Une cité côtière où respirent encore les traditions d’antan, et une baie somptueuse à la flore baignée de sources chaudes… Bienvenue dans une région nipponne étrangement méconnue.

Pays par excellence de la haute technologie, de la vie à cent à l’heure et des idées les plus extravagantes, le Japon possède aussi des lieux plus sereins pour profiter des jours qui passent et flâner paresseusement au fil des rues. Avec son demi-million d’habitants, la ville du bord de mer de Kanazawa présente une offre culturelle et historique exceptionnelle, sans être écrasante comme la mégalopole Tokyo. La péninsule de Noto, un peu plus au nord de la ville, est réputée pour ses magnifiques forêts, ses vallées et ses sources chaudes volcaniques. Très appréciées des Japonais eux-mêmes, la cité comme la péninsule restent pratiquement inconnues au-delà des frontières du pays… du moins pour l’instant, car la nouvelle ligne de train à grande vitesse qui sera inaugurée en 2014 pourrait bien venir changer la donne. En attendant, Kanazawa demeure un secret bien gardé.

GEISHAS ET SAMOURAÏS

Kanazawa baigne toujours dans l’atmosphère authentique du Japon d’autrefois : c’est l’une des rares métropoles à avoir échappé aux bombardements américains durant la Seconde Guerre mondiale, et elle a eu la chance de conserver intacts certains districts vieux de plusieurs siècles. C’est notamment l’unique ville du Japon où l’on trouve encore aussi bien le quartier historique des samouraïs que celui des geishas ; ce dernier (Higashi-Chayamachi) est même le seul à avoir été entièrement préservé. Il possède une centaine de maisons de thé tout en bois, dont six emploient d’authentiques geishas. Shima, jadis l’établissement le plus somptueux et le plus réputé du quartier, abrite un musée qui explique comment les hôtesses divertissaient les commerçants (moines et samouraïs n’étaient pas admis dans cette zone de la ville). Rien n’a changé dans la maison depuis le départ des derniers clients. En ressortant, prenez le temps de lézarder dans les ruelles tortueuses ou faites-vous plaisir en poussant la porte de la vénérable maison de thé Mizuho, à une centaine de mètres de l’école des geishas : pour moins de 10 euros, vous y trouverez un service et un menu dignes d’un temple de la nouvelle cuisine ! De l’autre côté du fleuve, se trouve Nishi-Chayamachi, le second quartier des plaisirs de Kanazawa, plus modeste et nettement moins fréquenté. Plus près du centre, derrière les étalages chatoyants de Louis Vuitton et Giorgio Armani, s’étale l’ancien quartier des samouraïs (Nagamachi). Les vieilles bâtisses aux murs de torchis ont toutes été préservées dans leur état d’origine. Ne ratez pas la maison Nomura et son jardin zen vieux de 400 ans, qui passe pour être l’un des plus beaux du Japon avec sa lanterne, son étang et son ruisseau d’eau vive. Dans le hall d’entrée est exposée une authentique armure de samouraï datant de la même époque.

ARTS ET MÉTIERS

Les raisons qui expliquent le riche héritage culturel de Kanazawa sont moins évidentes qu’il n’y paraît. Au cours de l’époque d’Edo, il y a environ cinq cents ans, le Japon était dirigé depuis Edo (Tokyo) par le shogun Tokugawa Ieyasu. Comme son statut de deuxième ville la plus riche du pays faisait de Kanazawa une concurrente potentielle, les seigneurs locaux – la dynastie féodale des Maeda – étaient surveillés de près par une nuée d’espions à la solde du pouvoir central. Pour éviter d’éveiller les soupçons, le seigneur Maeda décida donc d’investir principalement dans les arts et métiers… dont bon nombre sont restés bien vivaces à Kanazawa. Au point même que l’Unesco lui a octroyé en 2009 le titre de  » ville de l’artisanat et des arts populaires « . La plus célèbre de ces activités traditionnelles est la fabrication de feuilles d’or : Kanazawa concentre pas moins de 99 % de la production japonaise et a notamment fourni le revêtement du célébrissime Pavillon Doré de Kyoto. Dans les vieux quartiers, on rencontre même ici et là des murs dorés à la feuille, mais aussi des manufactures et des ateliers touristiques qui proposent, pour le plus grand plaisir des vieilles dames, d’apprendre à dorer soi-même ses baguettes ( » hashi « ). Le clin d’oeil au métal précieux se retrouve jusque dans le nom de la ville et ses idéogrammes  » kana  » (or) et  » zawa  » (marais).

PASSÉ ET PRÉSENT

Sa capacité à donner à son riche passé culturel une place dans le présent contribue à faire de Kanazawa une ville aussi intéressante que dynamique. Son ambitieux musée d’Art contem-porain (le 21st Century Museum of Contemporary Art) fait par exemple bien plus que combler les attentes. Conçu par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (le duo d’architectes japonais qui s’est vu décerner en 2010 le Pritzker Prize, l’équivalent du Prix Nobel dans le domaine de l’architecture), le bâtiment circulaire tout en murs blancs et parois de verre capture la lumière particulière du ciel nippon avec tant de finesse que, sous quelque angle qu’on l’ausculte, il apparaît lui-même comme une véritable oeuvre d’art. L’intérieur est plus spectaculaire encore, avec notamment le Blue Planet Sky de James Turrell, une réinterprétation moderne du panthéon spécialement conçue pour Kanazawa, et L’Origine du Monde de l’artiste britannique d’origine indienne Anish Kapoor, inspirée par le célèbre tableau de Courbet. Dans la pénombre de la Heart Beat Room, une ampoule clignote doucement au rythme des battements de coeur du visiteur avant de le communiquer à 300 autres lampes qui se mettent toutes à s’allumer et s’éteindre en cadence. Sur le bâtiment central du musée, L’Homme qui mesure les nuages de notre compatriote Jan Fabre pointe inlassablement sa toise vers le ciel. Enfin, dehors, la Colour Activity House d’Olafur Eliasson enchante les enfants. Les plus jeunes sont d’ailleurs nombreux à venir s’extasier devant ces oeuvres avec leurs parents pendant le week-end : au Japon, la découverte de l’art moderne est une activité familiale.

MÉDITATION

Le Japon ne serait évidemment pas le Japon sans ses jardins zen. Le Kenroku-en (ou  » jardin des six attributs « ), au pied de l’impressionnant château et à un jet de pierre du musée d’Art contemporain, est sans aucun doute l’un des trois plus beaux du pays. Créé dès 1620, il domine aujourd’hui toute la ville avec ses quelque 12 hectares de superficie. C’est également l’un des rares exemples du genre à associer avec succès les six éléments fondamentaux du jardin zen idéal conciliant trois principes opposés : des espaces à la fois ouverts et isolés, une impression de naturel en dépit d’un caractère (forcément) artificiel et, enfin, des perspectives grandioses avec une omniprésence de l’eau vive. En outre, sa composition et sa palette de couleurs évoluent au fil des saisons mais aussi des heures de la journée. Autant dire que tout cela a fait l’objet d’une longue et profonde réflexion. Au milieu du parc, se dresse la maison de thé Shiguretei, dont l’intérieur est agencé pour que le jardin semble s’inviter dans le bâtiment. Comme nous l’explique une visiteuse japonaise,  » une bonne maison a un bon jardin, et un bon jardin, une bonne maison. L’un ne va pas sans l’autre « .

Le Kenroku-en n’est toutefois pas le seul endroit de la ville où vivre l’expérience du  » zen  » : le musée D.T. Suzuki, ouvert depuis un an mais si bien dissimulé aux regards qu’il échappe même à l’attention de la plupart des touristes nippons, est un véritable joyau. Il est dédié à la mémoire de Daisetz Teitaro Suzuki, célèbre bouddhiste qui a consacré son existence à l’étude de la puissance du zen et son lien avec la psychanalyse européenne. Le musée comporte trois espaces : le premier aborde la vie du philosophe, le deuxième abrite une bibliothèque regroupant son oeuvre et le troisième constitue une petite salle de méditation qui donne sur un étang zen. Le spectaculaire plan d’eau et le musée adjacent ont tous deux été conçus par Yoshio Taniguchi, architecte japonais minimaliste qui a également dessiné le MoMA new-yorkais. Au coucher du soleil, les murs de pierre se teintent d’une douce lueur rouge, à l’instar du feuillage encore vert des arbres sur la colline, tandis qu’à chaque minute, une bulle d’air vient troubler l’ordonnancement parfait de l’étang en faisant trembler le dessin des dalles au fond de l’eau…

LES FEUX DES KIRIKOS

Cette vie de paix et d’ordre a évidemment son revers : lorsque les Japonais font la fête, ils se déchaînent ! Les festivités célébrant l’arrivée de l’été et la saison des récoltes dans les villages de la péninsule de Noto, la région vierge qui s’étale au nord de Kanazawa, sont l’occasion pour la population de consommer des litres de saké et de mettre le feu à des constructions de bois hautes de plusieurs mètres, qui se retrouvent régulièrement au coeur de la foule. Les hommes promènent à travers le village des reliquaires de plusieurs tonnes, et les kirikos, splendides lanternes traditionnelles pouvant atteindre dix mètres de hauteur, sortent de leur entrepôt. Initialement construits dans le but d’élever la lumière le plus près possible de la divinité, les kirikos sont devenus au cours de la période d’Edo des objets de compétition entre les différents quartiers du village, chacun s’efforçant de construire une lanterne plus belle et plus grande que celle des voisins. Ils sont promenés dans les rues à plusieurs reprises au cours de l’été. Mais si vous n’avez pas l’occasion d’assister aux festivals, vous pouvez toujours vous rabattre sur le musée où ils sont conservés le reste de l’année, à Wajima. En voiture, au départ de Kanazawa, le trajet ne représente qu’une vingtaine de minutes… dont huit kilomètres sur la plage ! La péninsule de Noto possède en effet la seule voie rapide au monde où les voitures roulent à même le sable, nivelée et tassée quotidiennement par des tracteurs. Une expérience absolument surréaliste !

TRAITEMENT IMPÉRIAL

Au Japon, la péninsule de Noto est surtout connue pour ses sources chaudes (onsen) plus ou moins importantes, éparpillées aussi bien dans les zones montagneuses qu’au bord de la mer. La station thermale la plus réputée du pays est probablement celle de Wakura, où les hommes d’affaires arrivent en limousine et sont accueillis par une haie d’honneur de geishas en kimono. Le plus bel endroit de Wakura est toutefois le ryokanTadaya, auberge traditionnelle dont la formule remonte à la période d’Edo. Ses chambres aux sols revêtus de tatamis et aux portes coulissantes en papier offrent une vue imprenable sur le coucher du soleil dans les eaux sombres de la baie de Noto. A leur arrivée, les hôtes sont priés d’enfiler un yucata traditionnel. Pendant qu’ils prennent le repas du soir dans une autre pièce, les employés de l’hôtel se chargent d’écarter la table basse de leur chambre pour dérouler le matelas futon. Dans un ryokan comme celui-ci, vous serez certain d’être traité comme un prince. Le petit déjeuner et le repas du soir durent tous deux exactement une heure et demie : tous les quarts d’heure, votre employé personnel en kimono vous apporte un nouveau plat, souvent décoré de paillettes de feuille d’or. Le plus savoureux des mets trône bien en évidence dès le début de la cérémonie… mais pas question d’y toucher avant que le serveur ait allumé la bougie qui réchauffe le bol : la viande de boeuf de Noto, dont les Japonais affirment qu’elle fond littéralement dans la bouche, est indéniablement l’un des temps forts de ce fastueux repas ! Après le dîner et avant le petit déjeuner, direction les onsen pour mijoter dans une baignoire de granite remplie d’eau (très) chaude en contemplant les vagues. Même votre départ sera entouré des soins les plus chaleureux, et le personnel de l’hôtel ira jusqu’à vous avancer votre voiture.

Vous l’aurez compris : les beautés, les saveurs et les richesses de cette région se comptent sur les doigts de cent mains. Il serait donc difficile de détailler ici les mille charmes de Noto et Kanazawa. Se rendre sur place constitue la meilleure des idées. Pour vous convaincre totalement, citons encore quelques attraits en vrac : la fabrication traditionnelle d’objets en laque, l’une des plus belles gares au monde, ou une vie nocturne trépidante qui n’est pas sans évoquer New York un samedi soir… Bref, une offre culturelle qui n’a rien à envier à celle des métropoles internationales, mais dans une ville à taille humaine, avec des habitants à l’âme hospitalière, ouverte et généreuse, qui respectent leur passé sans pour autant fuir l’avenir…

PAR DAAN BAUWENS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content