Sur le pourtour de la Méditerranée, les forêts de chênes-lièges font barrage à la désertification tout en fournissant un matériau unique dont les applications ne cessent de se multiplier. Cap sur la région de l’Alentejo, au Portugal qui se profile à la pointe de la production du liège.

PAR PIET SWIMBERGHE

par Piet Swimberghe

Dans tout le sud de l’Europe et le nord de l’Afrique, le paysage est dominé par des forêts de chênes-lièges. Ces étendues boisées forment la base d’un des plus grands écosystèmes du monde : elles constituent un barrage naturel contre la progression du désert – un danger qui menace aussi la péninsule Ibérique – et elles favorisent une biodiversité unique, tout en captant d’importantes quantités de CO2. L’an dernier, 120 000 nouveaux hectares de chênes-lièges ont d’ailleurs été plantés sur la péninsule Ibériqueà Ce n’est donc pas un hasard si le Portugal est le premier producteur mondial de liège, suivi par l’Espagne !

Une récolte ancestrale

Nous nous sommes rendus dans l’Alentejo, qui livre non seulement la production la plus importante en termes de volume, mais aussi la plus qualitative. De juin à août, les leveurs parcourent ses pittoresques collines pour y récolter prudemment la précieuse écorce, tout comme leurs prédécesseurs le faisaient déjà il y a plusieurs siècles, à une époque où le matériau était destiné à un usage domestique. Sur le pourtour méditerranéen, le liège a été utilisé dès la préhistoire comme isolant, permettant de garder au frais aliments et boissons – aujourd’hui encore, les ouvriers des plantations s’en servent pour envelopper leurs bouteilles d’eau. Il s’agit de surcroît d’un matériau imperméable. Cette propriété non plus n’avait pas échappé à nos lointains ancêtres qui, bien avant le développement de la poterie et de la métallurgie, s’en servaient pour fabriquer cruches, gobelets et cuillers. À l’époque déjà, le liège faisait l’objet d’applications très variées, notamment dans la fabrication de bouées et de sandales.

La filière prend sa source dans les forêts de chênes-lièges, les montados. Le Portugal à lui seul compte 60 millions d’arbres, mais il faut plus d’un quart de siècle avant qu’un jeune chêne ne soit mûr pour une première récolte. Son écorce est alors délicatement détachée en veillant à ne pas blesser le tronc. Cette opération n’affecte absolument pas sa croissance, car l’écorce va repousser et pourra à nouveau être prélevée neuf ans plus tard. La toute première récolte produit une écorce vierge (ou mâle) gris pâle et la seconde, une écorce brune, qui peuvent toutes deux être utilisées comme revêtements de sol. Ce n’est qu’une fois que l’arbre atteint 43 ans qu’il sera enfin possible de récolter une écorce plus épaisse, de 6 à 8 cm, utilisée dans la confection des bouchons. Il en faut, de la patience !

On trouve ainsi parmi les chênes-lièges nombre d’arbres vénérablesà Leur écorçage est effectué par des ouvriers itinérants qui ne prélèveront jamais la totalité de l’écorce, mais limiteront l’opération à une hauteur de deux à trois mètres, selon les dimensions de l’arbre. L’écorce récoltée est ensuite envoyée à l’usine pour y être bouillie, afin d’en éliminer insectes et moisissures, après quoi les plaques encore humides sont pressées et aplanies. Les morceaux épais comportant peu de nervures – la meilleure qualité – seront sélectionnés pour la production de bouchons. Le reste, lui, sera découpé en plaques et les déchets seront réduits en charpie qui servira notamment à fabriquer des matériaux d’isolation.

De nombreux atouts

Solide et souple grâce à sa structure cellulaire particulière, semblable à un rayon de miel, le liège est également durable, ce qui lui vaut un succès croissantà et ses applications ne cessent de se multiplier : les bouchons ne représentent d’ailleurs plus qu’une infime partie de la production totale. Il est, rappelons-le, l’un des plus anciens isolants connus (un millimètre de liège isole aussi bien que quatre centimètres de béton), y compris en termes acoustiques, ce qui en fait un revêtement idéal pour les murs et les sols. Imperméable, il est aussi très utilisé dans les cuisines et les salles de bains. Enfin, il semble que sa couche superficielle ait un effet répulsif sur les bactéries, moisissures et acariens. Mais aujourd’hui, le liège est également employé dans le secteur automobile, l’aviation et même l’isolation des sondes spatiales ! Au Portugal, de nombreux concepteurs ont imaginé des tables, des chaises et des objets usuels en liège, et les architectes contemporains en sont fous. Le célèbre architecte portugais Alvaro Siza l’utilise même pour recouvrir des façades. Quant au pavillon du Portugal à l’Exposition universelle de Shanghai, signé Carlos Couto, un architecte portugais établi à Macao, il arbore, lui aussi, un revêtement en liège !

Carnet d’adresses en page 40.

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