Et éblouissez-vous par les mille et une merveilles que recèle le palais Mansouriya. Sa décoration s’inspire des grandes périodes de l’histoire

de la cité millénaire pour offrir une véritable féerie orientale.

Si elle est aujourd’hui le centre économique de la Syrie, Alep est aussi l’une des cités les plus envoûtantes de la planète, l’une des villes les plus importantes de l’histoire des échanges entre l’Orient et l’Occident. Sa citadelle du xiiie siècle la domine du haut de ses interminables murailles : un spectacle encore magnifié par l’éclairage nocturne. Ses souks, avec pas moins de quatorze kilomètres de ruelles et galeries, forment un invraisemblable dédale où tous les métiers du monde s’activent dans un festival de couleurs et de sons. Alep est gourmande. N’est-elle pas le berceau des traditions culinaires de tout le Moyen-Orient ? Et au détour de ses architectures, elle se montre aussi £cuménique. Plusieurs communautés chrétiennes – catholiques et orthodoxes -, chacune avec ses lieux de culte, côtoient la religion musulmane, largement dominante.

Mais l’Alep contemporaine attend, elle, la bienveillante étincelle qui lui rendra la lumière, celle de la cité riche et ensorcelante qu’elle fut des siècles durant, sur la route de la soie, comme en témoignent les magnifiques caravansérails qu’on appelle ici khans. Endormies au détour de ruelles anodines, la ville a aussi conservé quelques résidences remarquables. D’aucunes sont encore en attente d’une rénovation. Mais d’autres affichent fièrement leur restauration, comme cet édifice du xvie siècle, le palais Mansouriya, situé près d’une des plus anciennes portes de la médina, bab Qennesrine et rénové par deux couples franco-suisses.

Des fastes d’autrefois, il restait la pièce majeure, la kaha, le c£ur de la communauté qui y a vécu au fil des générations. Cette pièce très haute – ses coupoles culminent à 12 mètres – est surtout remarquable pour ses boiseries richement incrustées. Leur rénovation a exigé une patience infinie et le soutien d’équipes spécialisées basées en Allemagne.

Pièce d’apparat, la kaha était surtout occupée en hiver. Ses sols en marbre étaient alors couverts de tapis d’Orient, pour isoler du froid, parfois bien rigoureux dans la région. Au retour de la belle saison, on roulait les tapis, tout en les saupoudrant de copeaux de savon d’Alep dont un des constituants – l’huile de laurier – a la propriété de chasser les mites et insectes.

Le printemps revenu, c’est l’iwan, le grand salon d’extérieur agrémenté d’un bassin d’eau, qui était le centre de la vie quotidienne, s’animant particulièrement lorsque la fraîcheur de la nuit devient hospitalière. C’est tout autour de cet iwan que sont disposées les pièces privatives, aujourd’hui devenues neuf vastes suites de grand luxe.

 » Nous avions plusieurs possibilités pour déterminer leur aménagement, souligne Vincent Judet, un des propriétaires. Nous savions cependant que nous voulions mettre en valeur l’extrême qualité de l’artisanat syrien. Ici on peut faire tout réaliser sur mesure et obtenir des finitions d’une qualité exceptionnelle. On peut faire tailler le marbre, faire fondre des robinetteries originales, faire tisser en damas tentures et draperies de lit. Même les peignoirs ont été dessinés spécialement et tissés sur de petits métiers, le coton étant incrusté de fils d’argent.  »

Mais par où commencer lorsqu’on prend en main un chantier de restauration dont l’ampleur s’apparente davantage aux travaux d’Hercule ? Quel style choisir ? Faut-il replonger la bâtisse dans le temps de sa création, dans une des périodes de gloire de ceux qui l’ont habitée ? Les propriétaires prennent alors une décision étonnante : conférer à chaque chambre la  » personnalité  » d’une des grandes périodes de l’histoire d’Alep.  » Il y eut d’abord la civilisation hittite, explique Vincent Judet. Redécouverte au xxe siècle, elle est considérée comme l’une des plus grandes puissances du iie millénaire avant Jésus-Christ. Elle va perdurer en Anatolie et en Syrie du nord, dont Alep, jusqu’au ixe siècle avant notre ère, précédant les Assyriens. Viennent ensuite les Perses, les Grecs, les Arméniens, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Turcs. Chaque civilisation a marqué la ville. Certaines se sont d’ailleurs maintenues pendant de très longues périodes. A l’exception des Arméniens dont la présence fut très brève. Ainsi, les Arabes ont  » gouverné  » Alep durant 879 ans, soit près du double des Romains (464 ans) ou des Turcs, 402 ans entre 1516 et 1918.

Vincent Judet et ses amis vont donc puiser dans chaque période les éléments d’inspiration qui vont permettre de caractériser chaque  » intérieur « , du plus  » rudimentaire « , propre aux Bédouins, aux plus sophistiqués, comme la suite byzantine ou la suite de la favorite. Si l’on excepte la chambre hittite avec ses évocations de peaux d’animaux ou la chambre gréco-romaine, avec ses sculptures et ses fresques, les différentes périodes sont davantage illustrées au travers de détails décoratifs souvent imperceptibles si l’on n’est pas au fait de l’histoire des styles. Ainsi, la chambre Iznik est-elle surtout remarquable par les céramiques de la salle de bains qui rappellent celles qui furent produites à Iznik entre la moitié xive siècle et la fin du xviie siècle, sous la domination turque. Les motifs choisis sont ceux dits de la période de Damas, à son apogée aux environs de 1575.

Chaque chambre révèle l’extrême vivacité de l’artisanat syrien d’aujourd’hui, qui s’exprime dans de magnifiques mosaïques ou dans les très riches enluminures de nacre dans les boiseries. La même finesse se retrouve dans tous les tissus exécutés sur des métiers anciens de Damas. Trois ans ont été nécessaires pour arriver au terme de ce fabuleux projet.  » Nous avons tenu à sauvegarder l’essentiel, conclut Vincent Judet : les façades, les matériaux, les volumes des pièces. Mais les véritables auteurs de cette résurrection, ce sont les artisans de la capitale et ceux que l’on trouve à deux pas de chez nous, dans les souks d’Alep.  »

Carnet d’adresses en page 120.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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