Il crée l’émotion avec le prêt-à-porter printemps-été 2005 de Chanel… et la surprise en signant pour la marque H & M une collection de 30 vêtements qui seront en vente dès le 12 novembre prochain. Entretien avec Karl Lagerfeld, Un homme multiple,

mais toujours cohérent. pharaonien.

H aute tension ! Présentée le 8 octobre dernier, à Paris, sa collection prêt-à-porter printemps-été 2005 pour Chanel a électrisé l’assistance. Baptisée  » Red Carpet « , elle tenait de la superproduction hollywoodienne… et l’arrivée de Nicole Kidman, nouvelle ambassadrice du N°5, a suscité un ouragan de flashes. Il a fallu l’intervention de Karl Lagerfeld lui-même pour remonter le courant et que les super models, Linda Evangelista, Naomi Campbell, Nadja Auermann, entre autres, puissent fouler le tapis rouge déroulé sur le podium. Les créations ? Féminines en diable dans une brillante relecture des codes de la prestigieuse maison de la rue Cambon et, pour le final, une sublime robe en velours noir façon star des années 1950. De toutes ces merveilles, on en reparlera, c’est sûr. Mais la grande actualité du maestro, ces jours-ci, n’est rien moins que la collection qu’il signe pour le géant suédois de la confection. Pourquoi Karl Lagerfeld ?  » C’est un excellent styliste et surtout une véritable icône de la mode, explique Margareta Van den Bosch, responsable du design chez H & M. Nous avons pensé à lui en premier et, par chance, il a tout de suite accepté… Tous les vêtements et accessoires vont vite devenir des collectors. Mais le best-seller sera sans nul doute le tailleur, veste et pantalon en crêpe de laine noire… pour 138,90 euros. Et pourquoi H & M ? Karl Lagerfeld dit tout à Weekend.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous venez de dessiner une collection pour H & M. Pourquoi eux, et pourquoi vous ?

Karl Lagerfeld : Tout simplement parce qu’ils me l’ont demandé et que j’ai trouvé l’idée amusante. Je travaille dans la mode, et tout phénomène de mode me concerne et m’intéresse.

Qu’est-ce qui vous a fait choisir cette marque de grande diffusion et pas une autre ?

Eux, ils n’ont jamais fait de faux Chanel ! D’ailleurs, il a tout de suite été clair qu’on ne me demanderait pas de copier Chanel.

Vous étiez déjà entré dans un de leurs magasins ?

Jamais, mais je connaissais leur travail par les conversations autour de moi. Et, surtout, j’avais vu le résultat sur le dos des femmes. Un jour, chez Chanel, j’ai pris l’ascenseur avec une des filles de la maison. Elle était très jolie avec son manteau de tweed. Je lui ai fait des compliments et elle m’a répondu :  » Il vient de chez H & M, je n’ai pas les moyens de m’en acheter un ici !  » Evidemment, je n’ai pas vu de près les boutons ni la doublure, mais il avait un aplomb juste, moderne et une bonne coupe.

C’est la définition que vous donneriez de leurs vêtements ?

Oui. D’ailleurs, quand ils m’ont envoyé un costume de chez eux pour les photos publicitaires, je n’ai pas fait faire une retouche : c’était impec. Naturellement, les matières et les finitions diffèrent, mais c’est du travail honnête. Bien plus que ces secondes lignes des couturiers, criminelles de condescendance et d’ennui. Avec, d’abord, l' » exclusif  » û un mot atroce û pour ceux qui peuvent et, un peu en dessous, une ligne un peu moins bien pour ceux qui peuvent moins. Dans la mode comme partout, c’est le moyen de gamme qui a des problèmes. Il a des prétentions sans en avoir les moyens.

H & M représente donc une troisième voie ?

Ils répondent en tout cas à une nouvelle manière d’acheter et de s’habiller, qui consiste à mélanger des choses chères et pas chères. Aujourd’hui, sauf si l’on est épouvantablement démodé, on n’achète plus des choses chères pour emm… la copine, mais pour se sentir bien dedans.

Leur succès tient-il à cette compréhension de l’air du temps ?

Absolument. Cette entreprise existe en Suède depuis 1947. Mais si elle explose partout depuis quelques années, c’est parce que le temps est venu. C’est un phénomène de notre époque. On oublie trop souvent que la mode, c’est quand même ce que les gens portent. Tout ce qui n’est pas vécu n’est pas de la mode.

Vous ont-ils imposé, ou vous êtes-vous imposé, des contraintes particulières ?

Je ne m’impose jamais rien, je ne crois pas aux contraintes, elles paralysent. Tout s’est passé dans la légèreté, j’ai fait mes dessins, comme pour la haute couture, avec tous les détails. Je n’ai pas créé pour un type de femme en particulier. Penser uniquement aux plus jeunes, c’est une obsession de vieux qui confine au racisme. Mes propositions s’adressent à la Terre entière, à tous les âges, tous les milieux et à tous les sexes. N’allez pas en déduire que c’est  » unisexe « , encore un terme que je hais et tellement ringard. Naturellement, la forme de la veste est un peu plus galbée pour les femmes parce que c’est joli, mais c’est le corps qui donne sa signature à un vêtement. La base est la même ; la musique diffère.

Pour les 3 Suisses, vous aviez simplement dessiné un maillot de bain. Là, vous avez conçu une collection complète. Et unique ?

Il y a 30 pièces, mais je ne me suis pas dit :  » Je vais faire 30 pièces.  » C’est venu comme ça. A priori, je ne recommencerai pas, mais qui sait ? J’aime faire des choses toujours différentes. Avez-vous remarqué, d’ailleurs, qu’à force de proposer toujours ce que les femmes sont censées aimer, elles en ont ras le bol ?

D’après vous, que veut s’offrir une femme avec un vêtement H & M signé Karl Lagerfeld ? Un petit bout de Chanel ? Une image sublimée d’elle-même ?

Peut-être, en effet, l’idée d’un univers. Avec cette collection, H & M fait du snobisme à l’envers et donne à l’accessible ses lettres de noblesse. Car un vêtement n’est jamais seulement un vêtement. Vous savez, chez Chanel, les clientes achètent aussi la beauté du magasin, la disponibilité des vendeuses, l’écrin du sac ou du tailleur. ça fait partie du luxe.

Justement, qu’en pense-t-on chez Chanel ?

Vous ne croyez pas qu’il n’y a que des gens très cons qui pourraient être contre ? Chez Chanel, ils sont enchantés, car celles qui vont acheter Karl Lagerfeld chez H & M auront aussi envie d’un rouge à lèvres ou d’un parfum Chanel. Dans la maison, on sait que pour durer il faut toujours faire autre chose. Coco Chanel a connu plusieurs cycles. La non-évolution, c’est du fascisme.

H & M, c’est aussi vous ouvrir à un autre public ?

Mais je l’ai déjà ! Dans la rue, je suis populaire comme une rock star. L’autre jour, j’ai mis un bonnet pour aller me balader incognito. J’ai fait 10 mètres et un jeune beur m’a arrêté en me disant :  » Alors, on se déguise ? » Les jeunes se sentent proches de moi parce que je ne cherche pas à les imiter et que je n’ai pas non plus l’air d’un vieux banquier de l’establishment.

Vous aimez la nouveauté, à quoi doit-on s’attendre maintenant ?

Je m’occupe déjà de toutes mes collections, Fendi, KL Gallery… et des photos des campagnes de publicité qui vont avec. Ce n’est pas rien. Je vais aller au Japon pour Chanel, qui ouvre un immeuble immense où je vais présenter ma collection  » 5 à 7  » réalisée avec de très grands talents, le brodeur Lesage, le plumassier Lemarié, le bottier Massaro… A part ça, il y a les livres que j’édite. Des ouvrages très visuels diffusés dans le monde entier, et puis des choses plus difficiles, comme la poésie. Je vais aussi publier les dix premières années d' » Interview « , le magazine d’Andy Warhol, réunies en sept volumes.

Vous reste-t-il encore du temps pour danser le tango ?

Toujours.

Propos recueillis par Lydia Bacrie et Martine Marcowith

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