La plus grande exposition jamais consacrée à la griffe française vient de s’ouvrir à Paris. Une plongée dans la saga du célèbre joaillier, mais aussi, à travers 600 pièces d’exception, dans l’histoire de la modernité.

Le duc et la duchesse de Windsor, Grace et Rainier de Monaco, Elizabeth Taylor et Richard Burton ou encore JFK et Jackie : le nom de Cartier est si étroitement lié à des couples mythiques qu’on en oublierait presque que si l’histoire de cette institution de la joaillerie est tellement passionnante, c’est aussi parce qu’elle est révélatrice d’une évolution des Arts décoratifs. Et, plus largement, des goûts et des codes sociaux, au fil des périodes et des milieux dans lesquels les héritiers de Louis-François Cartier, qui fonda la Maison en 1847, l’ont fait rayonner.

Au tournant du XXe siècle, alors que Louis se charge de la branche parisienne de Cartier, son frère Jacques s’installe à Londres, pour mieux servir la Couronne britannique – Edouard VII dira qu’il est  » joaillier des rois, et roi des joailliers  » -, tandis que Pierre embarque pour New York où il installe le siège de la griffe familiale dans un hôtel particulier de la 5e Avenue… acquis en échange d’un double rang de perles exceptionnel.  » A l’époque, souligne Bernhard Berger, directeur de Cartier Tradition, les perles fines, plus encore que les diamants, étaient l’emblème par excellence de la richesse et du pouvoir. On en voit d’ailleurs sur tous les portraits royaux et princiers.  »

La collection que la Maison a commencé à se constituer dès les années 70, au titre de témoignage d’un patrimoine historique, en compte quelques spécimens rares, qui s’ajoutent à plus de 1 400 pièces d’exception pour former un fonds unique au monde. Quelque 600 d’entre elles sont aujourd’hui données à voir au Grand Palais, à Paris.  » La plus grande exposition jamais réalisée sur Cartier, s’enthousiasme Pierre Rainero, directeur Style, Image, et Patrimoine de la marque. La très large majorité des créations provient de notre collection propre, auxquelles il faut ajouter une cinquantaine de prêts de musées ou des particuliers. Mais ce qui fait la spécificité de l’événement, c’est aussi la contextualisation de ces pièces, grâce à des tableaux d’époque, des robes ou encore des documents provenant de nos archives, livres de comptes, dessins, photos, moulages ou listes de fournisseurs, qui montrent la singularité du travail de nos artisans, à la fois en termes de création, de production et de suivi de fabrication.  »

Sur 1 500 mètres carrés, l’expo Cartier. Le style et l’histoire dévoile ce savoir-faire unique, à travers des bijoux d’apparat mais aussi des objets plus intimes, révélateurs de l’évolution des moeurs. Ainsi de ces nécessaires féminins et boîtiers à cigarettes, ou encore de ces montres-bracelets, que Louis Cartier a conçues en précurseur, dès 1904, pour son ami l’aviateur Alberto Santos-Dumont, qui souhaitait pouvoir lire rapidement l’heure en vol, les goussets alors en vigueur rendant l’opération pour le moins périlleuse.

Un des premiers modèles, daté de 1912 et réalisé en or jaune et rose, avec cabochon de saphir, sera exposé à Paris, tout comme la bague Trinity, composée de trois anneaux d’ors de différentes couleurs, rendue célèbre par Jean Cocteau, qui la portait et en offrit une à son amant Raymond Radiguet. Autre incontournable de l’expo : la broche panthère de la duchesse de Windsor, conçue comme une sculpture de platine, or blanc et pierres précieuses, tellement inédite dans ses formes que la presse la qualifie de  » bombe atomique de la joaillerie « , ou le collier de parade du maharaja de Patiala, serti de 2 930 diamants totalisant 1 000 carats (lire par ailleurs).  » L’une des plus belles pièces jamais sortie de nos ateliers, souligne Jacqueline Karachi, en charge de la formation des artisans. C’est un moteur pour nous, ça entretient la fierté d’appartenir à une belle Maison. Cela nous met aussi la barre très haut car on ne veut pas trahir ce niveau d’excellence.  » Forte de cet héritage avant-gardiste, la directrice Création Cartier Prestige pousse aujourd’hui ses collaborateurs à  » explorer de nouveaux territoires, notamment en recourant, en association avec le diamant, à des pierres qui n’étaient traditionnellement pas utilisées, comme la tourmaline rose, la tanzanite ou le grenat spessartite. Cela nous permet aussi d’aller vers un graphisme beaucoup plus affirmé, avec plus de modernité… pour parfois revenir à des formes qui s’apparentent à celles de l’Art déco, parce que l’histoire de Cartier continue à s’écrire avec le même vocabulaire.  »

Si l’on prend l’exemple des félins, inscrits dans le glossaire de Cartier depuis les années 40, cette filiation entre le passé et le présent est limpide.  » Actuellement, précise encore Pierre Rainero, l’animal n’est parfois suggéré que par les pierres qui en évoquent les couleurs ou le pelage tacheté. Mais, au même titre que l’Inde avec les créations Tutti Frutti des années 20 à nos jours, l’Afrique nous inspire depuis l’époque de l’exposition coloniale et est toujours présente.  »

Pour le directeur de l’Image et du Patrimoine, les temps forts incontournables de Cartier. Le style et l’histoire sont au nombre de deux. Le premier, ce sont ces pendules mystérieuses – leurs aiguilles semblent flotter dans le corps transparent, en cristal de roche, sans lien visible avec la mécanique les mettant en mouvement – dont une quinzaine de pièces exceptionnelles sont aujourd’hui dévoilées. Et puis une somptueuse série de diadèmes, dont celui de la reine Elisabeth de Belgique (lire par ailleurs), acquis un an après son intronisation. L’épouse d’Albert Ier le portait en bandeau, une attitude à la fois extrêmement élégante et très moderne pour l’époque et surtout pour son rang. Parfaitement en phase avec l’esprit novateur des frères Cartier.

Cartier. Le style et l’histoire, au Grand Palais, à 75 008 Paris. www.grandpalais.fr Jusqu’au 26 février prochain.

PAR LENE KEMPS ET DELPHINE KINDERMANS

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