Le patron de la boutique bruxelloise Ciel mes Bijoux ! s’est posé avec sa femme Godelieve dans un superbe appartement qui domine la capitale. Les grands noms du design ont été convoqués pour une mise en scène en parfaite harmonie avec l’architecture Art déco de l’immeuble. Visite guidée.

Les collectionneurs et les élégantes en quête de bijoux singuliers d’artistes et de haute couture connaissent bien Ciel mes bijoux ! Plus qu’une boutique, cette bonbonnière intimiste, nichée au c£ur de Bruxelles, est un laboratoire d’idées qui s’attache à sauver de l’oubli, à redécouvrir et à nous faire partager ce patrimoine extraordinaire. En participant à des expositions rares et en initiant l’édition d’ouvrages spécialisés.  » L’exposition Les Paruriers – Bijoux de la haute couture, organisée il y a trois ans à Grand-Hornu Images a attiré 50 000 visiteurs, s’enthousiasme son fondateur Patrick Sigal. Sur les mille pièces exposées, nous en avons prêté 50 %. Cette expo a eu un retentissement incroyable et il est question de la faire voyager en Australie et au Japon.  »

L’autre grand projet, bien avancé, consiste en une publication sur Lina Baretti, parurière corse qui travaillait, notamment, pour Elsa Schiaparelli (lire aussi page76).  » J’ai toujours été passionné par cette femme, poursuit Patrick Sigal. J’aime l’atmosphère éphémère de ses bijoux désuets en coton, daim, corde ou velours et j’ai racheté ces pièces uniques un peu partout dans le monde. On la connaît mal, je suis en train de faire des recherches, notamment en Corse, sur sa vie et son travail. C’est une artiste à découvrir.  »

Jamais à court d’idées

Patrick Sigal peaufine aussi le projet d’une monographie sur Gripoix, l’un des paruriers préférés de Chanel et travaille à une exposition autour des bagues prévue pour la fin de l’année. Au programme : quelques artistes contemporains peu connus, tels que Jacqueline Lecarme qui récupère des boutons et des peignes pour en faire d’étonnants bijoux-sculptures, Jean-Pierre Dussaillant et ses bijoux en or inspiré par les contes et, enfin, Charlotte di Carcaci, une nouvelle venue dans le monde de la joaillerie.

Comment découvre-t-on ces parures rares et ces créateurs confidentiels ? Grâce à un travail d’équipe bien rodé. Le tandem Sigal fonctionne à merveille.  » J’ai une passion des bijoux depuis toujours, explique Godelieve. Je suis une instinctive, je trouve, je découvre, je reconnais tout de suite la patte et la famille. Mon mari Patrick, en revanche, est un archiviste et un expert en recherche. Nous sommes très complémentaires. « 

Collectionneurs depuis vingt-cinq ans, le couple a inauguré Ciel mes Bijoux !, il y a seize ans, avec des lignes vintage haut de gamme des années 40 et 50 et des bijoux de couturiers. Au fil des ans les choix ont évolué et se sont affinés. Une grande complicité s’est nouée avec les maisons anciennes. Gripoix, Robert Goossens ou les ateliers Françoise Montague fabriquent aujourd’hui spécialement pour la boutique bruxelloise. Hervé Van der Straeten, créateur de bijoux surdimensionnés en laiton est un autre  » fournisseur  » de prédilection.  » Nous suivons un seul fil conducteur : pas de métaux précieux, note Patrick Sigal. On cherche des choses étonnantes, on s’intéresse à la qualité intrinsèque du bijou et aux artisans qui ont de la créativité. Il faut que ça tienne la route. C’est plus important que les matériaux. « 

Les propositions de Ciel mes Bijoux ! attirent une clientèle éclectique, des collectionneurs, bien sûr, des touristes, des clients de passage et des peoples, tels la princesse Maxima des Pays-Bas, le rocker Brian Ferry ou encore Madeleine Albright, secrétaire d’État des Etats-Unis sous le second mandat de Bill Clinton. Vraie passionnée, elle a écrit un livre sur les bijoux et arbore toujours d’énormes broches qu’elle appelle  » ses bijoux de combat « .

L’appartement de Godelieve et Patrick Sigal ne reflète pas du tout leur passion.  » Il n’a pas de vocation muséale, il n’y a pas de bijoux à la maison « , souligne le maître des lieux. L’ambiance est plutôt sobre et relativement dépouillée, en parfaite harmonie avec l’architecture Art déco de l’immeuble et aussi de l’appartement. Les boiseries et les miroirs qui tapissent le hall d’entrée datent des années 30.

Perché au sixième étage d’un immeuble situé place Stéphanie, l’appartement éblouit le visiteur par sa superbe luminosité. On commence la visite sur la terrasse qui longe l’appartement et offre des perspectives époustouflantes qui s’étirent à l’infini vers le bois de la Cambre, Uccle et le centre-ville.  » Nous sommes très urbains, s’amuse Patrick Sigal. La campagne nous fait tousser, la pollution nous fait vivre. La ville nous passionne avec son mélange de chaos, d’agressivité et de manque de civilité. Son dynamisme permanent nous oblige à nous remettre en question tous les jours. On aime beaucoup ce quartier. Il y a dix ans, nous avons tout laissé aux enfants qui sont grands et sommes arrivés ici où nous vivons comme un couple de célibataires, au milieu des objets que nous aimons. « 

Les grands noms du design

Godelieve et Patrick aiment le style d’après-guerre qui  » déborde  » vers les années 60 et 70. Les pièces à vivre, inondées de lumière, se suivent dans un seul espace, sans la moindre séparation. Le salon est peuplé de créations de Jules Wabbes, célèbre architecte d’intérieur bruxellois, réputé pour son mobilier en bois massif, ses lattes collées et les détails métalliques. La table basse décorée de grains de poivre, l’une des marques de fabrique d’Ado Chale, autre créateur bruxellois de renom, forme un ensemble cohérent avec les canapés, les fauteuils et l’armoire de rangement de Jules Wabbes. Les luminaires portent la griffe de designers célèbres : Christian Liaigre, Arne Jacobsen, Christophe Gevers et Piero Fornasetti. Le tapis rouge à longs poils est un clin d’£il sympathique à l’époque hippie des années 70. Aux murs, un seul tableau, une peinture abstraite signée du Belge Franck Christen.  » Typique des années 50, ce tableau est  » crasseux « , mais on l’a laissé tel quel, intervient Patrick Sigal. Il nous suit depuis toujours, il est très reposant. « 

La salle à manger fait, aussi, la part belle aux grands noms du design avec la table de Knoll, les chaises tendues de moleskine rouge de Charles Eames et le meuble de De Lucca. On pointe un très beau portrait en noir et blanc de Jean-Luc Godard, par Richard Dumas. Le cinéaste regarde un paysage suisse à travers un hublot. La photo fait penser à une fenêtre dans le mur. Juste à côté, le bureau-bibliothèque est tapissé de centaine de livres, admirablement classés et rangés.  » Je pourrais me passer de bijoux mais pas de livres, confie Patrick Sigal. J’aime l’histoire contemporaine depuis 1914, avec ses dérives et ses conflits, et bien entendu la littérature, surtout russe, sud-américaine italienne et anglaise. « 

Quelques beaux accessoires complètent le décor :  » Capsule  » le tabouret en aluminium laqué qui sert aussi de porte-journaux d’Hervé Van der Straeten, un joli paravent et un tapis en  » feuilles  » de cuir. Dans la cuisine, on quitte le xxe siècle et on entre de plain-pied dans le IIIe millénaire. L’ambiance est nickel, blanche et technique.  » J’aime cuisiner, conclut le maître des lieux. Tout l’équipement est semi-professionnel et déambulatoire. On peut tout emporter. Les lieux passent, on y vit. En revanche, nous sommes assez attachés aux objets, aux livres età aux bijoux.  » n

Carnet d’adresses en page 100.

Par Barbara Witkowska / photos : Renaud Callebaut

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