d’humeur d’autant plus amusant à parcourir maintenant que l’on a vu les premières images du film, il a fallu grimper jusqu’au dernier étage de la boutique toute blanche de la rue de la… Pépinière, à Bruxelles. En pousser la porte, c’est déjà remonter le temps de plusieurs siècles tant on est loin ici de l’atmosphère clinique et minimaliste qui règne aujourd’hui chez de nombreux fleuristes. Côté fleurs, toutes les nuances du rose, du pourpre au bonbon, règnent en maître au milieu des vases et des sculptures résolument rococo. Impossible aussi de ne pas penser aux combles et aux coulisses de ces châteaux d’apparat qui ont servi de cadre au tournage lorsque l’on gravit l’étroit escalier de bois raide et craquant qui conduit au bureau de Thierry Boutemy. C’est là-haut, entourés de croquis, de photos souvenirs et d’une pochette originale de la bande annonce du film terriblement eighties et signée New Order –  » J’ai retrouvé mon album, j’étais un fan déjà à l’époque de sa sortie « , sourit-il – que le fleuriste de la reine nous a effeuillé ses souvenirs d’un tournage passion. Clap première.

Weekend Le Vif/L’Express : Le 24 mai prochain,  » Marie-Antoinette  » sera présenté au Festival de Cannes. Serez-vous là ?

Thierry Boutemy : Oui, mais en coulisses. Je réalise les compositions florales de la soirée de gala qui suivra la projection. Les bouquets seront différents de ceux que l’on verra dans le film. Car Sofia Coppola les voulait résolument contemporains pour cette occasion, tout en respectant les couleurs originales du tournage : le rose, le parme, le lilas, le fuchsia. Si l’occasion se présente, j’en profiterai pour découvrir le film que je n’ai pas encore vu. J’aurai toujours avec moi un smoking au cas où ( sourire).

Quel est votre tout premier souvenir du tournage ?

La première fois que je suis parti de Bruxelles, il neigeait et il faisait un froid intense. J’avais une peur bleue que tout ne gèle sur pied dans la voiture. Une fois arrivé sur place, j’ai même cru que je n’arriverais jamais à composer mon premier bouquet ! Le stress du début de tournage était tel que j’en étais arrivé à me demander si j’avais jamais su faire un assemblage floral de ma vie. J’avais à ma disposition des fleurs d’hiver, cultivées en serre, aux tiges typiquement plus dures, plus raides, plus cassantes, plus difficiles à travailler que les fleurs d’été. Et je devais arriver malgré tout à leur donner un aspect léger, sauvage, ce qui était le plus ardu. Il fallait tout le temps tricher. Imaginez : on m’apportait des vases  » historiques « , gigantesques, avec un orifice minuscule ! Et je devais faire des bouquets énormes tout en volume ! Je devais imaginer des techniques pour tricher sur la proportion du vase. J’étais très inquiet du résultat final. Aujourd’hui, lorsque je vois certains bouquets sur les photos, je ne les reconnais pas ! Je me dis  » C’est vraiment moi qui ai fait ça ? Oh, c’est bien quand même…  » En réalité, il y a une très grande différence entre mon travail habituel de fleuriste et ce qu’il faut faire pour le cinéma. Car ici, ce qui compte finalement, ce n’est pas le bouquet en tant que tel, mais son image. Et il y a un grand décalage entre ce qui est et ce que l’on voit vraiment à l’écran.

Sofia Coppola dit avoir privilégié la reconstitution minutieuse de l’environnement de l’époque. Ceci jusque dans le choix précis des variétés de fleurs ?

Ce n’était pas nécessaire car de toute façon, dans le film, il y a d’autres décalages historiques. C’est un film qui se passe au xviiie siècle mais qui est tout à fait actuel. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti pendant tout le tournage. J’étais assez libre de choisir ce que je voulais du moment que je restais dans l’esprit des fleurs de l’époque du xviiie siècle, dans une certaine gamme de couleurs, c’était cela le plus important. La consigne était claire : tout devait aller en s’allégeant au fur et à mesure que l’on avançait dans le film. On s’autorisait de plus en plus de fantaisie. Mon travail, ici au magasin, était déjà bien en phase avec l’époque. J’ai donc pu travailler les fleurs que j’aime personnellement le plus, comme les pivoines, les pois de senteur, les pavots, les roses, les renoncules. J’avais un budget hebdomadaire qui me permettait finalement d’acheter tout ce que je voulais et de faire des bouquets comme jamais je ne pourrais les faire au magasin, car ils coûteraient beaucoup trop cher.

Comment s’organisait votre travail sur le tournage ?

Sur les trois mois qu’il a duré, on peut dire que j’ai été présent environ le tiers du temps. Je devais être là pour toutes les scènes d’intérieur. J’intervenais toujours en début de semaine, car le reste du temps, il fallait que je tienne le magasin. J’allais acheter les fleurs aux Pays-Bas, une fois par semaine, sur la base de la liste des éléments à prévoir que l’on m’avait remise quelques jours auparavant. Mais sur place, tout se faisait à la demande. Je créais des bouquets, les uns après les autres. C’était un travail énorme. Je serais incapable de vous les dénombrer. Je n’ai d’ailleurs aucune idée de ce que l’on verra au final à l’écran. Nous étions à Versailles, tous les lundis, car c’est le jour de fermeture du château au public. Je me souviens d’un matin où je suis arrivé le premier. J’ai pu me promener dans la galerie des Glaces, la chambre de Marie-Antoinette, tout seul, avant que l’équipe n’arrive. Même le gardien ne me suivait pas. C’était absolument incroyable…

Aviez-vous de nombreux contacts avec l’équipe, les acteurs ?

Oui et non, car je suis d’un naturel assez timide. Alors je restais spontanément dans mon coin, avec mes fleurs. J’étais installé à l’entrée du plateau, à côté des cuisiniers. C’était très visible, tout le monde passait près de moi, et me parlait des fleurs. Il n’y a rien de tel pour lier le contact. Car les fleurs vous touchent, elles communiquent quelque chose de beau.

Et Sofia Coppola ?

Pendant les deux premières semaines, elle passait, elle aussi, près de moi, sans rien dire. Puis un jour, sur le plateau, j’ai entendu  » Thank you Thierry for the flowers  » ( NDLR : merci Thierry pour les fleurs). A partir de là, elle venait régulièrement me voir, toujours pleine d’attention, c’était très agréable. On m’a dit qu’elle me réclamait même les jours où je n’étais pas de service ! Mais il fallait bien que je continue à faire tourner mon magasin ( sourire).

On la dit très perfectionniste. Comme vous finalement ?

Je suis peut-être perfectionniste, mais sûrement pas maniaque. J’aime que les choses restent naturelles. Pour  » Marie-Antoinette « , c’est vrai que Sofia Coppola est allée très loin dans le choix des tissus, dans le raffinement, dans le jeu des couleurs. Mais cela restait assez intime. C’était très raffiné, très précis. Mais jamais gigantesque. Je me souviens d’un jour, pour une scène au Palais Garnier, où il y avait plus de 300 figurants, on ne voyait plus qu’un nuage de poudre, de laque, des vagues de perruques. J’ai dû faire des compositions florales pour cette scène, mais je doute qu’on ne les voie jamais à l’écran au milieu de tout ce monde ! Mais pas question de faire du faste pour le faste. Ce n’était pas impressionnant. Mais esthétisant.

Elle a la réputation d’être une réalisatrice hors norme, pas du tout autoritaire, plutôt agréable à vivre…

Vous savez, Sofia Coppola, c’est vraiment quelqu’un d’adorable, tout en discrétion. Tout était à la fois très structuré, et en même temps assez flou. Il y avait beaucoup de liberté. La pellicule tournait tout le temps. Sofia captait tout ce qu’il y avait à capter. Au final tous les éléments étaient là, elle n’avait plus qu’à les mettre en place L’ambiance du film était très agréable, comme souvent avec des Américains. Ils sont enthousiastes, chaleureux. C’était impressionnant, aussi, car toute sa famille est passée. Elle est très entourée. Son père bien sûr est venu. Mais sa mère était très présente. C’est elle qui a filmé tout le  » making off « , comme elle l’avait fait m’a-t-on dit pour  » Apocalypse Now  » ( NDLR : le célèbre opus de Francis Ford Coppola, le père de Sofia).

Travailler dans de vieux châteaux, en décor naturel, n’était-ce pas presque aussi difficile que les conditions de l’époque ?

Pour certains détails, oui, sûrement ! Le plus compliqué, c’était Versailles ! Il fallait transporter ces bouquets très lourds, sans qu’une feuille, sans qu’une goutte d’eau ne tombe par terre, pour ne pas abîmer l’endroit, avec des gardiens en permanence dans votre dos pour vous surveiller. Il n’y a pas d’ascenseur, seulement des escaliers, des couloirs qui n’en finissaient pas. Il n’y a pas d’eau courante non plus, il fallait monter les seaux d’eau à la main ! Et je ne vous parle pas des vases d’époque qui valaient une fortune. Le stress ! L’un d’eux, un jour, a littéralement explosé quand on l’a rempli d’eau. Il avait été recollé et il a craqué comme un puzzle, d’un seul coup. Il faisait aussi terriblement froid. On avait reconstitué la chambre de Marie-Antoinette, son boudoir et le salon dans un château à l’abandon. J’étais installé dans une aile sans chauffage. Pendant les prises, je devais rester le plus silencieux possible, pour ne pas déranger. Je m’étais fabriqué une cabane avec les cartons des déménageurs, et je me suis endormi dessous, enveloppé dans une couverture.

Si c’était à refaire ?

Si Sofia me demande de retravailler avec elle, oui, bien sûr, je signe des deux mains ! C’était extraordinaire de partager ce moment avec elle, et avec d’autres artistes comme le groupe Phoenix qui signe la musique du film et qui sont de ma génération.

Carnet d’adresses en page 90.

Propos recueillis par Isabelle Willot

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