Chef du Gambero Rosso à San Vincenzo, une petite sTation balnéaire du nord de la Toscane, Fulvio Pierangelini est un véritable artiste, mettant admirablement en scène les saveurs venues de la mer. Le meilleur cuisinier d’Italie 2004 a confié à Weekend les secrets de sa célèbre passatina di cecci con gamberi.

Carnet d’adresses en page 114.

Il est difficile de ne pas penser que cet homme-là est un enfant qui refusera à jamais de grandir. A moins que cette immense fragilité, ce sentiment d’être incompris, cette quête infinie d’une perfection que personne ne pourra jamais apprécier, ne soient le propre des grands artistes, dont il fait indiscutablement partie. La cinquantaine entamée et 2 étoiles Michelin en combleraient plus d’un, tout comme le titre de meilleur cuisinier d’Italie 2004, acquis avec 96 points dans le guide de  » L’Expresso « . Mais manifestement cela ne lui suffit pas. Pourtant Fulvio Pierangelini est bâti comme un roc. Sa haute stature, ses larges épaules en imposent. Et s’il grignote aujourd’hui des sandwiches composés de pain azyme et de chocolat noir pure origine (Venezuela), c’est tout simplement pour ne pas retrouver les trente ou quarante kilos superflus qu’il a perdus.

Plantons le décor. San Vincenzo est une petite station balnéaire du nord de la Toscane. Les quelques restaurants qui bordent le port de plaisance ne se distinguent guère les uns des autres. Avec sa bâtisse anodine et une salle peu soucieuse du goût du jour, le Gambero Rosso n’est certes pas celui qui attire le plus le regard. En empruntant les marches d’escalier qui conduisent à ce bel étage, vous verrez peut-être, par une fenêtre entrouverte, Emanuela, l’épouse de Fulvio, occupée à sélectionner avec une rarissime délicatesse, des feuilles de salade.  » La manière de toucher un aliment est importante, explique Fulvio. Ces légumes savent que je les aime. Ils me donneront le meilleur d’eux-mêmes lorsque je les cuisinerai.  » Le chef s’exprime dans un français parfait : la France est d’ailleurs un pays où il revendique quelques amis chers, comme Olivier Rollinger, le marin de Cancale.

Le service achevé, Fulvio rejoint son épouse, pare quelques petites navets, détaille quelques beaux cèpes. Puis reprend un morceau de pain azyme et du chocolat noir. Ouverte sur le restaurant û elle en fit autrefois partie û la pièce où il nous reçoit est tout à la fois salon, bibliothèque, salle à manger… On y remarque une collection de livres offerte par un éditeur pour lequel Fulvio a organisé un repas important. Des dizaines de petits tabourets, qu’il met à la disposition des dames pour y déposer leur sac à main, se bousculent. Il y a aussi ces magnifiques couteaux, un modèle original qu’il a dessiné  » un jour de cafard, le 31 décembre 2001  » et qu’il a fait exécuter par un artisan de renom. La pièce recèle encore quelques produits singuliers, comme différentes variétés de pois chiches ou ce petit sac en coton blanc fermé d’un ruban orange.  » Ce sont des haricots secs Zolfino, une petite merveille que me cultive une dame de 82 ans, confie Fulvio. Ces 2 kilos représentent presque la totalité de sa production.  » Une superbe noix de jambon trône, elle, sur la table. La viande provient de l’élevage de son fils, situé à quelques kilomètres de San Vincenzo et consacré au Cinta Senese, un porc noir qui, comme son cousin ibérique ou basque, se nourrit pour partie de glands de la forêt naturelle. Le jambon est ensuite affiné pour lui à Zibello, non loin de Parme.

C’est l’amour de la mer et des vacances passées à enseigner la voile qui ont amenés Fulvio à San Vincenzo où il s’est enraciné. Il y ouvre son premier restaurant en 1977, en ayant appris les bases de son métier avec les cuisiniers saisonniers sur la plage. Quelques années plus tard naît le Gambero Rosso que tous les amateurs reconnaissent maintenant comme une des plus belles tables du pays. Essentiellement tourné vers la mer, le menu des classiques du Gambero Rosso compte une salade de petits rougets, la passatina de cecci con gamberi, des raviolis de poisson à la crème de fruits de mer et la pêche du jour accompagnée de culatello de cinta sense.

L’histoire de la passatina di cecci con gamberi, une entrée composée d’une purée de pois chiches, servie avec des écrevisses, mérite d’être contée.  » C’était en 1986, un jour de fermeture, embraye Fulvio. Le marquis Incisa della Rochetta, propriétaire de Sassicaia a frappé à la fenêtre. Il était accompagné par le grand patron de Antinori. Ils voulaient que je leur prépare à manger. Ne pouvant les recevoir au restaurant, j’ai proposé de passer à la maison. Et ils ont accepté, parce qu’ils cherchaient un endroit au calme pour mener une importante négociation.  »

Fulvio venait d’acheter chez le légumier des pois chiches précuits et il avait à la maison quelques écrevisses. Impossible cependant de servir cela comme tel à deux grands noms du vin sans donner au plat un air de gastronomie. C’est ainsi que l’idée de la purée montée à l’huile d’olive lui est venue.  » J’étais tellement persuadé du résultat que le lendemain j’ai mis le plat à la carte.  » L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais il n’en fait rien…  » Comme je n’étais pas encore connu, des journalistes ont écrit que je ne pouvais pas être l’inventeur de cette recette.  » Blessé, Fulvio a alors apposé sur la porte d’entrée du Gambero Rosso une pancarte stipulant  » Les gens mal intentionnés ne sont pas les bienvenus ici !  » Près de vingt ans après, la blessure reste ouverte, au point qu’il refuse systématiquement de donner le texte de ses recettes. Il a toutefois fait une exception pour Weekend en nous faisant cadeau de sa célèbre passatina de cecci con gamberi.

Quant au culotello de cinta sense, il est l’incarnation même de la cuisine instantanée de Fulvio : des légumes de saison à peine cuits, une petite tranche de culatello déposée sur le filet de poisson, un trait d’huile d’olive et une sauce légèrement citronnée. Ces choses simples et simplement combinées produisent un grand plat, une signature authentique. Pour parfaire le tout, si votre amour de la table le touche, il vous apportera lui-même les plats. Il renchérira même par quelques dégustations d’autres recettes que vous n’avez pas commandées et qu’il ne vous fera pas payer…

Auréolé du titre de meilleur cuisinier d’Italie 2004, Fulvio songe aujourd’hui à construire un nouveau restaurant, sur la plage.  » J’ai besoin de voir la mer, confie-t-il. Or, on va construire une marina devant chez moi. Mon nouveau restaurant sera totalement en bois et je cuisinerai au charbon de bois. Je ferai des choses tellement simples que personne n’y comprendra rien.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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