Fini le vieux bilboquet ou le traditionnel Monopoly. En phase avec l’air du temps, les jeux de société intègrent progressivement des caractéristiques high-tech. De nouvelles perspectives qui ne sont pas sans conséquence pour les enfants, sans cesse attirés par les écrans et autres gadgets technologiques.

Cayla n’est pas une poupée comme les autres. Elle comprend ce que l’enfant lui dit et discute avec lui. Et ce, grâce à Internet, qui lui permet d’accéder à un logiciel de reconnaissance vocale et de rechercher une réponse à toutes les questions posées – pour autant qu’elles ne fassent pas référence à des sites Web douteux ou à une liste de mots interdits. Même si la demoiselle  » qui aime trop la mode et jouer au morpion  » est encore perfectible, ce modèle tout frais n’est qu’un exemple parmi d’autres d’une nouvelle génération de jeux, désormais de plus en plus connectés et interactifs (lire par ailleurs). Soit tout à fait en phase avec l’air du temps, dans une société qui ne jure plus que par les écrans en tout genre.

 » Jamais le secteur n’a eu autant de défis à relever, estimait ainsi Koen Nolmans, directeur de la chaîne de magasins ToyChamp en Belgique, lors de la remise des prix du Jouet de l’année 2014. La crise économique a non seulement provoqué une avalanche de changements dans les comportements d’achat. Mais les petits deviennent également adultes de plus en plus tôt. Ils sont fascinés par les gadgets électroniques, tandis que les canaux de jeux se multiplient.  »

Pour s’adapter à ces nouvelles réalités, les fabricants se remettent en question et développent, eux aussi, des objets d’amusement high-tech. Un créneau récent qui a tout l’air d’être porteur, au vu du palmarès des cadeaux stars de l’année 2013. D’après NPD Group, cabinet spécialisé dans les études de marché sur la vente au détail et la consommation, la peluche interactive Furby et la tablette préscolaire Storio se sont ainsi livrés une bataille féroce en Belgique, pour obtenir la première place au pied du sapin. Et cette déferlante de jeux 2.0 ne cesse de faire des émules : ils affichent ainsi la plus forte progression en valeur, sur les six premiers mois de 2014, avec une hausse de 21 %, par rapport à l’an dernier.

 » C’est une tendance mondiale, et nous nous attendons à voir apparaître encore de nombreux produits connectés ou robotiques, prédit Frédérique Tutt, analyste du marché mondial du jouet chez NPD. A noter que les technologies de pointe, comme la reconnaissance vocale ou les capteurs de mouvement, s’invitent aussi cette année dans ce marché, tandis que le segment des  » compagnons interactifs  » devrait également connaître une forte croissance.  » Mais l’analyste remet cependant ces bons résultats en perspective :  » La taille du secteur de l’électronique junior reste bien inférieure à celle de la construction, des véhicules ou même des poupées, qui demeurent au coeur du marché. Si certaines d’entre elles évoluent en effet et intègrent une dimension high-tech dans le lancement des nouveaux produits, cela ne garantit pas non plus leur succès…  »

Néanmoins, les fabricants saisissent la balle au bond, se rendant compte que ces nouvelles technologies offrent des possibilités à exploiter.  » Elles sont intéressantes à partir de moment où elles ne se cantonnent pas à n’être qu’un gadget, analyse Karolien Poels, professeur associé en communication à l’Université d’Anvers, spécialisée notamment dans les jeux virtuels. Elles doivent vraiment apporter de la valeur à l’objet ludique.  » Et répondre, par la même occasion, aux nouveaux besoins et souhaits des plus jeunes :  » Les enfants adorent imiter leurs parents et veulent sans cesse utiliser leur équipement d’adultes, qui ne sont pas forcément adaptés à leur âge « , constate Vincent Legoupil, directeur marketing de VTech France.

Cette société spécialisée dans les jouets électroniques a commencé à modifier son offre en 2007, avec une collection d’appareils photo permettant de prendre des clichés  » comme des grands « , tout en étant antichoc et dotés d’une dimension plus fun. En 2011, elle a lancé ses désormais célèbres tablettes Storio et continue d’évoluer, cette année encore, avec une smartwatch spécialement conçue pour les kids.  » Les versions connectées de notre gamme représentent environ 30 % de notre activité, calcule Vincent Legoupil. Mais nous tenons à ce que cette dimension technologique ne soit qu’un plus. Elle permet de faire évoluer le jouet, mais pas sa fonction principale : l’idée n’est pas de faire de nos têtes blondes des geeks !  »

UN ÉCRAN ATTRACTIF

Au-delà de l’envie de reproduire le comportement des parents, pourquoi les écrans fascinent-ils autant ?  » Les enfants sont naturellement attirés par les images en mouvement et les stimuli visuels en général, détaille Karolien Poels. Les jeux apportent en outre une donnée attractive supplémentaire, dans la mesure où ils sont interactifs. Autrement dit, si vous faites quelque chose, l’image réagit. Cela procure des sensations fortes et immerge complètement l’utilisateur dans l’expérience ludique.  »

Forts de ces attraits, plusieurs fabricants de jeux ajoutent des caractéristiques 2.0 à leur offre. C’est le cas par exemple de My Monopoly, qui devient personnalisable via un site Internet dédié. Ou de Lego, qui multiplie les initiatives multimédias : une appli permet de visualiser sa construction préférée en 3D, des jeux vidéo, des minifilms ou des jeux en ligne viennent compléter les produits physiques de la marque, etc.  » Les enfants d’aujourd’hui évoluent aisément d’une plate-forme de jeu numérique à son pendant hors ligne, et vice versa. Cela se fait de façon totalement fluide « , constate Hélène Teichert, PR & Community Manager de Lego, pour les pays nordiques et le Benelux. Une analyse que partage la spécialiste de l’Université d’Anvers.  » Qu’il s’agisse d’un jeu online ou offline, la recherche confirme que les expériences sont assez similaires. Il s’agit souvent de jouer ensemble ou les uns contre les autres. Il est question de gagner et de perdre, ce qui provoque souvent beaucoup d’émotions, tant positives que négatives, et ce quel que soit le support.  »

À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

Conséquence de l’apparition de ces nouveaux outils, les heures devant l’écran ne cessent de s’allonger. Les études montrent que les kids sont ainsi plus d’un tiers de leur temps libre devant la télévision, un smartphone ou une tablette. Un comportement qui n’est pas sans incidence sur leur développement et leur intelligence, comme le démontrent de plus en plus de travaux scientifiques. Ces digital natives, comme les a qualifiés, dès 2001, l’essayiste américain Marc Prensky, sont plus curieux, vifs, rapides et flexibles. Certains programmes éducatifs numériques permettraient d’accélérer l’apprentissage de la lecture ; les jeux vidéo amélioreraient même l’attention sélective, l’acuité visuelle et la capacité de contrôle, pour autant qu’ils soient consommés avec modération.

 » Les ados d’aujourd’hui ont une grande capacité à gérer un flux continu d’informations ; ils développent une forme d’intelligence procédurale que l’on ne rencontrait pas à l’époque de leurs parents « , notait Bruno Humbeeck, psychopédagogue et chargé de recherche à l’Université de Mons, lors d’une conférence organisée par Parents-Thèses.

Mais, à l’inverse, l’écran et les jeux vidéo peuvent également s’avérer nuisibles. Susan Greenfield, professeur de neurologie à Oxford, estime que lorsque les enfants jouent en réseau ou surfent sur le Net, leur cerveau en construction est exposé à une activité trop intense, qui perturbe leur développement. Le journaliste américain Nicholas Carr, auteur du livre Internet rend-il bête ?, abonde dans ce sens, prédisant même une baisse du QI, provoquée par la profusion d’écrans. A force de jouer au foot sur sa console plutôt qu’en vrai, l’enfant est moins incité à faire travailler son imaginaire et son corps, à produire ses propres images mentales et stimulations internes, qui lui procurent pourtant du plaisir et l’aident à supporter des périodes de frustration ou de souffrance.

 » Ce n’est pas l’écran qui est nocif, mais l’usage qu’on en fait, considère Bruno Humbeeck. Souvent, les parents le diabolisent par méconnaissance et par crainte. Est-ce qu’ils s’insurgeraient de la même manière si leur ado refusait d’aller prendre un bol d’air avec eux, non pas pour jouer à leur Playstation, mais pour lire Les Misérables de Victor Hugo, un ouvrage pourtant interdit aux plus jeunes lors de sa sortie ?  »

Et le psychopédagogue de prôner un accompagnement par les adultes dans ces expériences virtuelles.  » L’enfant prendra plaisir si vous regardez un épisode de Bob l’Eponge avec lui, si vous vous intéressez à ses prouesses dans Clash of Clans, et ce sans le juger… Votre présence doit être discrète mais effective, intéressée, sans être intrusive.  » Quant à limiter le temps passé devant la télévision ou sur son smartphone, Bruno Humbeeck conseille de tenter l’autorégulation, de faire carrément confiance à sa progéniture, pour autant qu’elle soit capable d’utiliser ces médias sans que cela ne l’épuise, ne rompe tout échange ou ne mette à mal les résultats scolaires. Encore faut-il que les parents, bien souvent aussi accros à leur téléphone et à leur page Facebook, montrent l’exemple… Ce qui n’est pas gagné.

PAR CATHERINE PLEECK

 » L’idée n’est pas de faire de nos têtes blondes des geeks !  »

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