Un Américain à Paris

Un maudit crachin asperge Paris. Pas de quoi sortir le ciré jaune et les bottes en caoutchouc, mais bien de mettre en péril les brushings. Dans la pénombre de la nuit naissante, l’asphalte détrempé de la rue Saint-Honoré luit comme un océan sous la Lune. Sur les trottoirs éclaboussés de lumière, les passants improvisent une chorégraphie sautillante. Armés de parapluies ou de journaux, chacun essaie comme il peut de passer entre les gouttes et les flaques. On s’attend à tout moment à voir Gene Kelly surgir de la foule…

Encore cent mètres de bitume humide à avaler et nous voici devant le numéro 368. C’est ici, à un jet de pierre précieuse de la place Vendôme, que le créateur Tommy Hilfiger a choisi de hisser ses couleurs. Un événement de taille dans la stratégie de conquête du styliste américain. Après l’Allemagne, l’Espagne ou la Belgique – le troisième marché européen de la marque… -, c’est en effet la première boutique à son nom qu’il inaugure dans la capitale de la mode.

Pourquoi avoir attendu si longtemps ?  » Nous cherchions l’emplacement idéal, nous expliquait-il un peu plus tôt dans la journée lors d’un tête-à-tête exclusif. A Paris, la concurrence est rude. Si vous n’êtes pas bien situé, vous compromettez vos chances de succès.  » Le pape du casual chic a finalement trouvé son bonheur dans ce quartier où pullulent les enseignes et les hôtels de luxe. Et entend le faire savoir. Notamment ce soir lors d’une inauguration qui s’annonce très  » pipeule « . La liste des invités a été classée  » secret-défense  » mais quelques noms ont filtré. On parle notamment de l’actrice hollywoodienne Lindsay Lohan et du footballeur frenchy Thierry Henry…

Une simple rumeur qui a dû circuler dans Paris car les chasseurs d’autographes et les paparazzi sont déjà  » sur zone « . Ils se mêlent aux badauds intrigués par l’agitation qui règne à l’entrée de la boutique. Guidé par l’attachée de presse néerlandaise qui nous chaperonne depuis le matin, nous franchissons sans encombre les contrôles. Les flashs ne crépitent pas sur notre passage mais le simple fait de pouvoir fouler le tapis rouge sous les regards envieux du tout-venant suffit à procurer un léger frisson d’excitation. Pure vanité bien sûr, mais pourquoi bouder son plaisir ?

Pluie d’étoiles

A peine le temps de savourer ce début de célébrité, nous voilà déjà à l’intérieur. Surprise, le comité d’accueil est composé… de photographes et de cameramen. Serrés comme des sardines derrière un cordon pourpre, ceux-ci ont au moins les pieds au sec. Le doigt sur la détente, ils attendent les stars qui, comme toujours, arriveront avec un peu de retard. Si l’on en juge par la taille de l’essaim qui bourdonne d’impatience, il y aura du beau monde ce soir.

Instinctivement, on sent qu’on ne doit pas rester dans la ligne de mire. Sauf à risquer de se faire copieusement insulter dès qu’une tête connue montrera le bout de son nez. On avance donc prudemment vers le fond de la boutique. Heureusement, ce n’est pas encore la grosse affluence et nous pouvons tranquillement faire la visite, non sans attraper au passage une flûte de champagne. Ce n’est pas que la soif nous tenaille, mais tenir un verre occupe les mains et permet de se donner une contenance. Ce qui n’est pas inutile dans ce genre d’endroit où tout le monde affiche une confiance en soi à l’épreuve des balles.

Bois foncé, canapés profonds, cascades de couleurs dévalant les piles de pulls soigneusement rangés, murs recouverts de cadres où s’entremêlent les images des campagnes de pub de la marque et des symboles de l’Amérique, tout évoque en ce lieu le charme tranquille de la côte Est des Etats-Unis. Ambiance chic et feutrée sur deux étages. Sans ostentation. Ce qui nous ramène aux propos que tenait tout à l’heure le maître des lieux à propos du fil rouge de ses collections.  » Primo, je choisis toujours un thème en phase avec mon héritage, confiait-il. Secundo, je ne travaille qu’avec des produits de très bonne qualité. J’ajoute ensuite un soupçon de luxe et de décontraction.  » Voilà pour la recette Tommy Hilfiger. Du luxe cool. Ce qu’on appelle aussi le style preppy quand l’ensemble est imprégné de l’univers des campus américains. Plus haut de gamme que les H&M et Zara. Mais moins élitiste que les griffes Gucci ou Prada.

Une clameur monte de la rue, bientôt suivie d’un torrent d’éclairs.  » Christophe !  » crient en ch£ur les paparazzi. Christophe Lambert, l’acteur ? Christophe tout court, le chanteur ? Non, Christophe Dechavanne. On le croyait un peu has been. Mais apparemment, il a toujours la cote auprès de la jet-set parisienne. Dans la foulée, voilà que se présente l’actrice qui a fait fondre le c£ur de Superman, la délicieuse Kate Bosworth. Un autre calibre. La fièvre monte d’un cran parmi les photographes. Mais ce n’est rien à côté de l’hystérie qui se profile quand le félin des pelouses, le très élégant Thierry Henry, fait son entrée dans l’arène. Le messie en personne n’aurait pas droit à un accueil plus triomphal. Même les VIP s’empressent de dégainer leurs téléphones portables pour  » fixer  » le héros. Très pro, l’attaquant des Bleus se laisse mitrailler sans sourciller. Depuis longtemps déjà, les flashs ne l’éblouissent plus…

La  » Grace  » de Kelly

Emporté par le flot grossissant des convives, nous nous retrouvons bientôt au sous-sol, à jouer à  » qui est qui ?  » Tommy en a des amis ! Tiens, voilà Virginie Ledoyen. Et là, n’est-ce pas Judith Godrèche ? Et juste derrière elle, on jurerait avoir aperçu Emmanuelle Béart et Kristin Scott Thomas. Jamais l’expression  » avoir la tête dans les étoiles  » ne nous a semblé aussi appropriée… La boutique s’est transformée en annexe du Festival de Cannes. On aimerait demander à son voisin de nous pincer pour être sûr qu’on ne rêve pas.  » Pardon, monsieur…  » Oups, c’est Thierry Henry ! Tant pis, on se jette à l’eau et on lui demande une petite photo au passage. Miracle, il ne refuse pas. Et y met même du c£ur alors qu’il a sans doute été plus photographié aujourd’hui que la tour Eiffel. Respect.

Arrivent encore Lindsay Lohan – nos sources étaient décidément bien informées… -, Dolorès Chaplin, Clotilde Courau. Il ne manque que Grace Kelly, la mythique princesse qui fait tourner la tête à Tommy Hilfiger. Il vient d’ailleurs de lui rendre hommage à travers un album de photos et une collection qui ne sera vendue qu’à Paris.  » Elle m’a toujours inspiré. C’est une icône américaine, mais européanisée.  » En repensant à ce commentaire, on se dit qu’on n’a pas encore aperçu le  » boss « . Mais le voilà justement qui franchit le seuil de son nouveau temple, provocant une nouvelle salve d’éclairs et quelques bousculades.

Sourire stretch comme celui du Joker dans  » Batman « , il semble un peu impressionné par sa propre mise en scène. Sa ressemblance avec le chanteur des Red Hot Chili Peppers est encore plus frappante que tout à l’heure. D’autant qu’il a délaissé la chemise et le jean pour un look nettement plus glamour. Veston incrusté de paillettes pour le haut, pantalon d’uniforme pour le bas. Très  » rock and roll with twist « , le  » dress code  » de la soirée. Mais très peu… Tommy Hilfiger.

C’est que le créateur voue une passion pour la musique en général, et le rock en particulier. Avec son frère, il a d’ailleurs créé une maison de disques à New York. Et il est aussi à l’origine d’un concept original de soirées ouvertes à tous les courants musicaux, les Hilfiger Sessions.  » C’est un outil marketing mais aussi une source d’inspiration « , confessait-il lors de notre entretien.

Voyage au bout de la nuit

Une passion qui l’habite véritablement. Et le nourrit au quotidien. Quand il ne signe pas la préface d’un livre épluchant les styles vestimentaires des icônes de la planète rock, il aligne les grosses pointures de la musique dans ses campagnes de pub. A commencer par Beyoncé et David Bowie, dont les chansons tournent en boucle sur son iPod. Qu’il ait rêvé d’une carrière derrière le micro ne serait pas étonnant. Ce soir, c’est d’ailleurs un peu sous les traits d’une rock star qu’il monte sur scène. On sent qu’il a voulu se faire plaisir. Pour une nuit, Docteur Hilfiger s’est effacé au profit de Mister Tommy…

La preuve un peu plus tard quand tout ce beau monde se retrouve à Saint-Germain-des-Prés, et plus précisément sous la verrière monumentale de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts. Le lieu est méconnaissable. Ce chef-d’£uvre de l’architecture néoclassique a été transformé en salon glam rock sous la baguette du magicien scénographe Etienne Russo. Notre compatriote, qui signe notamment les défilés du contingent belge à Paris, n’a pas lésiné sur les moyens. Murs noirs laqués et constellés de guitares qui se mettront à tourner comme les aiguilles d’une horloge, lustres  » grand siècle  » par dizaines et même statues de la Liberté en modèle réduit. Magistral. De quoi renforcer encore un peu plus le crédit de notre petit pays aux yeux de l’Américain.  » La Belgique est un marché très important pour nous, insistait-il en prélude à la party. A la fois parce qu’il abrite des dieux de la mode comme Dries Van Noten et parce que sa configuration est assez semblable à celle de la France. De sorte que si on réussit en Belgique, on a de bonnes chances de percer sur le marché français. « 

Déjà soufflé par cette scénographie hollywoodienne, on n’est pas encore au bout de nos surprises. Le temps que la cohorte de célébrités s’installe dans les sofas dorés qui trônent sur l’estrade  » super VIP « , et les rideaux noirs qui masquaient une partie de la salle s’éclipsent. Et là, qui découvre-t-on, arc-bouté sur sa guitare ? Lenny Kravitz. Entouré de ses musiciens, il va livrer une heure durant une prestation incendiaire, allumant la mèche à coups de tubes ravageurs. L’atmosphère menace de s’enflammer quand il passe la main aux DJ. Fin connaisseur de soirées mondaines, Frédéric Beigbeder semble apprécier la tournure des événements. C’est l’heure où les étiquettes sociales s’estompent. Où les corps esquissent des arabesques sous un déluge de décibels. Là-dessus, Tommy et sa gracile compagne descendent de leur balcon pour un tour de piste… encadrés par un escadron de gorilles aux visages verrouillés comme la frontière nord-coréenne. Tommy, rock star jusqu’au bout de la nuit…

Laurent Raphaël

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