Amoureux de la cuisine française classique, ce trentenaire né à Chicago est l’une des toques parisiennes les plus en vue. Rencontre avec un chef branché, mais surtout pas modeux.

Quand on lui demande ce qui l’a poussé à s’exiler en France, en août 1998, Daniel Rose peine à contenir son sourire de teen-ager et fredonne, avec une délectation grivoise, cette vieille ballade yankee :  » There’s a place in France where the naked ladies dance. There’s a hole in the wall where the men can see it all  » ( » Il y a un endroit en France où les femmes nues dansent. Il y a un trou dans le mur à travers lequel les hommes voient tout « ). On espérait glaner dans sa généalogie quelque atavisme francophile, au minimum un grand-père collectionneur de bordeaux ou une mère accro au French Cooking de Julia Child, on se contentera de la ritournelle du cow-boy en mal de french cancan.  » C’était le seul truc que je connaissais de la France quand j’étais ado. Ce n’était pas très glorieux, mais ça a réveillé ma pubertéà  »

Aux environs de ses 30 ans, il est devenu l’une des lames les plus affûtées de Paris. Dans une ville où aucun Américain avant lui n’avait osé bomber le tablier, il s’est même taillé une stature de  » prince of popote « . Cinq mois d’attente pour une réservation dans son premier Spring, rue de La Tour-d’Auvergne (Paris, IXe), un genre de studio-kitchenette de 16 couverts où il bluffait son monde avec un menu unique, très French style , à moins de 40 euros. Qu’il a quitté pour s’atteler à un projet autrement plus ambitieux : un Spring nouvelle version dans le quartier des Halles. Soit un triplex gainé de métal, de cuir et de bois clair, coincé entre les voûtes et les murs épais d’un splendide bâtiment xviie.

Tout en bas, une cave tapissée de gravier, dévoilant, à la lueur d’un clair-obscur étudié, une collection de nobles étiquettes, entre château-petrus 1970 et porto du sud de l’Ukraine 1961, et des goulots nature très accessibles. Au premier sous-sol, un comptoir stylé pour siroter une coupe de champagne avec une petite assiette de pommes Pont-Neuf. Au rez-de-chaussée, enfin, une salle lumineuse où l’Inox étincelant de la cuisine ouverte occupe plus d’espace que les 22 places assises du restaurant gastronomique.

 » Faire le moins de couverts possible pour soigner chaque convive du mieux possible, c’est ma devise, assène Daniel Rose, qui planche sur un menu unique de six ou sept plats à 64 euros. J’ai envie de cuisiner à l’instinct des produits du jour. Là, comme ça, je ferais bien un rouget poché dans un bouillon de poule refroidi, un tartare de langoustines avec un beignet de fleur de courgette ou un quasi de veau avec un jus corsé à l’abricotà « 

Un buzz de tous les diables s’est déjà emparé de l’adresse, qui a ouvert le 14 juillet dernier. Le plus drôle, c’est que Daniel Rose n’est pas arrivé en France avec l’ambition de devenir cuisinier, mais pour étudier l’histoire de l’art. Tout juste aimait-il manger.  » Je suis issu d’une famille juive de la banlieue chic de Chicago. Ma mère préparait des plats très variés, comme du poulet tandoori, des sushis au tofu, des grosses salades garnies de pamplemousse, d’ananas, de piment frais. Elle cuisinait très équilibré, sans beurre ni crème fraîche. À Paris, j’ai découvert un nouveau monde !  » Celui des soles meunière et des ris de veau dorés au beurre, dont il se régale sous les cloches en argent du Pré Catelan ou de Chez Laurent, en compagnie d’amantes fortunées.

Il s’attable neuf ou dix fois au Miraville, un restaurant classique du quartier de l’hôtel de ville, 1-étoile Michelin, premier pigeon pour le bonheur de son pigeonneau au sang rince-doigts. Et il habite, ironie du sort, au 135, rue Saint-Dominique (Paris, VIIe), juste au-dessus du Violon d’Ingres, la table culte de Christian Constant.  » Je savourais par la fenêtre de ma chambre le fumet de son foie gras poêlé au pain d’épices.  » De quoi le convaincre d’abandonner son projet d’études d’architecture à Londres pour bifurquer vers l’institut Paul-Bocuse, à Ecully. Il y apprend à tailler une mirepoix, à lever les filets d’un turbot, à cardinaliser un homard. Avant d’entamer son tour de France, de Jean-Luc L’Hourre, dans le Finistère, à Pascal Alonso à Vaison-la-Romaine, en passant par Yannick Alléno au Meurice, à Paris, puis de piloter, pendant un an, un restaurant français de grand standing au Guatemala. Le voyage est aussi livresque. Il dévore alors les recueils d’Alain Chapel, de Fernand Point et de Joël Robuchon avec un appétit insatiable :  » J’étais littéralement fasciné par la rigueur, la justesse et la créativité du grand style français. « 

Aujourd’hui encore, son livre de chevet est signé Gringoire et Saulnier. L’aide-mémoire de plusieurs générations de commis, considéré comme un pensum un peu ringard par les toques de la nouvelle garde. Daniel Rose, lui, en nostalgique d’un patrimoine fantasmé, y puise plus que jamais son inspiration. Récemment, il est tombé, page 143, sur les  » cailles Carmen « . Une recette jetée aux oubliettes, où la volaille était pochée dans un fond de veau au porto blanc et dressée autour d’un rocher granité de grenade. C’est décidé, il la revisitera à la plancha avec une petite salade de grains de grenade aux noix.

 » Tout le talent de Daniel, explique Marie-Aude Mery, sa compagne et seconde de cuisine depuis trois ans, c’est de porter un regard neuf et décalé sur le répertoire classique. Il y ajoute toujours une touche sauvage et rock’n’roll. C’est un peu comme s’il s’appropriait Chopin à la guitare électrique. C’est ce qui en fait, paradoxalement, aux yeux des gourmets, un chef branché.  » Branché peut-être, mais surtout pas modeux. Ne pas lui parler, par exemple, de cuisine moléculaire, qui, selon lui,  » cherche la sensation forte, le plaisir immédiat. Elle est à la gastronomie française ce que le porno est à l’amour « . En cuisine, c’est sûr, Daniel Rose demeure un éternel amoureux.

Carnet d’adresses en page 78.

Par François-Régis Gaudry / Photos : Frédéric Stucin (Myop)

Sa devise : Faire le moins de couverts possible pour soigner chaque convive du mieux possible.

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