Turin Contemporaine & baroque
A la veille des xxe Jeux olympiques d’hiver, la capitale du Piémont dévoile ses atouts. Palais xviie, musées d’art moderne… Notre itinéraire esthétique inattendu, entre nostalgie et avant-garde.
T out a été dit sur la capitale du Piémont, et tout – ou presque – est faux. Triste, Turin ? Austère peut-être, au premier regard, mais au fond d’une douceur infinie… Pour s’en convaincre, il suffit de pousser la porte du Caffè Baratti & Milano, entre chien et loup, lorsque l’apéritif (une institution, ici) s’apprête à chasser les buveurs de chocolat. Un chocolat d’une suavité exquise, servi avec des délicatesses de dentellière par des serveuses comme sorties d’un tableau de Liotard. Tout le raffinement de la ville, si injustement méconnue, s’exprime dans ce » cioccolato « . » Nous, les Turinois, on adore le cacao sous toutes ses formes. On le déguste entre amis, comme le faisaient les bourgeois et les nobles du xixe siècle « , précise une habituée. Et de piocher dans quelques choux à la crème et des pétales de roses cristallisés, aussi délicats que son corsage. Oui, décidément, il faut venir s’asseoir, dès l’arrivée, chez Baratti, l’un des 13 cafés historiques de la ville. Lambris d’acajou sombre, marbres et dorures : aucun observatoire n’est plus propice à l’examen des m£urs locales. » Oui, on a été et on demeure encore une ville industrielle, poursuit cette fidèle. Mais nous possédons un magnifique patrimoine. Il n’y a pas que la Fiat ! »
Fiat, symbole et identité de la ville… Comment oublier, en découvrant le quartier ouvrier de Mirafiori ou l’extraordinaire musée de l’Automobile, que des dizaines de milliers d’ouvriers venus de Toscane, de Calabre, de Sardaigne et d’Ombrie ont £uvré pour la famille Agnelli depuis 1899, date de la création de la firme ? Mais, aujourd’hui, avec la fin du miracle économique et la concurrence étrangère, l’empire Fiat se désagrège peu à peu, poussant la ville à chercher d’autres aventures. A se penser autrement. En jouant, pour commencer, la carte olympique. Biathlon, bobsleigh, curling, hockey sur glace, luge, patinage et ski : chacun des sept sports représentés en compétition du 10 au 26 février prochain a ses exigences et a nécessité de nouveaux chantiers. Ici, on achève la première ligne de métro. Là, on rénove ou on construit de gigantesques bâtiments signés des plus grands architectes. Parmi eux, le Japonais Arata Isozaki, qui réalise avec le Palahockey une structure novatrice, où l’acier reflète le ciel de façon poétique. Gae Aulenti, elle, a restructuré le Palavela, bâtiment construit à l’origine pour l’exposition de 1961, mais qui continue de surprendre avec sa structure révolutionnaire, reposant sur trois seuls points d’appui.
L’effet Jeux sera-t-il pour autant durable ? Rien n’est moins sûr. Aussi la belle Piémontaise table-t-elle plus encore sur deux cartes pérennes : son passé royal et sa passion pour l’art contemporain. Le passé d’abord. Et Dieu sait que les Turinois y tiennent ! » Les Piémontais ont un peu la nostalgie de l’époque royale, lorsque la ville était la capitale du duché de Savoie « , reconnaît Giorgia, une collaboratrice de Sergio Chiamparino, le maire de la ville. » La population compte un certain nombre de familles nobles, qui habitent des petits palais meublés d’objets d’art. Le Turinois est assez conservateur, il aime les vestiges. » Commodes marquetées, lustres à pampilles, consoles et chérubins : les magasins d’antiquités, nombreux ici, font la joie des collectionneurs, notamment des amateurs de baroque, un style auquel la ville doit largement sa physionomie. Peu d’édifices, de places ou d’arcades (13 kilomètres au total) qui n’ondulent de courbes en contre-courbes. Pour découvrir ces trésors, il faut aussi pousser les portes des églises. Par exemple San Lorenzo, édifiée par Guarino Guarini, l’architecte officiel des Savoie, ou la Consolata, la préférée des habitants, où chacun va lover ses chagrins et ses regrets. On lit ici le triomphe des ors et des marbres polychromes. Un triomphe qui s’exprime avec plus de pompe encore dans les résidences royales, disséminées en périphérie de la ville et classées Patrimoine de l’Unesco. Surnommée la » Versailles turinoise « , la Veneria Reale est, par ses dimensions, la plus spectaculaire et abrite de somptueuses galeries, conçues comme des théâtres de lumière.
L’art contemporain, ensuite, dont Turin est devenue (n’en déplaise à Milan) la capitale italienne. Pour redorer son blason et retrouver son lustre passé, la ville s’est effectivement tournée progressivement vers les nouveaux talents. C’est ici qu’est né, en 1967, l' » arte povera « , un mouvement prônant l’utilisation de matériaux de récupération, dont l’artiste milanais Mario Merz fut l’un des porte-voix les plus célèbres. Ouverte dès 1952, la GAM (Galerie d’art moderne), qui expose les £uvres majeures de cet » art pauvre « , présente aussi une remarquable collection permanente riche d’£uvres de Modigliani et de De Chirico, de Dix et d’Ernst, de Klee et de Picabia. Plus étonnant encore, le château médiéval de Rivoli, ancienne résidence des Savoie remodelée au xviie siècle par Filippo Juvarra, est devenu un haut lieu de la création contemporaine.
Du passé princier de l’édifice demeurent un salon de musique rococo, un cabinet de lecture chinois ou le cabinet de toilette de la duchesse d’Aoste, tout en trompe- l’£il. Le reste du château, totalement épuré, sert désormais de théâtre aux mises en scène d’£uvres d’avant-garde. Parmi elles, les igloos de verre ou de bois striés de slogans lumineux, signés Mario Merz, et les robes théâtrales de Pistoletto. Le cinéma et la photographie sont également à l’honneur avec des créations singulières, comme cette scène à l’italienne construite à l’intérieur d’une mini-salle de cinéma et qui sert d’écrin à la projection d’un film surréaliste de Janet Cardiff, autre invitée permanente du musée. Et, comme une audace n’arrive jamais seule, un restaurant étoilé et novateur reçoit, à deux pas du musée, les amateurs éclairés. La carte, signée Davide Scabin, parle d’elle-même : cyber£ufs ; filet de veau, carpaccio d’ananas, beurre au café et sel rouge. La cuisine, expérimentale, évoque la maestria du chef catalan Ferran Adria, chantre de la gastronomie moléculaire. Décor minimaliste, nappes gris perle et vaisselier bordeaux, le Combal a clairement pris le parti de la modernité…
De là à détrôner Milan sur le terrain du design, le chemin est long. Mais, pas à pas, prudemment, Turin commence à explorer cet autre territoire. Reconversion industrielle oblige, la ville apprend à réinventer ses fabriques. Un ancien atelier de pneumatiques héberge depuis peu la Fondation italienne pour la photographie, tournée vers la recherche ; un autre atelier accueille la Fondation Sandretto Re Rebaudengo, vouée à la découverte de talents artistiques. A beaucoup plus grande échelle, la rénovation du Lingotto – la seconde des usines Fiat, construite en 1923 et fermée en 1982 – reste » la » réussite de la ville. Renzo Piano en a fait le second c£ur culturel et commercial de la cité. Une partie de l’ancien bâtiment abrite une pinacothèque, un auditorium et une galerie marchande. Le reste est occupé par deux hôtels jumeaux, dotés de mobilier design et de technologie dernier cri.
Face à ces bouleversements, et à l’approche de l’ouverture des Jeux, certains bourgeois se replient, frileux. Mais la ville, irrésistiblement, poursuit sa mue vers la modernité. Quartier par quartier, elle se positionne parmi les grandes villes européennes de culture – sans renier pour autant son passé. Dominant la ville, sur le toit de l’ancienne usine Fiat, des clients font leur jogging. Là, très exactement, où jadis M. Agnelli lançait, pour les tester, ses prototypes automobiles.
Turin en pratique
Y aller.
Air France et Alitalia effectuent les vols Bruxelles-Turin avec une escale (Paris pour Air France et Milan pour Alitalia). SN Brussels Airlines effectue la liaison directe.
Internet : www.airfrance.be ; www.alitalia.be; www.flysn.be
Où séjourner.
Le Méridien Art + Tech *****. Cet hôtel novateur doté de matériaux antiallergies joue la carte du design italien. Les meubles signés Antonio Citterio ou Capellini prennent toute leur mesure dans un bâtiment entièrement repensé par Renzo Piano. Le restaurant-atrium, très agréable, propose dans un espace épuré une cuisine d’inspiration fusion. Méridien Art + Tech : à partir de 170 euros.
262, Via Nizza. Réservation centrale Belgique, numéro vert : 0800 18621.
Art Hotel Boston ****. Un hôtel-musée où Warhol converse avec Mondino, Pistoletto et Fontana. Les chambres sont très éclectiques. On préférera les doubles » pop » et » postmoderne » aux » ethniques « . A partir de 120 euros.
70, Via Massena. Tél. : 011 50 03 59.
Bonnes tables.
Combal. Zero. On y goûte une cuisine inspirée riche de plusieurs formules, » créative « , » classique » ou » terroir « . Potages semi-solides ou foie gras aux fruits de la Passion en gélatine avec son caramel salé : chaque plat est une aventure. La pizza, déconstruite, se déguste avec de la bière ; le cyber£uf, avec du caviar et de la vodka. A partir de 80 euros.
Piazza Mafalda di Savoia, Rivoli. Tél. : 011 956 52 25.
La Pista. Au sommet de l’ancienne usine Fiat. Cuisine traditionnelle, revisitée. Parmi les spécialités, le risotto au castelmagno (fromage piémontais) est délicieux. A partir de 50 euros.
262, via Nizza. Tél. : 011 631 35 23.
Babette. Un tout nouvel établissement qui propose dans un décor minimaliste une cuisine internationale et piémontaise. Très belle cave. Compter 50 euros.
14, via Alfieri. Tél. : 011 54 78 82.
Cafés.
Ciak Bar. Installé dans la Mole Antonelliana, l’édifice qui abrite le Musée national du cinéma, ce bar propose des long drinks et des cocktails innovants. A découvrir au sortir d’un parcours cinéphilique passionnant.
20, via Montebello.
Tél. : 011 839 57 11.
Baratti & Milano. Toutes les spécialités chocolatées. L’apéritif est un must.
29, piazza Castello.
Tél. : 011 440 71 38.
Mulassano. Autre café historique, au décor spectaculaire. Marbres polychromes, décorations florales en bronze, plafond à caissons.
15, piazza Castello.
Tél. : 011 54 79 90.
A découvrir absolument.
Turin baroque
Venaria Reale. Une ville-palais, érigée pour Charles-Emmanuel II entre 1660 et 1663. Aujourd’hui en travaux, ses jardins, son orangerie et ses écuries sont l’occasion d’un projet de restauration pharaonique.
4, piazza della Repubblica, Venaria Reale. Tél. : 011 459 36 78. Sur réservation.
Palais Stupinigi. Edifiée en 1729, cette somptueuse résidence accueille aujourd’hui le musée permanent de l’Ameublement.
7, piazza Principe Amedeo, Stupinigi. Tél. : 011 358 12 20.
Turin contemporaine
GAM. 20 000 £uvres des xixe et xxe siècles.
31, via Magenta. Tél. : 011 562 99 11.
Château de Rivoli. Le plus important musée italien d’art contemporain.
Piazza Mafalda di Savoia, Rivoli.
Tél. : 011 956 52 20.
Fondation Sandretto Re Rebaudengo. Photographies, installations, sculptures.
16, via Modane.
Tél. : 011 198 316 16.
Centre commercial 8 Gallery. Pour découvrir le complexe du Lingotto. Ouvert de 10 à 22 heures.
Bus 1, 34 et 35. 230, via Nizza.
Pinacothèque Agnelli. Abrité dans le Lingotto, ce musée, conçu comme un écrin, a été dessiné lui aussi par Renzo Piano. Il héberge, à l’étage, 25 tableaux et sculptures issus de la collection privée de Giovanni et Marella Agnelli, qui en ont fait don à la ville. Canaletto y converse avec Manet, Renoir, Matisse et Modigliani.
230, via Nizza. Tél. : 011 686 20 08.
Thérèse Rocher
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