Tirons sur la ficelle

Lascive plus que pensive, en négligé de soie ou pas, la mode est au saucissonnage chic. Lacets, lanières, courroies, rubans et autres cordelettes tirent la ficelle d’un printemps impertinent.

Vous entretenez des liens privilégiés avec les vêtements? Eh bien, vous allez être emballée… au premier sens du terme: les collections printemps-été 2003 nouent en effet une relation intense avec ces petits morceaux de cuir, soie, coton, ficelle ou dentelle capables de mettre bout à bout habits et accessoires. En d’autres termes, les lacets et leurs dérivés (lanières, rubans, cordons, cordelettes et courroies) capturent l’allure, courant autour d’un corps qu’ils veulent tour à tour contraindre et exhiber, soumettre et sublimer.

Boostés par les fantasmes un tantinet rétro des créateurs, bustiers, caracos, corsets, robes-fourreaux, ceintures-corselets et même minijupes ou pantalons lacés latéralement ( NDLR: top vulgaire méga-groove) serrent la femme de près, très près. Le phénomène n’a rien de neuf: cela fait belle lurette que la mode puise à qui mieux mieux dans le registre fétichiste, transformant en objets de désir acceptables ce qui, autrefois, appartenait encore au domaine de l’interdit. Comparés aux campagnes de pub ébouriffantes signées Tom Ford pour Yves Saint Laurent (une femme gironde ne simulant pas du tout un orgasme dans le cadre de la relance du mythique parfum Opium, un homme exhibant l’intégralité de sa glorieuse virilité pour le dernier parfum Nu) et, récemment, pour Gucci (un jeune homme accroupi devant une donzelle pas gênée de dévoiler ses poils pubiens sculptés à la forme du célèbre « G »), les laçages les plus lascifs n’ont pas à rougir.

Depuis que Jean-Paul Gaultier, bien « épaulé » par Madonna, a remis le corset au devant de la scène de la mode et l’a rendu aussi joliment banal qu’une chemise ou un tee-shirt, une voie royale s’est offerte aux adeptes du ligotage vestimentaire.  » Impossible de parler de mode sans parler de fétichisme, même si les liens obscurs qui se tissent entre les deux univers sont parfois dissimulés derrière une simple course à l’apparat tout autant qu’à l’apparence », souligne la journaliste Geneviève Lafosse Dauvergne (1).

Au fond, où se situent ces lacets et ces attachantes façons de saucissonner la silhouette féminine? Entre le fantasme douillet et le rêve érotique acéré comme une dague? Entre le délire de midinette et le désir brut de décoffrage? Entre l’audace « politiquement correcte » et l’évocation soudaine de pulsions qu’il vaudrait mieux garder secrètes? Pour Geneviève Lafosse Dauvergne, la mode et le fétichisme « accompagnent l’homme depuis la nuit des temps et font appel à ce qu’il y a en nous de plus secret, de plus primaire et de plus sophistiqué, – notre désir de séduction, de raffinement et de civilisation -, dont ils se font l’écho. »

Liaisons peu dangereuses

A mi-chemin entre la parade et la psychanalyse, mode et fétichisme,  » ce vieux couple qui évolue au rythme des époques (2) », autorisent les gourous des tendances puis les maestros du style à épancher leurs penchants sur podium, dans des liaisons qui ne sont guère dangereuses.

Chez Dolce & Gabbana par exemple, le thème chéri de la madone déguisée en putain fonctionne à toute berzingue cette saison: témoins, leurs robes de veuve peu éplorée, qui lacent le corps sans lui permettre aucun délassement. « Ne respirez pas, vous êtes une femme » serait-il leur prochain slogan? Tout en noeuds mais point nunuches, les pin-up du signore Roberto Cavalli ondoient de la fesse et du sein dans des microrobes, corsets et corselets rehaussés par des matières « hot » en couleurs et des coupes vraiment…. euh, chaudes.

Toujours très classe dans son approche de la sensualité mâtinée d’allure, Gianfranco Ferré ne rechigne jamais à pincer une taille ou à ficeler un buste. Ce gentleman de la mode italienne, ancien maître d’oeuvre en prêt-à-porter et haute couture chez Christian Dior, possède d’ailleurs, dans son bureau-palazzo à Milan, un tableau où le laçage du corset de Scarlett O’Hara dans « Autant en emporte le Vent » est agréablement (re)mis en scène. A la place de Vivien Leigh figure en effet l’ancien top model Linda Evangelista tandis que la vitupérante Mamma est campée par Ferré himself.

Quant à la très flashy Donatella Versace, elle zoome davantage sur les attraits de la microrobe et de la ceinture « qui se prenait pour une jupe » où, quand même, elle applique de-ci de-là une courroie et quelques cloutages sexy.

Outre-Quiévrain , les laçages n’ont pas peur non plus d’en dénouer avec la mode. Même s’ils sont plus sages voire plus subtils qu’en Italie. Ainsi Julian MacDonald chez Givenchy, dont les aimables crochetages évoquent un laçage délassant façon hippy chic. Ou encore Dirk Bikkembergs dont les chemises basculent du masculin vers le féminin à l’aide de détails troublants comme un cordon qui se lâche ou une courroie qui tire un peu trop sur la corde.

Presque subliminal, le laçage pointe aussi le nez chez Gilles Rosier ( NDLR: hormis la ligne Kenzo femmes, il crée également une ligne éponyme) et chez Junya Watanabe qui, à défaut de séduction premier degré, transforme la chose en sorte de casual conceptuel… Entre nous, il aurait pu davantage tirer sur la ficelle, surtout que le bondage – cette « spécialité » érotique qui consiste à ficeler sa ou son partenaire comme un filet de Saxe -, est très couru au Japon… Soit. Retournons à nos cordons et épinglons, au passage, l’exercice ethnico-sensuel effectué par la belle Ritu Beri pour Scherrer: un fil rouge au bas des reins sur une robe-bustier très sobre au demeurant, de discrets croisillons tricotés ton sur ton pour un jumpsuit digne d’Ibiza, ou des lanières un brin rustiques servant à « mettre en jambe » des tongs en cordes ou des socques en bois. Lanières que l’on retrouve évidemment sur cet essentiel comparse du beau sexe: le sac.

Parlons-en, justement, des accessoires: ce qui se distille d’une façon (encore) assez anecdotique dans le vêtement – les nombreuses tendances se croisent et se chevauchent de façon bien plus compliquée qu’un simple lacet -, prend carrément son pied au rayon chaussures! Remontant sur la cheville ou le mollet avec l’obstination du saumon qui prend la rivière à contre-courant, les liens et les rubans virevoltent de l’imagerie gréco-romaine ( sandales spartiates et cléopâtres vont allègrement caracoler sur les sentiers de l’été) au sadomasochisme soft, en passant par d’improbables cothurnes néo-disco à la portabilité très contestée. Champions toutes catégories de ces attachantes godasses? Côté milanais, le label D & G (la deuxième ligne de Dolce & Gabbana) et Donatella Versace. Côté parisien, cet éternel farceur de Jean-Paul Gaultier dont la version lascive de la Palladiuma de quoi marquer le pas.

 » Le fait d’être un consommateur de mode nous rend fétichiste, amoureux à un degré quelconque d’un vêtement, de sa valeur affective, sociale, ou sensible à une matière, à une odeur », remarque encore Geneviève Lafosse Dauvergne(3). Amoureux à un degré quelconque d’un vêtement? Fort bien. Mais s’il s’agit du bikini (?) proposé à Paris par la Portugaise Fatima Lopes, l’on conviendra que cette passion-là ne tient qu’à un fil.

Marianne Hublet [{ssquf}], (1,2,3) In « Mode & Fétichisme », Geneviève Lafosse Dauvergne, éditions Al

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