TRIPONS NIPPON

Il n’est pas nécessaire d’aller à Tokyo, Kagoshima ou Miyakojima pour se la péter. Suffit de faire tout à la sauce nippone et c’est bon comme là-bas. En mode, en beauté et bien au-delà, le Japon n’a pas fini de nous inspirer.

LE MAÎTRE DE L’ANTI-MODE

Il en a parfois par-dessus la tête d’être appelé le maître de l’anti-mode, mais Yohji Yamamoto n’y échappera pas. Car depuis 1971, date de la création de sa maison, le Japonais siège au panthéon des architectes du vêtement. Qui plus est, de son vivant. Il aura beau flamber au mah-jong, jouer au  » farceur effronté « , comme l’appelle le philosophe Kiyokazu Washida, pincer sa guitare et utiliser ses accords en guise de bande-son pour ses shows, rien n’y fera. Il restera celui par qui la rupture est arrivée. Quand il débarque à Paris en 1981, avec ses collections, la presse ne sait sur quel pied danser – quel est donc ce goût pour un paupérisme revendiqué, ces lambeaux de tissus et les trous qui vont avec, ce noir omniprésent ? Il fait tache dans ce monde feutré né de la haute couture qui ne se réinvente guère, il ose l’inachevé, l’usé, le déséquilibre harmonisé, le no make-up et les pieds nus pour contrer le trop de tout, l’érotisme à la française et le ronronnement occidental. L’onde de choc sera dévastatrice. D’autant qu’il n’est pas le seul : Rei Kawakubo et son label Comme des Garçons enfoncent le clou avec une grammaire autrement codifiée, qui magnifie la recherche. On mesure le chemin parcouru à l’aune des couronnes qu’on leur tresse désormais, ici et ailleurs. Depuis, Yohji Yamamoto a affirmé ses prises de position, ses filiations certaines (Dior, Vionnet et Chanel), ses reconstructions et ses interprétations infinies du kimono. Il entend plus que jamais créer  » des espaces entre les vêtements et le corps  » et délivrer ses messages vitaux, comme cet automne-hiver qui s’annonce crépusculaire et plein de grâce.

À RUSÉ, RUSÉ ET DEMI

On peut se chausser de cuir italien et néanmoins être plus japonais que l’empereur. Suffit de glisser ses pieds dans la première collection de souliers Femme et Homme labellisée Maison Kitsuné. Lequel se traduit par  » renard  » et est, ce n’est pas un hasard, le symbole de la versatilité, ainsi l’ont voulu Gildas Loaëc et Masaya Kuroki, cofondateurs et directeurs artistiques de cette petite entreprise pêchue qui manie la musique, la mode et la street culture comme pas deux. Le tandem plonge ses racines à Lesneven en Bretagne et à Nakameguro, microquartier à un jet de pierre de Shibuya, Tokyo. Il a fallu que ces deux hyperactifs se rencontrent à la fin des années 90, dans le magasin de disques du premier, pour qu’ils décident plus tard, en 2002, de fonder cette griffe qui voit grand et assume ses penchants japonais. En visionnaires intuitifs, ils ont implanté leur boutique et leur café accolé à Aoyama, Paris, New York et Hong Kong avec l’idée très peu saugrenue d’offrir  » tous les essentiels d’un vestiaire masculin-féminin, entre chic et décontraction « . Leur manière à eux de lutter contre l’ennui.

www.maisonkitsune.fr

LA SANDALE SAMOURAÏ

Le printemps-été de Nicolas Ghesquière a des accents japonisants, ces sandales Samouraï en sont la preuve. Le directeur artistique de Louis Vuitton s’est laissé inspirer à la fois par le cosplay, cet art du déguisement en héroïnes de mangas, et par une phrase devenue mantra :  » La seule limite est celle de votre imagination.  » Il a fait sienne cette maxime qui incite au fantasme et proposé à Square Enix de mettre en scène une partie de sa Série 4. Soit une société tokyoïte spécialisée dans les jeux vidéo de rôle (Final Fantasy, Dragon Quest et Kingdom Hearts) pour dessiner les contours de sa campagne de pub de la saison, avec Lightning en muse virtuelle et chevaleresque. Où l’on apprend qu’elle est  » l’avatar parfait de la femme globale et héroïque et de ce monde à nos portes où les réseaux et la communication digitale font désormais partie de nos vies. Elle est aussi le symbole des nouveaux procédés picturaux. Comment créer une image au-delà des principes classiques de la photographie ou du dessin ? « , s’interrogeait le créateur français, qui a visiblement trouvé la réponse.

www.louisvuitton.com

CERISE SUR LE GÂTEAU

La floraison part de l’archipel d’Okinawa et remonte jusqu’à Hokkaido, il lui faut un mois pour couvrir tout le Japon et rendre fébriles ses ressortissants. Car un cerisier (sakura) en fleur, c’est beau. Et c’est l’occasion de pique-niquer en-dessous et de boire du saké. Rituals Cosmetics s’est emparé de cette fête pour décliner une gamme qui marie la douceur de la fleur de cerisier au lait de riz bio.

Boîte à thé et bain mousse, The Ritual of Sakura, Rituals, 3,50 et 13,50 euros.

LES MOTS POUR LE DIRE

On ne badine pas avec la politesse au Japon, optez donc pour une salutation passe-partout, avec copion sur tee-shirt, merci Scotch & Soda. Bonjour se dit Konnichiwa, prononcez kohn-ni-tchi-wah. A remplacer par Ohayo gozaimasu, prononcez oh-hah-yoh goh-za-aille-masse, si vous devez saluer quelqu’un avant le déjeuner. Et si vous êtes entre potes du même âge, osez la forme décontractée  » salut, mec  » qui se dit Ossu et se prononce ohssou.

www.scotch-soda.com

LA NOBLESSE DU BOIS

Takeo Yamanaka vit le jour au début du siècle dernier sur Itsukushima, une île parmi les plus belles de l’archipel – terre sacrée pour les shintoïstes, elle est couverte d’épaisses forêts et l’abattage y est proscrit. Difficile de ne pas soupçonner l’influence de cet environnement si particulier sur la trajectoire du jeune Takeo ; fasciné par ce matériau capable de  » changer de forme comme par magie « , il fonde Maruni Wood Industry à Hiroshima en 1928, et s’emploie, à travers la production de mobilier, à célébrer la noblesse du bois tout en réinventant la place centrale que celui-ci occupe dans le quotidien des Japonais. Très vite, Maruni réussit à transposer le savoir-faire séculaire de ses artisans sur un équipement de pointe et s’impose comme le grand pionnier de l’industrialisation de techniques traditionnelles. Et reste, aujourd’hui encore, l’un des fleurons du meuble nippon. Avec l’ambition avouée d’exporter l’esthétique orientale, l’entreprise collabore avec des designers locaux, mais fait également appel à des pointures occidentales, Alberto Meda, Michele De Lucchi ou plus récemment Jasper Morrison, qui s’est parfaitement inscrit dans son esprit de minimalisme sophistiqué.

LE GOÛT DU SAKÉ

On l’avait adoubé  » le plus japonais des cinéastes « , il préférait se dire  » marchand de tofu « , rapport à l’apparente modestie de ses films. Et si Yasujiro Ozu (1903-1963) a choisi de faire graver sur sa tombe un seul caractère,  » Mu « , que l’on pourrait traduire par  » l’impermanence « , c’est en connaissance de cause. On lui doit 54 films, dont 17 perdus, du Sabre de pénitence (1927) au Goût du saké (1962). On lui doit surtout une oeuvre qu’il est impossible d’oublier une fois visionnée. Grâce à la stylisation de ses images, de ses intentions, de ces émotions, qui, par capillarité, réussissent à vous imprégner durablement. Son vocabulaire formel, qui revendique le goût de la simplicité et de la chronique des vies ordinaires, prend toute sa consistance dans l’épurement du cadre, les plans fixes, la composition raffinée et rigoureuse, la caméra posée bas, à hauteur d’homme agenouillé sur un tatami. Dès le 3 juin prochain, Cinematek et Flagey s’offrent le luxe d’un cycle de sept films rassemblés sous le titre générique des Saisons de Yasujiro Ozu – avec en ouverture Printemps tardif et en clôture, très logiquement, Le goût du saké, le dernier film de cet homme sensible qui aimait tourner des remakes de ses chefs-d’oeuvre.

Les Saisons de Yasujiro Ozu, Studio 5 à Flagey, place Sainte-Croix, à 1050 Bruxelles. www.cinematek.be et www.flagey.be. Du 3 juin au 30 août prochains.

TOKYO VICE

 » Je dédie ce livre à l’inspecteur Sekiguchi qui m’a appris à me conduire en homme honorable. Ce que j’essaie d’être. A mon père qui a toujours été un héros pour moi et m’a appris à défendre ce qui est juste. Au Tokyo Metropolitan Police Department et au FBI pour nous avoir protégés, moi, mes amis et ma famille, et pour leurs efforts constants pour maintenir les forces du mal en échec.  » Un bouquin qui débute par de telles dédicaces ne peut pas être fondamentalement noir de désespoir. Même si son auteur, Jake Adelstein, a passé quelque quinze années  » au milieu de ce qu’il y a de plus sombre dans l’empire du Soleil levant « , fut journaliste d’investigation au Yomiuri Shimbun, le quotidien le plus lu au Japon, a bossé dans la rubrique faits divers et affaires criminelles puis fréquenté de (trop) près les yakuzas, la puissante et terrifiante mafia locale. Cet Américain natif du Missouri et gaijin pour le coup a enquêté sur le crime organisé et ceux qui le pratiquent, corps tatoués, doigts coupés et liens tribaux dans la foulée, puis écrit ce qui ne pouvait s’écrire. Son Tokyo Vice, paru en 2009 et aujourd’hui édité dans sa version française par la famille Marchialy, est une bombe – dans ce qu’il dénonce, dans son écriture précise et pince-sans-rire. Dépêchez-vous de le lire avant que sa version ciné débarque – Daniel Radcliffe y a troqué ses habits de sorcier pour ceux du parfait yakuza.

Tokyo Vice, par Jake Adelstein, éditions Marchialy, éditions Marchialy, 2016.

CHARMING CHOUCHOU

Il n’a vraiment pas l’air Lost in Translation, Sir Paul Smith. Faut dire que le Japon, ça le connaît. Le créateur anglais y a des nuées de fans et plus de 200 boutiques à son nom (lire par ailleurs), dont celle de Jingumae avec jardin couleur locale. La découverte ?  » C’était en 1982 et j’avais très envie d’aller là-bas « , confie ce gentleman designer adepte du  » learning by doing « . Depuis, fidèle, il y retourne dès qu’il peut, car le Japon l’a adopté et inversement, avec notion d’étreinte à la clé.  » J’adore leur travail éthique, leur manière de penser et leur admiration pour les personnes âgées.  » Les jeunes filles tombées en amour le lui rendent bien.

Z COMME ZORI

Un design  » basique  » mais  » futuriste  » aux origines traditionnelles. Voilà comment résumer ces zori ultracontemporaines fabriquées artisanalement à Kyoto. Elles sont siglées Simon Miller X JoJo, soit le fruit d’une heureuse collaboration entre ce label US aux racines californiennes et aux influences japonaises et la griffe qui chausse les insulaires branchés. Un plan culte en exclusivité chez Icon, à Bruxelles.

5, place du Nouveau Marché aux Grains, à 1000 Bruxelles.

LE NOM DE LA ROSE

Partisan d’un raffinement discret, le nez d’Hermès, Jean-Claude Ellena, semble séduit par les enseignements de l’ikebana :  » Esthétique et minimaliste, cet art traditionnel japonais, qui compose des bouquets avec peu d’éléments, floraux et végétaux, correspondait à une forme d’expression que je pouvais transposer en parfum. Une rose au petit matin, légère et humide de rosée.  » Qu’il contraste avec de la rhubarbe croquante pour un jus forcément délicat.

Hermessence Rose Ikebana, 170 euros les 100 ml.

ORIENT EXPRESS, HORS STRESS

Concilier l’effervescence fashion du Faubourg Saint-Honoré et de ses boutiques de luxe avec le calme d’une bulle hors du temps, tout en raffinement oriental ? La quadrature du cercle, tant le Triangle d’or parisien est connu pour son rythme trépidant. C’est pourtant le défi relevé par le Buddha-Bar Hotel, ouvert en 2013 dans la même philosophie  » fusion  » que le restaurant éponyme, situé à deux rues de là et dont la réputation n’est plus à faire auprès des locaux comme des touristes branchés. Proposant 37 chambres et 19 suites, l’établissement 5-étoiles a pris possession d’un hôtel particulier du XVIIIe siècle dont il a conservé le charme – moulures, hauteurs de plafonds… – tout en y insufflant une atmosphère résolument zen, matinée d’accents contemporains. Une alchimie audacieuse, perceptible dès le porche d’entrée d’époque, orné d’une centaine de lampions vermeille, et qui se décline dans tout le bâtiment, espace bien-être, bar et restaurant inclus – ne pas y manquer le petit-déjeuner, copieux et raffiné, mêlant avec audace inspiration asiatique et terroir français, dénotant avec les tristes viennoiserie-baguette-café de la plupart des  » buffets  » parisiens. Dans les chambres, patines mordorées, soies et laques s’associent au silence si précieux dans la Ville lumière pour offrir une expérience unique. Et pour ceux qui n’auraient pas le budget, forcément à la hauteur des prestations exclusives du lieu, une pause dans la cour centrale, pour un tea time, un lunch ou un cocktail de haut vol, feront déjà office de parenthèse salvatrice.

Buddha-Bar Hotel Paris, 4, rue d’Anjou, à 75008 Paris. www.buddhabarhotelparis.com

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON, AVEC DELPHINE KINDERMANS ET MATHIEU NGUYEN

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