Le  » syndrome de la poupée  » semble gagner l’univers publicitaire. Et si cette drôle d’idée masquait un terrible désir d’originalité ?

Retrouvez Frédéric Brébant chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même « , de Jean-Pierre Hautier, sur La Première (RTBF radio).

C’est le jouet un peu  » fashion  » du moment. Du moins aux Etats-Unis. Une poupée s£ur jumelle, version miniature de sa propriétaire. Un petit tour sur www.mytwinn.com plante rapidement le décor : grâce à une palette de quatre couleurs de peau, huit couleurs d’iris et quinze formes de visage différentes, les combinaisons physiques sont déjà énormes sur le plan statistique. A partir de 90 euros, chaque petite fille peut donc espérer recevoir une poupée à son image. Un être de chiffon qui lui ressemble un peu. Un jouet 100 % personnalisé. Car en ajoutant quelques euros de plus, le clonage plastique se révèle encore plus précis. Pour 8 euros, les éventuelles taches de rousseur et autres grains de beauté sont placés aux endroits stratégiques. Pour 12 euros supplémentaires, c’est carrément la coupe de cheveux qui est reproduite tip top sur la poupée grâce à un spécialiste capillaire réquisitionné pour l’occasion. Bref, il ne reste plus qu’à lui offrir ensuite la même garde-robe et hop, la magie opère : on a une vraie petite s£ur jumelle à la maison. Le comble du caprice d’enfant ? Pas seulement. Sur un autre site américain ( www.andgor.com), ce sont les adultes qui peuvent, cette fois, s’offrir le même genre de folie narcissique : une figurine de type Action Man dont les traits ont été spécifiquement sculptés à partir des photos du commanditaire. Libre à lui d’exiger ensuite le look commando, le smoking James Bond ou la parure Superman ! Idéal pour un cadeau d’anniversaire si, du moins, on dispose de quelque 300 euros à injecter dans ce culte démesuré de la personnalité. Franchement exubérante, cette dérive n’en est pas pour le moins surprenante. A l’heure où l’hypercustomisation s’invite dans les réflexes de consommation courante (aujourd’hui, on peut même commander des friandises personnalisées sur www.shop.mms.com), il n’est guère étonnant de trouver ce type d’initiative farfelue sur le Net. Mais au-delà de cette tendance de fond qui vise à considérer l’acheteur comme un client exigeant et désireux d’avoir son exemplaire unique de chaque produit, il existe désormais un courant émergent qui place l’individu au c£ur d’une nouvelle polémique : le syndrome de la poupée. Récemment, les campagnes publicitaires de marques de mode comme, par exemple, Benetton, Jil Sander, D&G et Guess ont, en effet, épousé cette étrange tendance commerciale. En clair : les personnes photographiées au sein de leurs pubs ressemblent plus à des mannequins de plastique qu’à de véritables individus faits de chair et de sang. Les poses sont figées pour l’éternité. Le regard est vide. La peau, synthétique. Que faut-il y voir ? Après la vague du porno chic publicitaire, les plus conservateurs trouveront sûrement dans ces images irréelles la glorification ultime de la femme-objet (et de l’homme-objet) : un être désincarné, manipulé et manipulable à souhait. A y regarder de plus près, on pourrait toutefois y déceler une tout autre théorie : et si le consommateur de l’an 2005 était finalement devenu un être virtuel à un point tel que même sa représentation publicitaire suppose le second degré ? Un être insondable et froid que l’on peut toutefois sensibiliser par l’une ou l’autre invitation à la customisation. Un ersatz de mannequin qui palpite lorsqu’il peut s’offrir, lui aussi, son double en forme de poupée.

Frédéric Brébant

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