Ils n’ont pas l’air comme ça, mais ils sont à la tête de deux boutiques à Anvers et à Paris qui prônent l’art et la mode à l’avant-garde, et la vie aussi. Anna et Romain ou les nouveaux dieux RA.

Ils ont ce qu’il faut de folie, d’humour et de passion pour préférer au portrait nombriliste la scène post-danse des sept voiles qui vit Salomé demander la tête de Jean-Baptiste. Elle, avec ses grands yeux qui ne cillent pas et ses mains aux ongles vernis pour mieux enserrer sa tête à lui, disproportionnée, comme exsangue, aux lèvres que l’on imagine vermeilles malgré le noir et blanc. En vrai, ils ressemblent exactement à cela, moins la décollation : ils sont jeunes, beaux, créateurs, vivent un peu à Anvers, un peu à Paris, et sont aux commandes de deux boutiques qui n’ont de boutique que le nom. Car Anna Kushnerova et Romain Brau ont fait en sorte que le rêve dévore leur vie et pas l’inverse. Lequel a pour label leur acronyme, RA, et pour objet l’art et la mode, version étudiants, débutants, talents émergents et avant-garde, avec en plus corner vintage, librairie, galerie et restaurant qu’ils ont naturellement nommé Kitchen.

Quand ils se rencontrent en 2002, à Anvers, ils sont loin d’imaginer la possibilité d’un, voire de deux RA. Ils étudient alors à l’Académie des beaux-arts, section mode, attirés par  » son excentricité « , pour  » fuir le ras-le-bol d’une existence trop parisienne  » et la comptabilité (Romain, 1983), pour apprendre la mode après une petite enfance en Sibérie puis en Espagne et six ans dans la finance (Anna, 1984). Elle est en 2e année, lui en 4e, elle travaille la fourrure et crée pour l’Homme, lui aussi.  » On a cliqué « , fait Romain. Il joue les mannequins pour Anna, elle le conseille, lui, de même, ils parlent technique, tissus, patrons, coupes, lignes, détails, tout ce qu’ils aiment, deviennent inséparables,  » complementary energies « , précise-t-elle. Leur attirance pour les étoffes, la broderie, l’embellishment et la maille fait des merveilles. Pareils pour leurs inspirations nourries de souvenirs en pagaille parfois – un background russe pour l’une et pour l’autre une garde-robe faite main aux mesures de son Teddy Bear ou aux siennes, des vêtements de compet qu’il enfile quand il patine artistique ; ado, Romain se rêvait en Candeloro, autant dire que le glitter ne l’a jamais tout à fait quitté.

Ils ne renient rien de leur filiation, à regarder leurs collections sur les portants de leur boutique, on sait qu’ils en sont fiers. Et que lorsqu’ils affirment :  » on marche avec nos sentiments « , ce n’est pas du vent. Ils détestent ouvertement tout ce qui de près ou de loin ressemble à du  » commercial  » : plus les projets sont  » personnels « , plus ils sont partants. C’est qu’ils veulent de  » l’amour  » ( » True love « , insiste Anna), de  » l’obsession « , des gens qui les font  » pleurer, rire, halluciner, même si c’est complètement importable « . Sur les deux étages qui composent leur boutique anversoise, forcément, tout cela vibre, Rodarte, Haider Ackermann aux côtés de Jean-Paul Lespagnard, Helena Lumelsky, Niels Peeraer, Pierre-Antoine Vettorello ou Serkan Cura. C’est d’ailleurs avec ses robes sublimes – corseterie, tulle et plumes – qu’ils ont fêté l’ouverture de leur RA parisien, pendant les défilés haute couture en janvier dernier. Rien à avoir avec le RA d’Anvers, les succursales à l’identique, très peu pour eux. Dans cet espace incroyable, théâtral et théâtralisé, quelque part dans le Marais, ils ont laissé pénétrer les vibrations de la Ville lumière, la vie qui bouillonne et les créations d’artistes, de designers, de créateurs belges ou d’ailleurs, réunis là dans un bel élan et par capillarité. Car Anna Kushnerova et Romain Brau ne dédaignent pas les réseaux, ni les passerelles, encore moins les collaborations, c’est leur jeunesse, leur fougue et le XXIe siècle qui veut ça.

Carnet d’adresses en page 136.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » PLEURER, RIRE, HALLUCINER… « 

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