Tous les charmes de l’Orient dans un ancien palais d’Alep
Cap sur Alep, l’une des plus ancienneS villeS du monde. Julien Weiss, virtuose du qanun, vous invite à découvrir son merveilleux salon de musique aménagé sous la coupole d’un ancien palais, au cour des souks de la cité syrienne.
Discographie : Le Chant du Monde -Harmonia Mundi a édité plusieurs coffrets de Al Kindi, dont » Transe soufie d’Alep « . Coffret 2 CD CMT 57 41 2051.52
A lui seul, le nom de l’artiste est le reflet d’une personnalité peu banale, le témoignage d’une inlassable quête spirituelle… Alsacien par son père, Bâlois par sa mère, Bernard Weiss naît à Paris le 18 octobre 1953. A 12 ans, il entre à l’école normale de musique pour y apprendre la guitare. Le début des années 1970 le voit sur la route : Maroc, Californie, Antilles… C’est à cette époque qu’il change son prénom en Julien. De retour en France, il compose, entre 1974 et 1976, plusieurs pièces pour guitare classique. Jusqu’au jour où l’écoute d’un disque de Mounir Bachir, le grand maître du oud (le luth arabe) donne une autre direction à sa vie.
L’étude du oud entraîne le jeune homme dans un long voyage initiatique auprès des musiciens les plus réputés du monde arabo-musulman, dont Mounir Bachir, qu’il rencontrera à de multiples reprises. » Il incarnait le reflet de la complexité des civilisations du Moyen-Orient, note Julien Weiss. Il était né à Mossoul, d’une mère kurde et d’un père syriaque orthodoxe. Son père charpentier était également chanteur et joueur de oud. » Mais Julien Weiss ne se limite pas à l’enseignement de Mounir Bachir. On le retrouve tour à tour en Tunisie, en Egypte, en Turquie, en Syrie, en Irak… Il devient un expert de la musique arabe classique, dominant la complexité des gammes et des modes orientaux. Il s’initie aussi à la pratique du qanun, une cithare trapézoïdale à cordes pincées, munies de résonateurs en peaux de poisson. L’instrument avec lequel il se produit aujourd’hui a été fabriqué à Izmir par le luthier Egder Gülec, selon ses propres prescriptions. Le nombre de cordes de ce prototype a été porté de 78 à 102, ce qui étend les possibilités de l’instrument à 5 octaves et lui donne une couleur nouvelle dans les sons graves.
En 1983, Julien Weiss fonde Al-Kindî, un ensemble instrumental dont le nom évoque le philosophe, mathématicien et astronome irakien du ixe siècle, père de la théorie scientifique de la musique arabo-musulmane. Toutes ces années passées dans le sérail de cette civilisation l’amènent aussi, en 1986, à se convertir à l’islam » Ce fut avant tout émotionnel, pour l’approche poétique et culturelle de cette religion, confie-t-il. C’est une forme d’intégration. » En conséquence, son nom évolue encore, accrochant au patronyme familial celui de Jalal Eddine, référence au fondateur de la confrérie des derviches tourneurs, plus connu sous le nom de Mevlana ( » le maître « ), qui vécut à Konya, en Anatolie, au xiiie siècle.
En 1995, Julien Weiss décide de s’établir à Alep. » Elle a la réputation d’être une des villes les plus mélomanes du monde arabe, explique-t-il. Depuis le xiiie siècle, elle est aussi un lieu important du soufisme, que l’on peut définir comme la tendance mystique de l’islam. » Le palais qu’il a rénové et aménagé date du xive siècle. Alep vit alors une époque faste. Preuve de stabilité, Venise y installe un comptoir. Ses navires de commerce accostent régulièrement dans les ports de la côte syrienne. Alep contrôle les échanges est-ouest, devenant un pôle majeur sur la route de la soie. On raconte qu’à l’époque, lorsque cent charges de soie arrivent à Alep, elles y sont vendues le jour même, tandis qu’il faut un mois pour écouler le dixième au Caire, pourtant la plus grande des villes.
Blottie au c£ur des souks de la ville cinq fois millénaire, la demeure de Julien Weiss, sans aucun doute construite par un notable, est d’une architecture sobre. Comme toutes les maisons des vieilles villes arabes, on y accède par une porte presque dérobée, au bout d’un étroit passage. Pour apprécier tout son charme, il faut se rendre au coucher du soleil au niveau de la terrasse qui entoure la coupole centrale de l’édifice, culminant à 17 mètres de hauteur. De là, la vue est imprenable sur le minaret de la grande mosquée, tandis qu’en toile de fond se dessine la silhouette monolithique et dorée de la légendaire citadelle d’Alep.
Julien Weiss a installé son salon de musique sous la coupole. La pièce est superbement décorée d’objets relevant de l’islam et de la pratique du soufisme, comme ces tambours, ces drapeaux et leurs hampes coiffées d’oriflammes, anciens ou contemporains, et tous ces manuscrits placés sous verre. On remarque aussi un tissu imprimé, un brocart de soie acheté à Fez, symbolisant 11 portes (le chiffre 11 évoque les 99 noms de Dieu).
Julien Weiss se défend d’avoir voulu reconstituer un intérieur syrien traditionnel. Cet amoureux des tissus, de leurs matières, de leurs impressions, de leurs broderies et surcharges (il possède également une impressionnante garde-robe) a choisi un velours de soie français du xixe siècle û rouge profond, brodé de motifs floraux et d’oiseaux û pour habiller les banquettes basses du salon. Dans sa chambre, on repère un autre velours de soie rouge avec des applications en argent, réservé en Orient pour le jour du mariage. Le lit à baldaquins est d’origine ottomane et les tissus qui l’habillent sont des saris indiens. La grande tenture murale, elle, est en fait un suzani d’Ouzbékistan, acheté à Istanbul.
C’est avant de quitter les lieux, lorsque la nuit vous surprend, que vous apprécierez la véritable passion de Julien Weiss pour la lumière. » J’éprouve une véritable fascination pour les lampes et les lustres, s’enthousiasme-t-il. Il y a notamment ceux qui sont ornés de ces sortes de grosses tétines en verre soufflé et coloré. Ils étaient réalisés par des artisans juifs. Le plus gros avec ses 40 tubes vient de Mossoul, en Irak. Les autres sont syriens. Quant à ces chapelets de perles, on les connaît depuis l’empire ottoman. Leur confection était réservée aux prisonniers. » Comme bien d’autres éléments décoratifs encore, ils soulignent l’impression de grande sensualité qu’on ressent ici… Surtout lorsque Julien Weiss commence à jouer du qanun, la cithare orientale dont cet Occidental est le maître incontesté.
Jean-Pierre Gabriel
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