Un designer est une personne frustrée en permanence »
A Bologne, le cour industriel de la capitale de l’Emilie-Romagne est indissociable de l’épopée des usines Ducati. Ce constructeur de motos, dont l’image de marque est souvent rapprochée de celle de Ferrari, est considéré comme le concepteur le plus inventif de ces dix dernières années. Rencontre avec Pierre Terblanche, l’initiateur du renouveau stylistique et conceptuel de la marque prestigieuse.
Né en 1956, en Afrique du Sud, Pierre Terblanche débute sa carrière dans le secteur de la publicité. Pris par le virus du design automobile, il travaillera pour Ford et VW avant de rejoindre l’univers de Ducati. Toujours en mouvement, ce collectionneur d’objets insolites reçoit Weekend Le Vif/L’Express au sein de l’univers du centre de design Ducati.
Weekend Le Vif/L’Express: Pourquoi avoir choisi le secteur de la moto après avoir débuté comme designer automobile?
Pierre Terblanche: J’ai toujours été fasciné par les motos et je savais que je voulais en dessiner. Cela étant, il est vrai qu’au point de vue design, les voitures ont plus été à la pointe que les motos. Sur une moto, le fabricant faisait d’abord attention au moteur, avant de s’intéresser au style. Cela reste malgré tout une donnée importante actuellement. Pour développer la Ducati 999, la dernière née, nous avons d’abord dessiné l’ensemble mécanique, avant de l’habiller. Dans l’univers de la moto il n’existe pas de compromis. Si votre nouveau modèle n’est pas aussi efficace que le précédent, alors vous avez raté votre mission. La Ducati 999 possède de nouveaux atouts. Ainsi, vous pouvez l’utiliser quotidiennement en étant bien moins fatigué que sur un modèle de la génération précédente. Elle peut aussi être conduite par des jeunes femmes, une donnée importante de nos jours dans ce secteur d’activité. Plus confortable, elle est aussi plus rapide. Mais, en plus de ces caractéristiques, nous voulions que la 999 présente avant tout un style particulièrement intéressant.
Le travail du designer moto se limiterait seulement à habiller un moteur?
Il faut percevoir celui-ci d’une manière plus globale. Comme pour les voitures, la technologie a beaucoup évolué et les motos sont aujourd’hui beaucoup plus fiables qu’autrefois. En terme de puissance moteur, je pense que nous avons atteint un niveau plus que suffisant. Notre travail consiste donc à faire en sorte que l’assemblage d’une moto soit plus aisé qu’autrefois, plus rapide aussi.
Comment définiriez-vous votre travail?
Un designer est une personne frustrée en permanence: les motos que je dessine aujourd’hui sont déjà vieilles dans mon esprit. Notre travail consiste en effet à penser le produit avec une anticipation portant sur près de dix ans, ceci entre le moment où la première idée jaillit et la fin de son cycle de vie commercial. Les technologies que nous utilisons en développant une moto sont parfois déjà dépassées quand celle-ci arrive sur le marché. Mon travail consiste donc en un combat permanent au sein même de la société pour exiger toujours plus. En fin de compte, je suis le personnage qu’ils ont engagé et qui veux tout révolutionner.
Il y a aussi le risque de copier la concurrence…
Nous avons dessiné la Multistrada en 2001. D’autres marques feront ce genre de motos dans les années qui viennent. C’est la raison pour laquelle nous devons toujours nous surpasser et être toujours les meilleurs.
Pourriez-vous définir le style de la marque Ducati ?
Jusqu’à présent, nous utilisons toujours le même type de moteur, la même strucutre tubulaire. Il est difficile de dire ce qu’est le style Ducati. Ducati se doit de proposer les machines les plus aisées à piloter sur la route. Les Ducati sont compactes, comme si elles sortaient d’une cure chez Weightwachers! C’est ce qui nous différencie de la concurrence. Chez Ducati, il y a une certaine cohérence. Contrairement aux marques japonaises qui changent leurs modèles tous les deux ans, nous prônons une certaine pérennité dans notre gamme. Si vous allez trop loin en matière de renouvellement de produits, les clients ne vont pas l’accepter et si en revanche vous arrivez trop tard avec un nouveau produit, les clients vont vous abandonner. Il s’agit dès lors de trouver le juste milieu.
En fonction de quels critères l’acheteur d’une moto opère-t-il son choix?
Le client veut une moto qui soit la plus belle possible. Nous ne sommes donc pas dans l’univers du moyen de transport proprement dit: le client veut se montrer sur sa moto. Il veut donc afficher une certaine individualité. Ainsi, la Monster s’adresse à une clientèle plus jeune, tandis que la 999 vise les motards de plus de 35 ans. C’est une moto qui est aussi dessinée pour les femmes. Elle est moins brutale et moins haute. Autrefois, une femme ne pouvait pas se maintenir en équilibre à l’arrêt au feu rouge avec une moto semblable.
Dans votre bureau, vous êtes entouré d’objets insolites. Pourquoi?
Je pense être le champion du monde des collections inutiles. J’aime m’entourer de ce genre d’objets, pour autant qu’ils soient joliment dessinés. Notamment de vieilles radios. J’apprécie qu’un objet reste beau même quarante ans après sa naissance. C’est pour moi la meilleure preuve que son design était excellent.
Ceci est à l’opposé de la démarche d’un designer, pour qui la nouveauté doit primer.
Cet élément est bien entendu important. Nous faisons aussi attention à l’évolution sociologique de la clientèle. Nos futurs clients sont ceux de la génération des jeux vidéo. Pour eux, les motos seront simplifiées. Grâce au développement de l’électronique, nous pourrons rendre certains équipements plus compacts. C’est un peu comme dans le monde du téléphone portable. Plus on en vend, plus leur technologie se développe et plus les performances sont élevées. Dans l’univers des jeux vidéo, l’évolution de la technologie en matière de software permet de concevoir des jeux plus rapides et meilleur marché. Dans le domaine de la moto, ce sera pareil.
A quelle marque pourriez-vous comparer Ducati?
On fait souvent référence à Ferrari. Personnellement, j’établirais plutôt un parallèle avec Lamborghini qui présente un côté plus brutal.
Propos recueillis par Dominique Fontignies
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici