Certains ont étudié la dentisterie, le marketing ou le théâtre, d’autres ont commencé leur vie professionnelle dans la restauration ou la chanson. Tous ont fait de la mode leur métier. Focus sur dix Belges au parcours atypique.

1. Sofie D’Hoore, un style incisif

 » Je suis issue d’une famille de docteurs. A 17 ans, après des humanités sous le signe du latin et des sciences, que j’adorais, je n’ai même pas imaginé m’orienter vers la mode. C’était tout simplement inenvisageable « , se souvient Sofie D’Hoore. Après avoir hésité entre la médecine et une formation d’ingénieur civil, elle opte finalement pour des études de dentisterie, qu’elle achève en 1984. Elle va jusqu’à suivre un stage en stomatologie mais le démon de la mode, qui la travaille depuis l’enfance, la rattrape.  » Quand j’ai décidé de vivre mes vraies envies, mon père, pourtant très fier de moi aujourd’hui, était furieux !  » se souvient la créatrice dans un sourire. La jeune femme suit alors des cours de patronage, mais apprend davantage en travaillant dans les ateliers de mode ou auprès des façonniers. Son label, qui jouit d’une belle reconnaissance dans le milieu pointu de la mode belge, propose des pièces à l’élégance sobre et raffinée, avec pour fil conducteur un jeu sur les volumes et les plissés.

2. Raf Simons, double vie

Considéré par le petit monde de la mode comme l’un des plus doués de la dernière décennie, Raf Simons n’est pourtant pas issu du sérail. Après ses études de design industriel à Genk, c’est un stage auprès de Walter Van Beirendonck qui lui inocule le virus de la mode. En 1995, du haut de ses 27 ans, il présente sa première collection à Paris. Petite révolution dans l’univers fashion et standing ovation pour son style qui fait souffler sur les codes classiques du vestiaire masculin un esprit décalé, teinté de notes punk et gothiques, résolument neuf. Malgré un succès fulgurant, Raf Simons ferme sa maison de couture en 2000… pour mieux revenir, un an plus tard, sur le devant de la scène. Tout en continuant à présenter sa propre ligne, il est depuis 2006 à la tête du studio de création de la prestigieuse griffe Jil Sander, à laquelle le minimalisme high-tech du Belge a apporté une seconde jeunesse.

3. Edouard Vermeulen, l’héritage

 » Si je travaille aujourd’hui dans la mode, c’est simplement parce que j’ai un jour poussé la porte d’une maison de couture « , aime à déclarer Edouard Vermeulen. Juste après son service militaire, cet architecte d’intérieur cherchait un emplacement pour s’installer à Bruxelles quand il fut intrigué par une pancarte  » soldes  » apposée sur une des enseignes de l’avenue Louise. La maison Natan, établie au n°158 de l’artère du luxe, éprouvait alors quelques difficultés financières. Edouard Vermeulen se voit proposer de sous-louer une partie de la grande bâtisse, où il installe sa galerie de déco. Deux ans plus tard, en 1984, il reprend l’ensemble du bâtiment, dont il relance les activités.  » J’ai engagé une ouvrière à l’essai, qui faisait aussi bien des rideaux que des vêtements.  » Exposée à l’arrière du magasin, la petite collection se vend bien : voilà la griffe Natan dépoussiérée.  » Ma formation m’a aidé, parce que j’ai appris à travailler sur la forme, la couleur et la matière, expose celui qui est aujourd’hui reconnu au niveau international, et dirige trois lignes (Natan Edouard Vermeulen, Natan Collection et Natan Edition 5). Mais la mode a un côté plus dynamique, qui m’oblige à me remettre en question tous les six mois et qui me plaît beaucoup.  »

4. Annemie Verbeke, l’art du rebond

D’une manière ou d’une autre, Annemie Ver- beke en serait venue à la création. Non seulement parce qu’elle en rêvait depuis les premières silhouettes qu’elle ébauchait à l’âge de 10 ans, mais aussi parce qu’elle avait déjà investi le milieu fashion par bien d’autres voies : mannequin lors des défilés de fin d’année de l’Académie d’Anvers dans les années 1970, styliste photo ou encore rédactrice pour des publications professionnelles ainsi que pour les cahiers de tendances qu’elle créa pour dynamiser l’industrie de la maille. Elle a étudié les arts graphiques à Saint-Luc. A l’époque le milieu de la mode sentait le souffre. Annemie Verbeke lance pourtant sa griffe en 1986, avant de prendre la décision, trois ans plus tard, de la mettre en stand-by, le temps de voir ses enfants grandir. Parallèlement aux cours qu’elle donne à La Cambre Modes de 1990 à 2001, elle travaille alors pour différentes marques. En 1998, elle renoue avec sa propre ligne et sa collection est récompensée par le Prix Modo Bruxellæ/Parcours de Stylistes. Son style alliant force et poésie, originalité et portabilité, séduit l’Italie, la France, les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Russie et surtout le Japon.

5. Fabienne Delvigne, chapeau bas !

Après un graduat en marketing à l’EPHEC (Ecole Pratique des Hautes Etudes Commerciales), Fabienne Delvigne a travaillé pendant deux ans dans le secteur avant d’avoir le déclic :  » J’étais en train de feuilleter Vogue et L’Officiel, quand une évidence s’est imposée à moi : je voulais créer des accessoires . » Les grincements de dents de sa famille n’y font rien, elle a trouvé sa voie.  » Je comprends que cela paraissait saugrenu : je ne savais même pas coudre !  » s’amuse- t-elle. Qu’à cela ne tienne, la jeune femme suit une formation dans un des derniers ateliers bruxellois. En parallèle, elle commence à créer des chapeaux… dans sa chambre à coucher. Et si, du haut de ses 23 ans, elle clame crânement qu’elle sera un jour la modiste de la reine Paola, elle reconnaît aujourd’hui n’avoir  » jamais osé espérer que ça marche aussi bien « . Pourtant, pas un mariage dans le gotha sans que Mathilde, Paola, Maxima des Pays-Bas, Maria Teresa de Luxembourg ou une des princesses suédoises portent une de ses créations.  » Parfois, on m’appelle en me demandant si je  » travaille aussi pour les gens normaux « , s’amuse Fabienne Delvigne. Justement, j’adore ça !  » En lançant ce mois de septembre une ligne plus jeune et plus abordable, c’est aussi ce public-là qu’elle vise. La preuve qu’on peut travailler du chapeau tout en gardant les pieds sur terre.

6. Les Own, duo doué

Tous deux sont français, mais c’est Bruxelles qui sera le catalyseur de leur rencontre. Thierry Rondenet a été instituteur trois années durant, tandis qu’Hervé Yvrenogeau a entamé des études de droit et de commerce. En 1989, ils décident de laisser libre cours à leurs élans artistiques en s’inscrivant en  » Sérigraphie et image imprimée  » à La Cambre. Un atelier  » mode  » les amène à faire la connaissance de Didier Vervaeren, alors en deuxième année de stylisme. Après avoir formé quelques années un triumvirat explosif – l’Union pour le Vêtement, label récompensé en 1994 par le prestigieux festival à Hyères et vendu au Japon et en Europe, puis Transcontinents Transcoopérative – Thierry Rondenet et Hervé Yvrenogeau décident de travailler en duo. En janvier 1999, Own, leur nouveau label, présente avec succès sa première collection Homme. Depuis, les complices se sont aussi lancés dans la mode Femme, et leur boutique ouverte il y a deux ans dans le quartier Dansaert, à Bruxelles, accueille d’autres griffes pointues.

7. Gerald Watelet, par amour du beau

Enfant, Gerald Watelet se rêvait danseur de ballet ou couturier :  » Je dévorais les images de Jours de France, se souvient-il. J’admirais déjà le travail de Balenciaga et Yves Saint Laurent . » Clin d’£il du destin, une vingtaine d’années plus tard, après être entré à la Chambre syndicale de la couture parisienne, il engage du personnel de la prestigieuse maison… Saint Laurent. Entre-temps, Gerald Watelet a suivi un parcours peu conventionnel, mais balisé, déjà, par le goût du raffinement et la recherche de l’excellence. A peine sorti de l’Ecole hôtelière de Namur –  » un  » vrai  » métier, selon mon père  » -, il est engagé à la prestigieuse Villa Lorraine.  » Pour moi, c’était là ou pas du tout. Je n’avais pas 18 ans, aucune expérience, mais je ne me suis pas présenté ailleurs.  » Son rêve de création, qui ne le quitte pas, se réalisera à la faveur d’une rencontre. En 1989, Gerald Watelet fait la connaissance d’un collectionneur de bijoux, avec qui il évoque son envie d’ouvrir une maison de couture :  » Il fallait être fou, mais il m’a proposé qu’on se lance, du jour au lendemain . » Un hôtel particulier ixellois abritera la boutique initiale, tandis que  » madame Irène « , première d’atelier, apprend le métier au futur grand de la mode.  » Elle a aujourd’hui 82 ans, explique celui qui affirme lui devoir énormément. C’est ma troisième grand-mère.  »

Du 21 septembre au 27 janvier prochain, le musée du Costume et de la Dentelle de la Ville de Bruxelles consacre une exposition sur le travail de Gerald Watelet. 12, rue de la Violette, à 1000 Bruxelles. Tél. : 02 213 44 50.

8. Christophe Coppens l’onirique

C’est en montant sur les planches que Christophe Coppens arrivera à la scène fashion. Après des études de régisseur et d’acteur au Conservatoire de Bruxelles, il ouvre un atelier et présente sa première collection de chapeaux en 1990. Tout en continuant à assurer la régie et la confection de costumes pour divers spectacles présentés dans la capitale, il réalise aussi des chapeaux pour Kaat Tiley, Gerald Watelet, Guy Laroche, Lolita Lempicka ou Yohji Yamamoto. Alors que le succès va croissant, il enrichit ses collections en nom propre de foulards, sacs et bijoux, créant un univers personnel faisant la part belle à l’onirisme et à l’humour teinté de poésie surréaliste. Après avoir investi le domaine de la déco, il lance une ligne d’accessoires pour hommes en 2004 et présente, l’année suivante à Paris, une première collection haute couture. Présent dans une centaine de points de vente au Japon, sans compter ceux des quatre coins de l’Europe et des Etats-Unis, Christophe Coppens possède aussi trois boutiques dans le quartier des créateurs, à Bruxelles.

9. Olivier Theyskens, libre-penseur

 » On suit tous, dans ce métier, des chemins multiples et variés, constate Olivier Theyskens. Au final, personne n’est jamais totalement autodidacte. Et si l’on apprend beaucoup avec les années, on retombe toujours sur le fondamental : laisser parler l’intuition.  » Après deux petites années sur les bancs de La Cambre, l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de Bruxelles, le Franco-Belge décide de voler de ses propres ailes et lance, à 19 ans, sa griffe en nom propre ( lire Weekend Le Vif/ L’Express du 31 août dernier). Accueil plus qu’enthousiaste lors de son premier défilé parisien, coup d’éclat quand Madonna porte une de ses robes aux oscars, consécration lorsque Vogue le classe parmi les sept plus grands couturiers du monde et que le Council of Fashion Designers of America le nomme  » Meilleur créateur étranger « , en 2006. A la tête de la création chez Rochas puis, aujourd’hui, chez Nina Ricci, il considère son parcours non académique comme un atout :  » J’ai probablement développé une logique d’équilibre plus personnelle. Je suis resté très  » blanc  » par rapport à ma façon de gérer mes goûts et mes choix en matière de création . »

10. Nathalie Gabay, en chantant

Jeune et jolie quadragénaire, Nathalie Gabay, aujourd’hui directrice artistique de Chine Collection, a pourtant déjà vécu mille vies. A 15 ans, elle enregistre L’Amour OK ? en duo avec Plastic Bertrand. Découverte des plateaux télé, rencontres de stars, la toute jeune fille prend goût à la vie d’artiste. Débrouillarde et volontaire –  » A 18 ans, on ne réfléchit pas, on veut  » -, elle se fait ensuite produire en solo. Ecoute mon c£ur qui craque sera vendu à près d’un million d’exemplaires ! Les deux opus suivants seront moins porteurs :  » ça s’est gentiment étiolé, j’ai préféré changer d’air « , se souvient-elle. Ni une ni deux, la voilà à Paris où elle enchaîne les castings, tourne dans des pubs. En 1988, elle est aux côtés de Clovis Cornillac dans Il y a maldonne, de John Berry. En rencontrant Luc Duchêne, futur père de ses deux enfants, Nathalie change de cap :  » Le cinéma n’était plus une priorité. Luc était distributeur de Chipie et Chevignon pour la Belgique, j’ai travaillé avec lui . » En 1992, le businessman bruxellois lance avec succès sa ligne bobo-chic, Chine. Une fois de plus, Nathalie se jette à l’eau avec enthousiasme. Après le commercial, elle joue aujourd’hui les directrices artistiques, notamment lors des défilés.  » Je travaille en étroite collaboration avec Guillaume Theys, notre styliste, résume-t-elle. Et je suis sûre que je n’en suis pas à mon dernier métier !  »

Delphine Kindermans

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