Visite au domaine du Chenoy, le plus grand vignoble de Wallonie, à la découverte des vins de Philippe Grafé. De bonnes bouteilles recelant des assemblages inédits, nés d’une démarche écofriendly et très conviviale.

Nous sommes dans le cuvier du domaine du Chenoy, à Émines, entre Namur et Gembloux. Cette ancienne grange de ferme, une construction datant de 1781, se distingue par l’élégance de ses piliers ronds en briques. Et c’est dans ce cadre magnifique que Philippe Grafé réalise ses assemblages de vins rouges. Une petite dégustation ?  » Prenez un verre de cabertin et un autre de pinotin en double quantité. Versez le premier dans le second et mélangez les deux cépages en les faisant tourner dans votre verreà  » L’£il en éveil, notre hôte attend les commentaires. Les deux vins en question, comme tous ses rouges de la récolte 2009, reposent patiemment dans de grandes cuves en acier inoxydable avant d’être mis en bouteilles pour faire de la place à la vendange 2010 qui se poursuivra jusqu’au 15 octobre prochain.

 » Je cultive quatre cépages : deux interspécifiques d’origine allemande, les régent et rondo, et deux suisses, les pinotin et cabertin. Je dois encore affiner les proportions de l’assemblage de ces deux derniers, mais ils se compléteront bien dans la bouteille. Le pinotin apporte la structure. Le cabertin, lui, livre son fruit, le cassis, et cette note très présente de poivron vert, typique d’un cabernet franc de la Loire, par exemple.  » L’assemblage rondo-régent ? Tout aussi enthousiasmant :  » Le rondo offre une jolie attaque. Il a de la mâche, de l’étoffe. Il est un peu rustique. Mais tout cela est compensé par le bouquet frais du régent. « 

Le vignoble du domaine du Chenoy – 10 hectares, dont 7 sont plantés en cépages rouges, le solde en blancs – s’étend tout autour de la grange, sur des coteaux légèrement pentus et idéalement exposés au sud. Pourtant, en 2003, avant l’arrivée de Philippe Grafé, il n’y avait ici que les champs et prairies d’une ferme tout à fait anodineà

Le nom de notre viticulteur est attaché à la dynastie Grafé-Lecocq, négociants éleveurs en vins français depuis 1879, date de la fondation de l’affaire par son grand-père Henri et son épouse, née Lecocq. Quittant la société familiale en 2000, il s’accorde une période sabbatique, tout en sachant dans quelle direction s’orienter. Chassez le naturelà Trois ans plus tard, il acquiert la ferme du Chenoy et, dès avril 2003, plante 6 hectares de vignes. En 2005, le domaine atteint les 10 hectares, sa taille définitive.

 » En 2003, j’avais 65 ans, confie Philippe Grafé. Je ne voulais donc pas perdre de temps. J’ai envie de voir évoluer mes vignes et mon vin.  » Pour y arriver, il casse sa tirelire. Car il lui faut partir de zéro et, en Wallonie, la plantation d’un hectare de vigne nécessite de 15 000 à 20 000 euros d’investissement, avant de pouvoir cueillir la toute première grappe.

Philippe Grafé fait preuve d’originalité : il ne se lance pas dans les vins blancs, comme c’est le cas dans la Moselle luxembourgeoise ou allemande, toute proche. Certes, sur les 3 hectares qui leur sont dédiés au domaine du Chenoy, il plante 5 cépages d’origine allemande : les bronner, helios, johanniter, merzling et solaris.

Mais pour le reste, Philippe Grafé tente, au contraire, de mettre au point la viticulture – septentrionale – des cépages rouges, ce en quoi il est totalement précurseur.  » Les chercheurs allemands ont travaillé sur plusieurs cépages rouges qu’on appelle des hybrides interspécifiques. Le régent et le rondo en font partie. Créés dans les années 60, ces cépages ont aussi un côté écologique, car ils montrent une belle résistance aux maladies que sont le mildiou et l’oïdium. On utilise donc beaucoup moins de pesticides. De plus, ils ont une aptitude à mûrir plus rapidement que des cépages traditionnels, ce qui convient à notre climat. Le pinotin et le cabertin sont tous deux nés dans le Jura suisse en 1991 et ils sont également le fruit de croisements interspécifiques. « 

On pourrait écouter Philippe Grafé parler de sa passion des heures durant, sans jamais se lasser. L’homme est modeste, cultivé, brillant même, ce que confirme son regard pétillant. Il connaît autant la viticulture que la cave. Et si besoin, il se fait judicieusement entourer. Le domaine du Chenoy, le plus grand de Wallonie, produit ainsi annuellement 50 000 bouteilles, ce qui correspond à un rendement maximal de 40 hectolitres de vin par hectare.

Sur ces sols argilo-calcaires, il faut limiter la vigueur de la vigne par des tailles hivernales adéquates et, dans le même temps, maximiser la surface des feuilles, pour garantir la photosynthèse, machine à stocker les sucres dans le raisin. Le résultat de ces efforts se mesure aux premiers jours de l’automne. Les vendanges du domaine du Chenoy sont effectuées par des bénévoles qui ont ainsi le bonheur de passer une journée dans une atmosphère très conviviale, repas en commun en sus.  » Nous disposons actuellement d’un carnet d’adresses de 2 000 personnes que nous tenons informées en permanence « , s’enorgueillit Philippe Grafé.

La récolte engrangée, une longue attente commence. En effet, les raisins fermentés (une opération qui dure 12 jours pour les rouges), le jus pressé va rester en cuve pour une année. Puis une année de plus en bouteilles, afin de s’affiner et de s’arrondir. C’est pourquoi Philippe Grafé commercialise actuellement des vins blancs des millésimes 2006, 2007 et 2008 et des vins rouges des millésimes 2006 et 2007. Sa gamme compte également un vin de liqueur (à base de muscat bleu) et le Perle de Wallonie, un pétillant, méthode traditionnelle extra brut. Santé !

Carnet d’adresses en page 80.

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