Parce qu’on rêve tous d’un intérieur unique en son genre, les meubles et accessoires modulaires permettent de se créer un univers sur mesure, voire évolutif. Au gré de ses moyens et de ses envies.

Tout est parti d’une simple forme géométrique : trois traits qui, conjugués, représentent la lettre H. Au-delà du logo un peu textuel, une fonction se cache derrière l’assemblage de ces lignes sobres qui, multipliées comme des pixels, dessinent un élégant moucharabieh sur une tôle d’aluminium anodisé. C’est dans ces fentes que se clipsent – et se déclipsent tout aussi facilement d’ailleurs – les panneaux de sept tailles différentes, disponibles dans 37 types de tissu ou de cuir, du nouveau système modulaire d’éléments architecturaux présenté par Hermès lors du dernier Salon du meuble de Milan. Avec ce Tetris de luxe, la prestigieuse maison parisienne, connue pour le raffinement de ses  » commandes spéciales « , propose ici un  » kit  » qui, s’il n’est pas bon marché, permet de réaliser sa propre composition murale à partir d’une boîte à outils relativement standardisée. Un univers complètement nomade dont l’habillage peut également varier selon les saisons.  » Tout est transportable d’un lieu à l’autre si l’on déménage, insiste Pierre-Alexis Dumas, le directeur artistique d’Hermès. On peut même imaginer d’avoir plusieurs jeux de panneaux, avec des couleurs ou des matières plus chaudes en hiver, par exemple. Changer de motifs au gré de ses envies, à tout moment, en déplaçant les modules. Posées dos à dos, les plaques de métal peuvent également se métamorphoser en cloison pour partager un volume. On peut couvrir tous les murs d’une pièce ou s’en servir seulement pour constituer une tête de lit. Tout est permis. « 

De telles solutions, flirtant avec le quasi-sur-mesure, de plus en plus de marques de design en vendent aujourd’hui, offrant ainsi à la fois la sécurité d’un grand nom qui rassure et la possibilité – au terme d’un choix parfois cornélien – de posséder un meuble a priori unique marqué de son empreinte personnelle.  » On peut dire qu’il existe trois types d’objets, explique l’architecte Charles Kaisin. L’objet fonctionnel, d’abord, comme un verre ou une chaise dont l’archétype pourra d’ailleurs être culturel, la hauteur d’une table de salle à manger n’étant pas la même en Europe qu’au Japon par exemple. L’objet de distinction sociale – typiquement le sac de marque que l’on achète pour l’usage que l’on va en faire mais aussi pour ce qu’il dit de nous, de notre appartenance à un certain cercle, à un certain milieu. Et enfin, l’objet d’identification qui possède une valeur affective particulière, parce qu’on l’a reçu d’un être cher ou qu’on a mis son c£ur dedans en le fabriquant soi-même.  » Le désir de posséder un meuble de marque, statutaire, reconnaissable entre tous – car vu dans les pages des magazines pointus -, objet de distinction sociale par excellence, se trouve aujourd’hui contrebalancé par l’envie de sortir du lot à tout prix, de marquer sa différence au royaume du bon goût validé.

Le module H d’Hermès s’inscrit ainsi dans la lignée des systèmes de rangements Linea chez Lago ou Fortepiano chez Molteni, lancés avec succès ces dernières années. Au départ de volumes de profondeurs différentes, d’étagères de dimensions variables, disponibles dans plus d’une vingtaine de coloris, il est assez facile de jouer à l’architecte d’intérieur et de se dessiner sa propre composition murale. Molteni a d’ailleurs mis en ligne un site Internet dédié à Fortepiano sur lequel les internautes peuvent même poster – et partager – leurs propres propositions qui peuvent ainsi servir de base de travail à toute personne intéressée par une disposition similaire.

Même les meubles iconiques comme les fauteuils et canapés LC de Le Corbusier chez Cassina se prêtent à la customisation comme le démontre la petite animation en colorama sur le site de l’éditeur (www.lccollection.cassina.com).  » Maintenant, tout le monde veut faire du modulaire, ironise le designer italien Antonio Citterio. Mais c’est moi qui ai inventé le concept pour les canapés dans les années 80. À l’époque, il n’y avait sur le marché que des modèles trois places avec des accoudoirs. Proposer un sofa dont le tissu se zippe pour être nettoyé ou parce que l’on avait envie de changer de couleur ou d’imprimé, c’était déjà une révolution. Ce qui importe, c’est avant tout la typologie. On doit pouvoir s’asseoir dessus de toutes sortes de manières. Ensuite, la différence se fait au niveau de la qualité des matières, des coutures. Mais le choix doit rester raisonnable.  » Le modèle Charles, créé par Antonio Citterio en 1997 pour B&B Italia, reste depuis quinze ans l’un de leurs best- et long-sellers et en a inspiré bien d’autres depuis.  » La surface moyenne des appartements urbains est de plus en plus petite, constate l’architecte milanais. Le bureau et le salon occupent le même espace. Les structures doivent être plus compactes : c’est en partant de ce constat que j’ai conçu les modèles et les accessoires de la collection Suite, pour Vitra. Un canapé, c’est la vie. « 

Qui dit système modulaire, dit aussi souvent possibilité d’évolution dans le temps : on achète la base aujourd’hui que l’on complète demain, lorsque l’on habite dans un espace plus grand ou que l’on a plus de moyens.  » Parce que l’homme moderne a la chance de vivre plus vieux, il est plus que probable qu’il déménagera deux ou trois fois dans sa vie, analyse Charles Kaisin. Parce que l’on change aussi de boulot, parce qu’on divorce, on déménage et on doit accepter parfois de voir ses ressources diminuer, au moins temporairement. On peut donc facilement stocker quelque part les modules qui prennent trop de place pour les retrouver plus tard. « 

Comme une même pièce a plusieurs usages, un meuble aussi est amené à rendre des services différents.  » Aujourd’hui, on a son ordinateur dans sa poche, assure Marc Béchet, architecte d’intérieur et directeur du magasin de mobilier Side, à Arlon. Une tablette accrochée sur le côté du sofa suffit pour pouvoir travailler.  » Aux antipodes du bon vieux canapé-lit, le design des assises qui se transforme en un tour de main en couchage d’appoint a lui aussi radicalement changé de look. Difficile par exemple de penser qu’une literie complète se cache derrière le petit fauteuil compact Huggy de Lago dont les différents éléments sont bien sûr customisables.

Faudrait-il voir derrière cette volonté de personnalisation de ce qui a priori relève de la production en série la fin du design industriel pur et dur ?  » Certainement pas, rétorque Charles Kaisin. Sans industrialisation, il n’y aurait pas de modularité au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Le choix de couleurs dont on dispose désormais, c’est grâce notamment au développement des objets en plastique, chez Kartell par exemple, qu’il existe. A partir d’un même moule, on pouvait tout à coup sortir des modèles de coloris différents quasiment à volonté. Le marketing pousse tellement à l’uniformité, et ce même dans le luxe, que le besoin d’individualité se fait de plus en plus criant. « 

Jusque dans la forme que pourrait prendre une machine à café. Ainsi, la nouvelle U de Nespresso est équipée d’un réservoir d’eau qui se place à gauche, à droite ou à l’arrière en fonction de la géométrie du plan de travail sur lequel on la pose. S’il va de soi qu’elle existe bien sûr dans plusieurs couleurs, on peut aussi lui adjoindre une série d’accessoires à aimanter le long de l’appareil. Et lui donner un look totalement différent de celui de la cafetière de son voisin.

 » Parce que tous ces choix sont possibles, on peut réellement s’approprier un objet, s’identifier à lui pour qu’il devienne une part de nous-mêmes, développe Charles Kaisin. Bien souvent, pourtant, les gens finissent par opter pour la version la plus classique, comme si c’était avant tout l’idée que l’on peut choisir qui importait vraiment, plus que le passage à l’acte lui-même. Il est plus facile finalement de se rabattre sur ce qui rassure, que l’on a vu dans un magazine qui publie l’intérieur d’une célébrité. Comme si, du coup, le choix était validé. « 

Car si, sur papier ou d’après le logiciel, tout est possible, en pratique, c’est souvent l’imagination du futur client qui fait défaut.  » Pour véritablement exploiter toutes les capacités de systèmes comme le Fortepiano ou le 505 de Molteni, il faut vraiment se plonger dans les données techniques, détaille Marc Béchet. Chaque petite pièce a son importance. C’est un véritable Lego que bien souvent seuls les professionnels maîtrisent réellement. Il faut être capable d’extrapoler, de faire les bons choix en fonction de son propre espace. C’est pour cela que nous posons aux futurs acheteurs beaucoup de questions sur leur style de vie, leurs habitudes avant de leur proposer une solution qui sera peut-être très différente de ce qu’ils avaient en tête lorsqu’ils sont entrés dans le magasin, mais qui leur conviendra mieux. « 

On frise ainsi le sur-mesure, avec une maîtrise de la technique et de l’esthétique contemporaine qu’un artisan aussi soigneux soit-il ne possède pas toujours.  » Une entreprise comme Molteni investit massivement dans la recherche, dans tous ces petits détails qui ne se voient pas au premier coup d’£il mais qui font la différence « , insiste Marc Béchet. Le luxe sans la facilité du logo, qui se dévoile au toucher et révèle son charme à l’usage.  » Fortepiano est le fruit d’un travail collectif, confesse le designer Rodolfo Dordoni, concepteur du système. C’est un produit flexible, léger, pas seulement en terme de volume mais aussi en terme d’image. Mais pour arriver à cette légèreté apparente, il faut toute la maîtrise technique d’une entreprise comme Molteni. La jeunesse qui se dégage de ce projet est le fruit de plus de cinquante ans d’expérience. « 

Derrière l’objet, même industriel, ressentir la main de l’homme qui l’a dessiné, fabriqué, est de plus en plus essentiel.  » La crise aidant, l’envie de s’identifier à ce que l’on porte, à ce dans quoi l’on vit prend le pas sur le seul souci de distinction sociale, conclut Charles Kaisin. Une imperfection dans un produit artisanal lui apporte de la subtilité, du caractère, de la noblesse aussi.  » Un peu comme si, au détour du choix d’une couleur, d’une matière, d’une combinaison ou d’un accessoire, tout se résumait à l’absolue nécessité de montrer sa part d’humanité.

Lire aussi l’interview de l’architecte d’intérieur Charlotte Rigo en pages 20, 22 et 24.

PAR ISABELLE WILLOT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content