L’éditeur italien possède l’un des catalogues de mobilier les plus riches de l’histoire du design. Récit de quatre-vingts ans de passion et de recherches.

Charles Rennie Mackintosh, Gerrit Thomas Rietveld, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Gaetano Pesce, Philippe Starck, Konstantin Grcic… Rares sont les éditeurs de mobilier qui peuvent se targuer d’afficher une telle pléiade de stars dans leur catalogue. Feuilleter les pages de celui de Cassina, c’est avancer pas-à-pas dans l’histoire du design du xxe siècle. En témoigne l’exposition Made in Cassina, qui vient d’attirer 40 000 visiteurs à la Triennale de Milan et qui retraçait, à travers modèles, prototypes et documents d’archives, son incroyable parcours.

Dès 1927, Umberto Cassina et son frère Cesare, fils et petit-fils d’artisans du meuble de Meda, près de Milan, se lancèrent dans la fabrication de petits meubles et de tables pour le marché local. Quatre-vingts ans plus tard, leur entreprise est devenue l’une des marques symboles du design haut de gamme, avec, à l’instar de Ferrari depuis 2005, Cassina appartient aussi au groupe industriel de luxe Charme, présidé par Luca di Montezemolo – une  » écurie  » de rêve.

La forte personnalité et l’instinct artistique de Cesare Cassina (disparu en 1979) sont pour beaucoup dans ce succès. Dès le début, l’homme n’agit pas en simple entrepreneur, mais accompagne la création.  » Un jour, il m’a proposé de recevoir un salaire, sans obligation de retour, juste pour me permettre de continuer mes recherches personnelles, raconte Gaetano Pesce. Quand, à 27 ans, j’ai eu l’idée de créer une assise en polyuréthanne, emballée sous vide, je la lui ai tout de suite présentée. « 

Encore aujourd’hui, parier sur des designers en leur offrant la possibilité de s’adonner à des expérimentations au sein de l’usine reste l’une des particularités de cette maison. Son actuel directeur, Demetrio Apolloni, n’hésite pas à réaffirmer son attachement à cette tradition.  » Lorsque nous choisissons de travailler avec un designer, nous ne faisons pas de  » shopping  » avec ses créations, explique-t-il. Nous cherchons d’abord à établir une relation avec celui-ci. Le rendez-vous se passe à l’usine. Nous ne posons aucune question sur ce qu’il souhaite faire, mais nous lui montrons ce qu’il est possible de faire chez nous. A lui de comprendre comment tirer parti de cet outil de travail. « 

Le principe semble inscrit dans les gènes de l’entreprise depuis les années 1960. A cette époque, en Italie comme ailleurs, les mouvements contestataires se multiplient et contaminent le milieu des designers et des architectes. De là naissent des groupes, comme Archizoom Associati ou Superstudio, qui remettent en question la consommation de masse, l’industrialisation à outrance. Ces interrogations s’accompagnent d’expérimentations plus ou moins fantaisistes autour des matières plastiques et des mousses expansées. Très vite, les frères Cassina comprennent l’enjeu de ces mutations. Ils ouvrent même, à Gênes, une antenne supplémentaire baptisée Braccio di Ferro (littéralement, Popeye), qui devient la première cellule expérimentale de meubles en Italie.

 » Nous étions un grand nombre de jeunes à venir faire des expériences, un peu comme les artistes, à la Renaissance, le faisaient dans un laboratorio « , se souvient Gaetano Pesce. Résultat, les collections de Braccio di Ferro prennent des allures de manifestes politiques et sociaux. En 1968 surgit ainsi le fauteuil Ciprea d’Afra et Tobia Scarpa : une assise pour le moins avant-gardiste pour l’époque, composée d’un bloc de mousse en polyuréthanne, expansée et injectée, et recouverte d’une housse amovible. Avec sa chaise Golgotha (1972), Gaetano Pesce tente, quant à lui, de démontrer que les productions en série peuvent laisser place à l’aléatoire et se transformer en pièces uniques. Une expérience toujours d’actualité.

Mais c’est l’architecte Gio Ponti, alors spécialisé dans l’aménagement des bateaux de luxe, qui va réellement propulser l’entreprise. La guerre est finie et les armateurs doivent reconstruire leur flotte. Contactés par Gio Ponti pour réaliser quelques pièces, les Cassina vont s’imposer sur ce marché. Par ricochet, ils s’habitueront à la production de séries limitées et, dès lors, navigueront en permanence de l’industrie à l’artisanat. C’est cette capacité à passer d’un système à l’autre qui deviendra leur image de marque. De cette fructueuse collaboration avec Gio Ponti naîtra, en 1957, l’une des premières icônes de la maison, la chaise Superleggera, en frêne, inspirée du mobilier de pêcheur des côtes italiennes.

Dans les années 1980, la notoriété de Cassina est assurée par la collection I Maestri, qui réédite des chefs-d’£uvre du mobilier (lire l’encadré ci-contre). Ce qui n’empêche pas le succès de ses créations, comme la chaise longue Wink, de Toshiyuki Kita, ou le célèbre fauteuil Feltri en feutre de laine, de Gaetano Pesce, édité en 1987. Depuis, les plus grands ont continué à enrichir le catalogue. En 2007, Starck dévoilait une collection de banquettes capitonnées baptisée  » Privé « . Depuis, la série, comprenant sa chaise Caprice, se place en tête des ventes.

Au dernier Salon de Milan, l’éditeur présentait ses nouvelles vedettes : le Japonais Tokujin Yoshioka et l’Allemand Konstantin Grcic. Le moelleux du fauteuil de l’un (Heaven) s’opposait à la sobriété de la chaise en cuir de l’autre (Teepee). Toute la variété de l’identité Cassina… Si l’éditeur n’est pas associé à un style, sa collection reflète un constant souci d’innovation. Chacune de ses pièces ambitionne d’allier une identité forte, une fonctionnalité irréprochable et une qualité de finition équivalente… La quête du design parfait, en somme.

Carnet d’adresses en page 96.

Edith Pauly

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