Nous sommes de plus en plus nombreux à boycotter Facebook, Twitter ou Instagram. Et à prôner un retour à la  » vraie vie « . L’anonymat est-il le nouveau luxe ?

L’actualité de cette dernière année, et les attentats qui l’ont tristement émaillée, ont mis en avant un phénomène déjà sous-jacent. Au vu des commentaires lourds et déplacés d’une frange de leur cheptel d’e-amis, nombre d’internautes ont fait le nettoyage et viré ceux qui ne comptaient pas vraiment, voire ont carrément claqué la porte de Facebook, de Twitter et d’Instagram, fuyant cette Toile devenue défouloir et réceptacle des angoisses.

Même si elle est encore marginale – plus de 5 millions de comptes Facebook auraient déjà été créés en Belgique -, la fronde touche également people et intellectuels. Ainsi, le philosophe Michel Onfray, lassé par les polémiques dont il fait l’objet depuis les attentats du 13 novembre, a fermé son compte Twitter, fin 2015. La révolution gagne aussi du terrain outre-Atlantique. Grace Coddington, ancien mannequin et directrice artistique du Vogue américain, a déclaré dans une interview, en novembre dernier, qu’elle  » déteste Instagram « , malgré ses 140 000 fidèles.  » C’est pathétique de voir toutes ces personnes qui se photographient chaque fois qu’elles mangent quelque chose, assène- t-elle. Tout le monde utilise cela au lieu de lire les journaux.  » Même Lena Dunham, créatrice de la série Girls, a engagé un community manager pour gérer son compte Twitter. L’actrice et réalisatrice américaine a décidé de boycotter le réseau après avoir posté une photo d’elle en sous-vêtements, et reçu des milliers de commentaires insultants.

Après s’être volontiers exhibés à outrance, pourquoi ces internautes décrochent-ils brusquement ? Selon le psychologue et psychanalyste Michael Stora, cofondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, plusieurs raisons peuvent expliquer ce comportement.  » Ce sont des lieux de pensées positives, un cocktail de bons sentiments et de bonnes nouvelles, où l’on doit sans cesse prouver que l’on est heureux, remarque-t-il. A un moment donné, certains se lassent de devoir épater la galerie.  » L’élément déclencheur ? Un micro-événement, qui prend souvent la forme d’une baisse du nombre d’abonnés ou d’une vague de commentaires négatifs.  » Ce déclic est vécu comme une profonde blessure narcissique, ajoute Michael Stora. Afin de sauver son orgueil, l’internaute va supprimer son compte et s’affranchir symboliquement de cette dépendance affective.  »

Pour autant, tous les cyberaddicts repentis ne font pas le choix du silence sur la Toile. Prenez Essena O’Neill, mannequin australien âgé de 18 ans, qui a fait un virage à 180 degrés. Suivie par plus de 1,5 million d’internautes sur Instagram, 200 000 sur YouTube et Tumblr et 60 000 sur Snapchat, cette ancienne reine de l’autopromotion a publié en novembre une vidéo larmoyante de dix-sept minutes, dans laquelle elle fustige cette tyrannie de la mise en scène de soi. Dans un ultime post, elle fait ses adieux :  » Les réseaux sociaux, surtout la façon dont je les utilisais, ne sont pas réels. C’est une compétition d’images artificielles et de séquences modifiées.  » Ce retournement de situation aurait pu être salutaire… s’il n’avait pas été suivi du lancement du site Let’s Be Game Changers. Toujours en se mettant en scène, la belle l’utilise pour défendre, notamment, l’environnement, un régime végétalien, le  » retour à la vraie vie « , et partager son étagère remplie de livres de développement personnel. Mais son image, elle, a bien changé. Fini les poses glamour. Place aux vidéos où elle n’est ni coiffée ni maquillée. Ce prétendu retour au naturel frise la caricature.

Pendant que de nombreux internautes n’y voient qu’une énième tentative pour attirer l’attention des médias, d’autres se lassent d’entendre toujours la même diabolisation de la Toile.  » Je trouve cela assez facile de condamner les réseaux sociaux à travers les dérives de ses utilisateurs, lance Olivia, une styliste de 26 ans active sur ces sites. Certes, on peut s’y perdre, se laisser séduire, mais Facebook n’a confisqué le libre arbitre de personne. Ce ne sont rien de plus que des outils de communication. A nous de savoir les utiliser avec modération !  » Pour Michael Stora, ces réseaux ne sont pas la source du problème, ils servent de révélateur et d’amplificateur. Le psychanalyste va plus loin : selon lui, être actif sur la Toile peut même avoir des effets bénéfiques, pour les ados et les adultes, particulièrement pendant les périodes de tension politique.  » Ils permettent d’être acteur dans des situations où l’on se sent terriblement passif et inutile « , conclut-il.

PAR REBECCA BENHAMOU

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