Sur la planète fashion, de nombreux métiers se côtoient. Coup de chapeau à tous ces pros qui oeuvrent dans la lumière… et aussi dans l’ombre.

1. LE CRÉATEUR

Le grand public connaît Karl Lagerfeld, Jean Paul Gaultier, Giorgio Armani ou John Galliano. Mais sait-il forcément qui est Proenza Schouler, Riccardo Tisci, Matthew Williamson ou Frida Giannini ? Il existe autant de catégories de directeurs artistiques que de stylistes eux-mêmes. Entre celui qui sait patronner mais pas dessiner, celui qui excelle quand il s’agit d’insuffler des idées au studio de création, celui qui manie le crayon comme personne… Les profils sont variés. Néanmoins, on remarque l’émergence d’une nouvelle constante, depuis la malheureuse affaire Galliano – pour rappel, le Britannique s’est fait licencier par Dior pour avoir tenu des propos racistes et antisémites. Le créateur-star a vécu : les griffes préfèrent désormais confier les rênes de leur studio à un génie discret, qui n’incarne plus à lui seul la marque auprès du public et de la presse. La pression, elle, est restée. Avec les multiples collections qu’il faut pouvoir sortir chaque année – prêt-à-porter, haute couture, Homme, Femme, cruise, prefall… -, les produits dérivés (accessoires, parfum…) sur lesquels il est dorénavant indispensable de se concentrer, les objectifs financiers à atteindre, les campagnes de marketing à orchestrer, la révolution 2.0 à penser, le créateur se transforme de plus en plus en homme à tout faire. Au risque d’y laisser sa santé.

C.PL.

2. L’ATTACHÉ(E) DE PRESSE

Elles (et quelques ils) claquent la bise à tout va, manient les  » ma chérie  » comme personne, tapotent sur leur BlackBerry 24 heures sur 24, peuvent traiter une journaliste comme une reine, sa voisine comme une moins que rien, adorent les gossip, serrent dans leurs bras… heu… ils ne savent pas vraiment qui, font la pluie et le beau temps dès qu’il s’agit d’octroyer les places des premiers rangs des défilés, bombardent la presse de mails dès qu’une star de troisième zone porte une pièce griffée… Cliché ? Si peu. Entre des journalistes qui veulent recevoir exclus et privilèges avant la concurrence, et des exigences toujours plus accrues de la part de leurs patrons, les attachés de presse ont la vie dure. Et ce n’est pas Lynn Tesoro, responsable de la communication de Zac Posen, qui dira le contraire. Il y a quelques mois, l’Américaine s’est fait gifler en public par Jennifer Eymère, rédactrice en chef du magazine Jalouse, pour n’avoir pas pu lui trouver de siège pour le show du créateur…

C.PL.

3. LA TOP-MODÈLE

Nul besoin de préciser que les mannequins ont un physique et des mensurations de rêve – quoique les visages atypiques ont aussi la cote. Régulièrement critiquées à cause de leur poids plume et leur jeune âge, ces belles suscitent l’admiration pour leurs jambes interminables certes, mais aussi pour leur grande capacité à donner vie au vêtement. Ce ne sont pas les apparitions sur les catwalks ou en Une des magazines qui leur permettent de bien vivre, mais les contrats comme égéries qu’elles négocient durement. Leur plus grand défi réside toutefois dans leur reconversion, tant les tops actuelles sont désormais interchangeables. Ainsi, Natalia Vodianova imagine des collections capsule pour Etam Lingerie (et met au passage le grappin sur Antoine Arnault, fils du patron du groupe LVMH). Kate Moss se transforme en icône de style et pense plusieurs pièces pour Longchamp. Carla Bruni se lance dans la musique. Quant à Anja Rubik (photo), elle vient de créer quatre paires de chaussures et un sac pour la griffe Giuseppe Zanotti, en vente dès le mois de mars prochain.

C.PL.

4. LE CALLIGRAPHE

Grâce à sa plume alerte, noms, prénoms, adresses et numéros de place s’enchaînent en lettres élégamment déliées sur les enveloppes et les cartons d’invitation attendus comme le Messie par toute la presse fashion. Si certaines grandes maisons ont un calligraphe in house, ces scribes de luxe sont la plupart du temps en mission pour deux ou trois jours dans les bureaux des marques ou de leurs services de presse, avec ordre de rester disponibles jusqu’à ce que le défilé commence, afin de pouvoir corriger in extremis une faute d’orthographe ou rédiger vite fait un marque-place pour une célébrité qui confirmerait sa présence à la toute dernière minute.

I.W.

5. LA FÉDÉRATION

A l’instar de la Camera Moda à Milan ou de l’IMG Fashion à New York, la Fédération française de la couture, du prêt-à-porter, des couturiers et des créateurs de mode est chargée de confectionner le calendrier officiel de la Fashion Week de Paris. Constituée en 1973, c’est aussi elle qui octroie les accréditations aux journalistes, photographes et acheteurs. Parmi ses autres missions : l’aide aux marques émergentes, la défense des droits de Propriété Intellectuelle, la formation, ainsi que le conseil, l’information et la résolution des problèmes de ses membres adhérents, que sont les maisons ayant une activité de haute couture ou de prêt-à-porter de mode féminine ou masculine.

C.PL.

6. LA FASHION EDITOR

Rédactrices en chef, stylistes et journalistes ont le pouvoir de faire ou défaire une carrière, rien que par leurs avis et articles de presse. Les plus célèbres d’entre elles se doivent de tenir leur rang. Durant les Fashion Weeks, leurs looks sont toujours soigneusement sélectionnés parmi les dernières nouveautés de la saison – et tant pis s’il s’agit de porter de l’été en hiver, et inversement. Parmi les plus connues, on retiendra Anna Wintour (photo : la première en front row en partant de la gauche), à la tête du Vogue US depuis 1988 et qui inspira le film Le Diable s’habille en Prada, sa collègue styliste Grace Coddington, adorée du milieu, la sulfureuse et frenchie Carine Roitfeld, ancienne muse de Tom Ford et ex-rédac chef du Vogue Paris, sa remplaçante Emmanuelle Alt, Anna Dello Russo, fashionista de première qui n’hésite pas à changer de tenues plusieurs fois par jour, la sérieuse Suzy Menkes, dont les commentaires sont lus avec attention dans l’International Herald Tribune…

C.PL. ?

7. LE SCÉNOGRAPHE

(3 questions à Bruno Pani)

Art de la mise en scène qui confine de plus en plus à l’expérience sensorielle, la scénographie est une de nos spécialités nationales, notamment grâce à Etienne Russo ou Bruno Pani (à gauche sur la photo), dont la société Profirst produit les défilés de Jean-Paul Lespagnard ou Giorgio Armani.

Qu’est-ce qui est le plus compliqué ?

C’est de traduire le concept du créateur à travers la collection, de le rendre cohérent et lisible pour l’audience, avec simplicité et élégance. Après cette conceptualisation, on recrée toute une chaîne d’expérience qui commence dès l’accueil des invités. Et puis c’est comme au théâtre, il faut générer une tension avec la musique, le noir et la lumière…

Qu’est-ce qui échappe au grand public ?

Il ignore qu’une scénographie n’est jamais arrêtée qu’à 50 %. Les derniers 50 % se règlent sur place, c’est de l’impro. Tout passe par un processus de réglage, d’affinage très tendu et vraiment passionnant. Une scénographie réussie n’arrive que si le créateur est en parfaite harmonie avec son univers. Il nous faut donc faire preuve de beaucoup de psychologie car les grands couturiers ne sont pas toujours de grands communicateurs.

Comment travaillez-vous avec Armani ?

D’une certaine façon, c’est plus facile de travailler pour de grandes marques parce que le cadre est défini de façon très précise. Giorgio Armani fonctionne à l’illumination. Vous venez avec des propositions et lui les garde, les jette, les modifie. Puis vous les retravaillez, vous revenez et ainsi de suite pour arriver à ce qu’il veut. Le vrai scénographe reste le créateur, nous ne sommes que l’architecte chargé de concrétiser ses idées.

M.N.

8. LA PREMIÈRE D’ATELIER

Exemple très haute couture : chez Chanel, où Madame Jacqueline règne sur le deuxième atelier tailleur. Ici, tout est hiérarchisé – à ses côtés, une seconde pour l’épauler, des premières et des petites mains qu’elle connaît par coeur. Son travail ? Interpréter les croquis du créateur, en l’occurrence, Karl Lagerfeld, depuis 1983. Ne pas s’imaginer qu’elle les reçoit des mois à l’avance, la mode (couture et prêt-à-porter confondus) se pratique dans l’urgence. Madame Jacqueline travaille avec Monsieur Karl depuis plus de vingt ans, d’abord chez Chloé puis chez Chanel.  » En fait, nous sommes ses mains « , commente-t-elle. Elle est aussi un peu devin : car comment parvient-elle à donner vie et volume, au centimètre près, à ces deux traits qui ressemblent à une veste en 2D pas franchement calibrée ?  » C’est très clair, décrypte la première d’atelier, il y a un galon ici, autour de l’emmanchure, là, une broderie en relief… Ses dessins sont très beaux.  » A elle ensuite de les traduire en trois dimensions, en toile de coton, sur son mannequin en bois. Puis passage au studio, avec essayage sur mannequin cabine, devant le maître et sans jamais avoir peur.  » Les essayages, comme le dit Monsieur Lagerfeld, c’est fait pour apporter des modifications et améliorer, et il a raison.  »

A.-F.M.

9. LA PATRONNIÈRE

Sans elle, pas de collection. C’est la femme de l’ombre par excellence. Et pourtant. Sans patron (donc sans patronnière, dite aussi modéliste), pas de vêtement. En théorie, pour passer de l’idée du créateur à la réalisation d’un vêtement, la marche à suivre semble simple : choisir l’une des trois techniques – le patronage à plat, le moulage ou le drapage. Mais dans la réalité, c’est une autre paire de manches. Dinie van den Heuvel en sait quelque chose. Formée par le grand Hieron Pessers (ex-Givenchy), passée par le studio de Jurgi Persoons, enseignante et CEO de son atelier de modélisme baptisé d’andt (en vieux flamand,  » made by hand « ), elle jongle avec le flou, le tailleur, le droit fil, le biais, le calicot, les mesures et les univers des uns et des autres. On appelle cela un travail d’artiste.

A.-F.M.

10. L’ENTREPRENEUR/EUSE

Vous la verrez aux défilés d’Ann Demeulemeester (1.), de Haider Ackermann (2.) ou de Jean-Paul Lespagnard (3.) accueillir les uns et les autres le sourire aux lèvres, et ce n’est pas forcé, puis quand le noir sera fait, vous l’apercevrez peut-être debout, contre un pilier, dans l’ombre, qui regarde de tout son corps le show de ses protégés. Puis après, en showroom, quand il s’agira de vendre, elle sera encore là, et ne laissera rien passer –  » ange  » avec les uns (les créateurs),  » diable  » avec les autres. Telle est Anne Chapelle, CEO et Partner de Bvba32, sa société sise à Anvers qui soutient, développe et/ou produit les trois créateurs cités ci-dessus. Avec elle, il est question  » d’honnêteté « , de  » transparence « , de  » valeurs, rares mais importantes  » qu’elle défend depuis 1993, quand elle est entrée dans cette petite structure lancée par Ann Demeulemeester où elle avait accepté de donner un coup de main pour trois semaines, cela fait vingt ans. Elle a cet esprit entrepreneur qui peut faire des miracles : elle a fait grandir Haider Ackermann, l’a aidé à se construire, lui a laissé le temps d’arriver à maturité, l’a encadré, il a appris à écouter, elle est heureuse qu’il soit l’un de ses poulains, comme le fut Josephus Thimister. Parce qu’elle trouve cela bien de défendre au sein d’une même société  » différents points de vue  » – entre Jean-Paul Lespagnard et Ann Demeulemeester, pas grand-chose de commun effectivement, mais elle trouve que c’est joli de voir que l’un aime ce que fait l’autre fait, et inversement.

A.-F.M.

11. LE STUDIO

Le saint des saints. Le lieu où le créateur crée. Dans une grande maison, cela ressemble à une fourmilière avec hiérarchie à respecter sous peine de petite mort fashion. Sans machine à coudre mais avec des règlements tacites et parfois tirés par les cheveux, on doit parler à voix basse, il est interdit de porter autre chose que du noir ou d’utiliser un marqueur rouge parce que cela déconcentre le styliste/directeur artistique/gourou. A contrario, dans une modeste maison, la créativité peut se loger dans la cuisine, sur la table du salon ou dans un bureau adjacent spécialement pensé pour le travail, avec machines à coudre, fer à repasser, buste Stockman, rouleaux de tissus et mood board. Selon la taille, on y croise des assistants, des stagiaires, des petites mains, une ou deux muses, un mannequin cabine, parfois des patronnières, des couturières qui travaillent sur les prototypes, des spécialistes de la maille, des tissus, des broderies ou même une attachée de presse cornaquant une journaliste.

A.-F.M.

12. LE PHOTOGRAPHE

A la fois acteur et témoin, le photographe est un interlocuteur privilégié, censé relayer le travail des créateurs et magnifier les pièces présentées, pour faire rêver un public absent des défilés, mais friand de poses glamour et de vêtements qu’il ne pourra jamais porter. Si mode et photo sont indissociables, le savoir-faire des pros s’exprime sous d’innombrables formes, les flashes crépitent des catwalks aux studios, des trottoirs aux front rows. Les photographes incarnent à la fois l’oeil implacable et le miroir d’une industrie narcissique qui n’a pas fini de s’admirer, sur écran ou papier glacé.

M.N.

13. LE PRODUCTEUR

Un producteur produit, un fabricant fabrique : de ses ateliers sortent des vêtements tout neufs. Il arrive qu’il soit aussi  » chef d’orchestre « . Explications par Marc Gysemans, patron de Gysemans Clothing Industry basée à Rotselaar.

Un métier, une définition.  » Je ne peux pas me définir comme simple producteur, je le suis bien entendu, mais je développe également et je distribue les collections. Je me considère comme un « gluman » : je suis le pont entre deux mondes différents qui ne se connaissent pas, celui de la fabrication et celui de la création. J’ai lancé Raf Simons et Kris Van Assche, j’accompagne aujourd’hui Jean Paul Knott, notamment.  » Un parcours.  » J’ai fait des études d’ingénieur en électromécanique, et à 24 ans, j’ai commencé à travailler comme chef de production dans un atelier de chemises à Louvain. En 1986, j’ai créé ma propre société. A cette époque, pour rentabiliser, les entreprises s’automatisaient, les autres faisaient faillite. J’ai engagé les meilleures ouvrières de ces grands ateliers-là et j’ai organisé le boulot en petites équipes, en fonction des quantités et des difficultés des modèles. Jusqu’il y a treize ans, j’employais 80 personnes, aujourd’hui, nous sommes 15 à plancher sur le développement, mes patronnières conçoivent les prototypes, nous faisons les premiers essayages ici et ensuite je produis dans mon usine en Roumanie.  » Un conseil à un jeune créateur.  » Créer avec ses tripes. Ne pas se laisser influencer. Ne pas se perdre, car quand on voit une collection, on sent directement si elle est juste ou pas. Il ne faut pas être trop pragmatique non plus… Il vaut mieux concevoir en abondance et après seulement couper ou démolir.  » A.-F.M.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON, MATHIEU NGUYEN, CATHERINE PLEECK ET ISABELLE WILLOT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content