Finie, l’époque où les 8-12 ans se fournissaient sans (trop) rechigner dans les boutiques de vêtements pour kids. Plus vraiment enfants, pas encore ados, ils ont des envies bien particulières, auxquelles les griffes tentent désormais de répondre.

Pour la maman d’Eva, chaque matin d’école se transforme en véritable combat. Sa fille de 10 ans n’aime plus ses vêtements, qu’elle juge trop nunuches. Pareil pour les virées shopping. Les griffes enfantines l’ennuient. Et celles dédiées aux ados et jeunes adultes ne conviennent ni à son style, ni à sa morphologie. Sans parler de la connotation par trop sexy des collections pour  » grands « …

Eva et ses contemporains n’ont pratiquement plus rien de comparable avec les jeunes des décennies précédentes, qu’on habillait grosso modo de la même façon de 3 à 16 ans. Habitués à manier une tablette bien plus qu’un Monopoly, ces digital natives sont capables de regarder la télévision, tout en discutant avec leurs copains sur Snapchat, en téléchargeant une nouvelle appli et/ou en regardant les dernières photos ajoutées sur Instagram.

Leurs nouveaux comportements et leurs exigences spécifiques interrogent bien évidemment leurs parents, mais également les marques de mode enfantine.  » Ces 8-12 ans ne sont ni des enfants, ni des juniors, ni des ados, définit Martine Chadenier, directrice du secteur enfant à l’agence de style Peclers Paris. On est à cheval entre l’enfance et l’adolescence.  » Certains parlent de tweens ou d’enfados pour les qualifier.  » Il n’existe pas encore d’appellation spécifique, mais cette cible, bien qu’émergente, est réellement là.  »

Nombreuses sont d’ailleurs les griffes à s’en rendre compte et à s’interroger sur les meilleures stratégies à suivre en matière de style. Un intérêt qui a même motivé l’agence Peclers à revoir complètement l’agencement de ses cahiers de tendances consacrés aux kids, à partir de cette saison printemps-été 2014. Le marché ne peut désormais plus se cantonner aux 3-8 ans, ni mettre dans le même panier les 3-12 ans, une fourchette bien trop vaste.  » Nous avons décidé de nous focaliser sur les 5-12 ans, une cible qui démarre à la fin de la maternelle et va jusqu’à la limite de la préadolescence, détaille Martine Chadenier. C’est loin d’être la tranche d’âge la plus facile ; elle est mouvante, difficile à capter, car soumise à énormément d’influences différentes. Mais il est primordial de prendre en considération les univers et repères de ces enfants, si on veut s’ancrer dans la modernité.  »

Dans la voie initiée il y a cinq ans par quelques labels précurseurs – Jacadi Mademoiselle, Lol by CdeC, Soeurs… -, deux griffes de mode enfantine ont également décidé de soigner particulièrement cette tranche d’âge. Si Pepe Jeans proposait jusqu’à présent une ligne junior dédiée aux 4-16 ans, elle s’adresse dorénavant à deux catégories bien distinctes : les 2-8 ans avec sa ligne Pepe Jeans Kids, et les 8-16 ans avec Pepe Jeans Junior.

 » C’est une réponse à une demande du marché, justifie Jose Antonio Chacón, directeur de la division Enfant de Pepe Jeans London. Comme ces juniors suivent de plus en plus les tendances de la mode adulte, nous avons créé une collection plus mature et sophistiquée, que ce soit en termes de couleurs, d’imprimés graphiques, de choix de tissus ou de silhouettes avant-gardistes. Notre nouveau mot d’ordre ? Parce qu’ils aiment des choses différentes.  » Pas question, ici, de se contenter de minimes adaptations entre ces deux collections. La griffe de denim possède deux équipes de style, chacune spécialisée dans sa tranche d’âge.

Autre marque à modifier cette saison sa collection Enfant : Paul Smith Junior, qui propose désormais la ligne capsule Tween, dédiée aux 10-16 ans.  » Elle se veut plus travaillée et adaptée aux adolescents, avec des matières plus douces, des imprimés plus branchés et des coupes plus modernes « , explique-t-on chez le licencié Zannier.

DES EXIGENCES ACCRUES

L’apparition assez flagrante de nouveaux comportements fashion chez cette jeune génération s’explique par plusieurs facteurs concomitants. D’une part, le fait qu’elle soit ultraconnectée lui permet d’être plus informée sur le monde qui l’entoure.  » Comme elle passe une grande partie de sa vie sociale en ligne, elle est rapidement au courant des dernières actus et tendances, ce qui la rend d’autant plus sélective « , constate l’équipe de design kids de Scotch & Soda, qui s’apprête à lancer une campagne de marketing sur les réseaux sociaux, pour mettre en avant les looks les plus ados de ses collections Shrunk et R’Belle.  » Ces enfados sont non seulement influencés par les 15-25 ans, mais également par toutes les images qui défilent sur les blogs de mode de stars et filles de, âgées de 12 ans ou à peine plus « , complète la spécialiste du vestiaire enfantin chez Peclers. Des célébrités, idoles ou icônes qu’ils souhaitent de plus en plus copier…

D’autre part, leurs parents ne sont pas non plus en reste en matière de nouvelles technologies – le jargon marketing les a même baptisés  » digital immigrants « . Ces mamans 2.0 sont actives, webshoppeuses et elles aussi très informées, sans compter qu’elles ont un pouvoir d’achat plus important que par le passé.  » Pour toutes ces raisons, elles ont envie d’avoir des enfants qui suivent la mode, résume Martine Chadenier. Et ce d’autant plus que l’accessibilité aux produits et aux marques est dorénavant facilitée, que ce soit pour une mode à petits prix bien pensée ou pour des pièces bien plus haut de gamme.  »

Résultat, pour ces moins de 12 ans qui ne se considèrent plus comme des gamins, l’apparence est de plus en plus importante, et ce d’autant plus qu’ils baignent dans une culture fashion. La mode est une expression, voire une extension de leur personnalité. C’est un jeu, dont ils ne se lassent pas.  » Ils se spécialisent et s’habillent de façon pointue bien plus rapidement que les jeunes d’hier « , note Cordelia de Castellane, qui a fondé la griffe pour enfants CdeC et son pendant pour ados Lol.

Autre facteur non négligeable qui influence désormais ces 8-12 ans : l’évolution toujours plus précoce de leur morphologie. De plus en plus de demoiselles ont déjà de la poitrine alors qu’elles viennent seulement de fêter leur dixième anniversaire. Pareil pour les garçons, qui peuvent chausser du 45, à tout juste 13 ans… Mais ces formes de grands ne vont pas de pair avec une mentalité d’ado.  » D’un point de vue cérébral, cela reste toujours des fillettes et des petits garçons, constate l’experte de Peclers. Contrairement à un véritable ado, ils ont envie de cacher leur corps, de se dissimuler dans une enveloppe plus anonyme, dans des coloris passe-partout et discrets.  »

UN MARCHÉ MUTANT

Toutes ces données récentes, bien qu’extérieures à la mode en tant que telle, ont une réelle incidence sur cette dernière. Elles ne peuvent qu’inciter les marques enfantines à repenser leur offre et à créer des collections spécifiques pour cette cible des 8-12 ans. A imaginer des vêtements qui permettront à ces enfados de se distinguer des plus jeunes, sans pour autant avoir une dégaine trop adulte, où l’expression de la personnalité est poussée à l’extrême.  » Il faut concevoir des vêtements adaptés à leur univers, tout en conservant de justes proportions, un confort, un bien-aller et une absence de vulgarité « , détaille Martine Chadenier.

Etudier scrupuleusement la coupe d’un jeans cinq poches, par exemple, qui doit non seulement posséder une ceinture adaptée à une taille menue, mais présenter une bonne longueur de jambes. Et puis les matières doivent être innovantes, et ce d’autant plus que les jeunes garçons d’aujourd’hui n’aiment pas se sentir engoncés dans de lourdes pièces. A l’image de la doudoune Uniqlo, les marques doivent finalement concevoir un produit attirant, qui soit aussi au service du quotidien, pratique et fonctionnel.

Mais pas question de croire que tout sera gagné pour autant.  » Notre ligne Lol ne représente que 10 à 15 % de notre collection, calcule Cordelia de Castellane. Particulièrement influencés par l’air du temps, ces ados sont infidèles dès qu’il s’agit de vêtements.  » Il serait donc dangereux de tout miser sur eux…

Autant d’éléments qui ne facilitent pas le travail des griffes pour kids, déjà fragilisées par la crise, par de nouvelles attitudes de consommation – vive les déstockages et ventes privées sur Internet – et par la concurrence accrue d’enseignes internationales de fast fashion, focalisées sur les bas prix. Selon l’IFM, l’Institut français de la mode, le marché de la mode enfantine ne cesse de reculer depuis plusieurs années consécutives, passant de 5,17 milliards d’euros en 2009 à 4,89 milliards en 2012. Gageons que la prise en compte d’une meilleure segmentation des âges pourrait changer la donne et réconcilier (un temps) les envies des enfants et de leurs parents…

PAR CATHERINE PLEECK

 » Cette jeune génération passe une grande partie de sa vie sociale en ligne, elle est rapidement au courant des tendances, ce qui la rend d’autant plus sélective.  »

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