TOMBÉE DU CIEL

© CÉLINE DEMOUX

La Belgo-Libanaise s’est imaginé un job à sa mesure : atmosphériste. Et signe, depuis lors, des chambres d’hôtels, des scénographies et des intérieurs uniques, régis par la poésie et le savoir-faire des artisans.

Quand on se retrouve face à Sandrine Alouf, a fortiori quand c’est dans un tea room huppé d’Ixelles où se presse une foule polyglotte, on ne sait trop si l’on doit la regarder dans les yeux ou focaliser sur ses mains. De longs doigts graciles qui s’agitent pour souligner ses mots en douceur. En quelques minutes, la Belgo-Libanaise, qui vit à Paris mais est de passage pour voir sa famille à Bruxelles, isole notre table d’une bulle de calme et nous invite à vagabonder.  » Je crée des voyages immobiles. J’aime emmener les gens quelque part, c’est l’ADN de chacun de mes projets « , annonce-t-elle. Et à nous voir discuter là, à cent lieues de la cacophonie ambiante, pour sûr, elle a ce don. Nous voilà à suivre l’élégante quadragénaire dans ses souvenirs, suspendue à son récit charmant. Naissance à Bruxelles ; jeunesse bercée par l’art dans l’atelier de ses parents graphistes ; études d’histoire de l’art à l’ULB ; création d’un centre culturel ; direction de la Fondation pour l’architecture… Et puis, l’envie de bouger. Et de marcher sur les traces de sa grand-mère, Lou Bertot, née à Paris et qui collabora avec l’architecte belge Jacques Dupuis pour décorer des pavillons de l’Expo 58. Sandrine Alouf débarque donc à Paname en 2000, pour travailler avec des gens de Radio Nova.  » Une excuse pour m’installer là-bas « , avoue cette amoureuse de la capitale française qui reste néanmoins fière de ses origines :  » Je revendique ma belgitude. Les Belges ont cette capacité d’autodérision que n’ont pas les Français.  » De fil en aiguille, elle est engagée pour plancher sur l’Expo universelle de Seine-Saint-Denis, qui sera annulée. Elle part alors en Chine, y achète un vélo et file sur les routes pour… photographier les nuages,  » à la Magritte « . De retour dans l’Hexagone, elle compile ses clichés dans un livre ; puis se lance le défi de matérialiser les derniers mots de sa mamy :  » Sur terre, comme au ciel, je serai toujours là.  » Elle contacte la RATP, obtient le soutien d’Air France et transforme la station de métro Luxembourg… en ciel souterrain. Cumulo-nimbus et stratus deviennent sa signature, au point qu’un architecte la contacte pour décorer un hôtel. Une chambre,  » où les occupants finissent par s’envoyer en l’air  » dans un lit-nuage en lévitation, voit le jour. Un coup de poker…  » Quand je suis arrivée sur le chantier, on m’a demandé où mettre la clim’. Je n’ai su quoi répondre. Moi, je faisais des nuages. En France, on aime vous placer dans des cases. Je ne désirais pas être décoratrice, j’ai donc créé mon job : atmosphériste. Ça m’a propulsée.  »

Dix ans plus tard, Sandrine Alouf a déjà signé une vingtaine d’hôtels, des habitations, des chaises Wax Going On inspirées de tissus africains… et a tout appris sur le tas.  » J’imagine chaque détail : moquettes, papier peints, mobilier. Et je suis toujours en bleu de travail quand je bosse, pour être sur le même pied que les artisans…  » Des corps de métiers à qui elle voue une véritable admiration, eux qui transforment ses rêves en réalité –  » Je suis fascinée par ce que l’être humain fait de ses mains. Je photographie souvent celles des ouvriers.  » On comprend dès lors le pouvoir des siennes, elle qui dessine toujours sans ordinateur, suit le chemin de sa grand-mère et initie son fils de 6 ans à la création :  » Nos enfants possèdent les cartes d’un nouveau monde. Vu les bouleversements actuels, ils ne seront pas attachés comme nous aux valeurs du passé et ils ont entre les mains (encore !) une véritable encyclopédie : Internet. Bien utilisé, c’est un support d’imagination inépuisable.  »

Aujourd’hui, cette citadine dans l’âme semble avoir atteint un cap, celui d’exceller dans une profession qu’elle aime. Et voit déjà plus loin, se demandant comment profiter de sa visibilité pour s’engager plus dans l’écologie, la défense des filières techniques, la transmission du savoir… Une personnalité solaire qui entend désormais pointer son nez par-delà les nuages.

sandrinealouf.com

PAR FANNY BOUVRY

 » JE SUIS FASCINÉE PAR CE QUE L’ÊTRE HUMAIN FAIT DE SES MAINS.  »

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