Le code postal 2060 embrasse le quartier le plus populaire, animé et haut en couleurs d’Anvers. Controversé parfois, mais aussi riche en surprises, en enthousiasme, en créativité. Au Nord toutes !

Été 2012, un mercredi matin. Un soleil pâle inonde la place De Coninck. Pour l’heure, le c£ur du quartier de l’Athénée bat plutôt au ralenti. En regardant autour de soi, on est frappé par le calme qui y règne. Tandis que les rares passants se dirigent invariablement vers la bibliothèque Permeke, nous partons à paisibles enjambées à la découverte de cette zone en pleine mutation qui présente certes encore quelques angles mal équarris, mais ne manque pas d’atouts… ni d’habitants dynamiques. À l’instar de Vic Mees, notre accompagnateur, attaché au laboratoire urbain d’Antwerpen Averechts ( » Anvers à l’envers « ), une ASBL qui organise des promenades guidées dans plusieurs coins de la ville.

L’image de la place De Coninck a beaucoup évolué au fil des années, nous explique d’emblée Vic Mees. Du temps de ses parents, dans les années 50 et 60, elle était encore le centre névralgique de la vie nocturne anversoise, l’endroit par excellence où des fêtards de tous âges et de tous milieux venaient danser jusqu’aux petites heures dans les nombreux cafés. Dans les seventies, tout a changé avec l’ouverture de boîtes de nuit et de sex-clubs, dont les videurs en venaient régulièrement aux mains. La prostitution qui existait de longue date autour de l’Athénée a investi la place proprement dite, apportant avec elle des problèmes de drogue. Dans la foulée, les prix de l’immobilier se sont effondrés, poussant les propriétaires à la vente et provoquant un afflux d’immigrés miséreux. En 1982, avec la fermeture du grand garage Ford fondé en 1924 par Oscar Permeke, cousin du célèbre peintre du même nom, le quartier a touché le fond et cette mauvaise réputation lui est restée, bien qu’il ait sensiblement remonté la pente ces dernières années.

Les principaux moteurs de la renaissance ont été le réaménagement de la place De Coninck et la reconversion de l’ancien garage, en 2005 : celui-ci accueille désormais le siège de la bibliothèque municipale, un guichet administratif, plusieurs espaces de rencontre et le bistrot Kubus. Passablement controversé à ses débuts, le projet a pourtant fini par faire ses preuves : sept ans après sa création, la bibliothèque a trouvé son public, et le quartier ne s’en porte que mieux ! Lorsque nous y pénétrons, en ce jour de juin, les ordinateurs qui flanquent le grand escalier sont déjà occupés par une kyrielle d’étudiants venus des quatre coins du monde, qui compulsent fiévreusement leurs cours à la veille des examens. La grande bâtisse très accessible, tout en tons rouges et orange, a conservé une bonne partie de son architecture industrielle d’origine.

Entre-temps, la place commence à s’animer, à prendre un petit air de forum. Les membres de la communauté noire africaine la rallient pour se rencontrer et échanger des nouvelles de leurs compatriotes. Elle est aussi souvent le théâtre d’événements culturels et est envahie de badauds lors du marathon de piano – un concert de huit heures au cours duquel des solistes d’une virtuosité variable se succèdent dans les registres les plus divers – qui s’y tient chaque année.

POUR FOODIES ET DESIGN ADDICTS

Des nombreux cafés dansants qui entouraient naguère la place De Coninck, un seul a résisté aux assauts du temps : le Kiebooms (au n°18), baptisé en l’honneur de son ancien propriétaire, l’accordéoniste Leo Kiebooms. Son décor authentique vous ramènera tout droit au début des années 50. Tous les jeudis et samedis, les nostalgiques peuvent y assister à des concerts de musique jazz ou rétro, voire même – pourquoi pas ? – esquisser quelques pas de danse !

Comme il est encore un peu tôt pour danser, nous nous dirigeons vers la rue Van Artevelde, l’artère qui forme avec la rue Van Wesenbeke le Chinatown anversois. Outre les incontournables restaurants chinois (et un népalais, Yeti House) et supermarchés orientaux, on y trouve des guérisseurs traditionnels, masseurs, acupuncteurs et même des temples bouddhistes. Au n°56 de la rue Van Wesenbeke, nous jetons un coup d’£il chez Hype Men, un pop-up store coréen qui est aussi la première boutique de vêtements branchés à s’être installée dans ce périmètre largement dominé par l’horeca – une évolution révélatrice d’un quartier qui monte… Petite halte aussi à la Criée, le marché couvert qui relie la rue Van Wesenbeke à la rue Van Schoonhove et abrite (autour d’un supermarché) plusieurs bouchers réputés et un volailler (lire aussi en page 31).

Nous empruntons ensuite la Schaafstraat pour rejoindre la Lange Winkelhaakstraat, dont les prostituées ont aujourd’hui fait place aux jardinières fleuries. Sur la droite de la Schaafstraat, on peut admirer le centre de design De Winkelhaak, l’une des nombreuses réalisations locales d’AG Vespa, organisation communale autonome qui se charge de faire rénover des bâtiments inhabités par de jeunes architectes et de les mettre en vente afin d’attirer de nouveaux habitants. Depuis 2002, ce bâtiment tout en grandes baies vitrées et néons (clin d’£il à l’ancienne spécialité du quartier ?) sert de port d’attache à une foule de jeunes architectes, photographes, infographistes et créateurs.  » Les entreprises qui débutent dans le secteur créatif peuvent y louer un atelier pour deux ou trois ans, commente Tinneke Janssens, coordinatrice du projet. Nous en avons 26, qui sont tous occupés à l’heure actuelle. Une fois que ces entreprises commencent à se sentir trop à l’étroit chez nous, nous les aidons à trouver d’autres locaux dans les environs. Notre structure Bar d’Office met aussi une foule de services à la disposition des occupants, tout en stimulant l’interaction et les échanges d’idées avec les autres entrepreneurs. « 

Le site orchestre aussi régulièrement des événements. Les 26 et 27 octobre prochains, de jeunes créateurs de mode y présenteront leurs collections à l’occasion de la Fashion Farm 2012. Et chaque printemps, le marché en plein air Dubieus Design attire les amateurs de beaux objets et de curiosités d’occasion. La boutique du Winkelhaak, elle, propose notamment des tee-shirts et badges numériques  » 2060  » et il est également possible d’y commander et réceptionner des paniers-surprises multiculturels. Une initiative de Tom Loockx, l’une des chevilles ouvrières du site 2060.be, qui tient à valoriser tous les atouts du quartier. Les paniers contiennent des  » produits locaux  » disponibles dans les environs (jambon séché de Slovénie, cacahouètes au wasabi, tisane de verveine, chips de bananes plantain…), mais aussi, par exemple, des billets d’entrée pour la piscine Art déco de la Veldstraat, qui dispose également d’un hammam et d’une salle de sport.  » Il s’agit principalement de choses apportées par des immigrés de tous horizons, s’enthousiasme Tom Loockx. Offrir un tel panier, c’est inviter celui qui le reçoit à venir découvrir les multiples facettes d’Anvers 2060 – un quartier qui mérite d’être mieux connu. « 

Piëtro Celestina compte lui aussi au nombre des fervents défenseurs du quartier : son Solarshop (48, Dambruggestraat) est tout à la fois un atelier, une salle d’exposition et un pop-up store, où le collectif artistique Otark vient régulièrement présenter de nouveaux projets dans les domaines de la photographie, de la mode et du design. Lancer un tel projet à deux pas d’un home pour sans-abris et d’un centre d’accueil de jour pour drogués était loin d’être une évidence, et pourtant, Piëtro y croit.  » Nous pourrions choisir une voie franchement commerciale et nous implanter dans le Zuid ou le centre, mais Solarshop est étroitement lié à ce site… et pour nous, c’est vraiment l’ambiance artistique qui prime, souligne-t-il. Grâce à nos blogs, nous sommes parvenus à attirer un public de fidèles qui n’hésitent pas à venir jusqu’ici. À partir de septembre, nous disposerons d’ailleurs d’une boutique plus permanente, où seront commercialisés notamment les vêtements dessinés par Jan-Jan Van Essche.  »

Nous longeons la Lange Beeldekensstraat pour gagner le Seefhoek, quartier populaire qui recèle aujourd’hui un mélange bariolé de magasins d’alimentation exotique, marchands de tapis ou d’électroménager, boutiques de téléphonie et échoppes de pitas. Avec une population originaire de pas moins de 180 pays, Anvers détient le record du monde du nombre de nationalités différentes par kilomètre carré, pointe Vic Mees. C’est au milieu de cette véritable Babel des temps modernes qu’est installé depuis 1883 le Vogelenzang, le plus vieux café des environs.

UN VILLAGE DANS LA VILLE

L’étroite Klappeistraat, la plus longue artère sans embranchements d’Anvers, revendique la palme de la convivialité dans le nord de la ville : non seulement la circulation automobile n’est autorisée qu’avec parcimonie entre ses coquettes façades verdoyantes, mais tous les prétextes sont bons pour organiser une fête de quartier. Son ciné-club, niché dans un ancien commissariat et largement géré par des bénévoles, offre par ailleurs une programmation variée à des prix extrêmement démocratiques.  » Ce quartier autrefois un peu miteux a connu ces dernières années une véritable métamorphose, témoigne Hilde Frunt, créatrice de vêtements en maille établie ici depuis vingt-six ans. On voit débarquer de plus en plus de jeunes familles qui rénovent les maisons vétustes, mais la ville aussi a beaucoup investi : récemment encore, une vieille salle de gym a été complètement remise à neuf pour devenir le nouveau complexe sportif Cortina. Grâce à nos comités de quartier très actifs et à des initiatives comme le festival de rue Toer de Nord ou Kerkstraat Plage, il y a vraiment une ambiance de village. Je ne voudrais pas vivre ailleurs… et je ne suis pas la seule à le dire : il y a de plus en plus de célébrités dans les environs ! « 

Sur la place Julien Schoenaerts qui s’étire au pied de l’église Sint-Willibrordus – la plus grande d’Anvers après la cathédrale, toute pimpante suite à une récente restauration -, on est frappé par l’incroyable variété de l’offre culinaire, de l’élégante brasserie Duval au bistrot populaire ‘t Fonteintje, sorte de croisement entre un resto marocain et une friterie traditionnelle. Les fins gourmets fréquentent aussi de plus en plus la Handelsstraat avec ses magasins de fruits et légumes, boulangers, bouchers et poissonniers majoritairement marocains – la rue attire également (surtout les dimanches) une clientèle extérieure au quartier qui vient s’y fournir en produits frais, de qualité et à prix doux.

DE VAN GOGH À JAN FABRE

Vincent Van Gogh a séjourné quelque temps à Anvers, dans le Seefhoek, le quartier qui a également vu grandir le dessinateur de BD Willy Vandersteen… et l’artiste inventeur Panamarenko, dont la maison-atelier-héliport est toujours visible sur le coin de la Biekorfstraat, tandis que son Pepto Bismo trône un peu plus loin au milieu de la Sint-Jansplein. Jan Fabre aussi compte au nombre des grands noms des environs : Troubleyn, son QG artistique, est aménagé dans une superbe bâtisse rénovée sur la Pastorijstraat (n°23). Jusqu’au 23 septembre prochain, les entrepôts du Park Spoor Noord hébergent Pietas. De grandioses cerveaux en marbre de Carrare figurent les stations menant à l’apothéose de l’exposition : une réinterprétation audacieuse de la célèbre Pièta de Michel-Ange avec l’artiste dans le rôle du Christ – le tout présenté sur un podium doré à la feuille et entouré d’amulettes vertes en forme de scarabées. La visite de cette installation intrigante se combine facilement avec celle du musée MAS, érigé non loin en bordure de l’Escaut.

De façon plus générale, le district 2060 affiche une offre artistique particulièrement riche, avec des initiatives intimistes comme The Bries Space (10, Lange Scholierstraat), une sympathique galerie-living où graphistes, illustrateurs, dessinateurs de BD ou d’animation peuvent donner libre cours à leur créativité, mais aussi des projets plus ambitieux comme la galerie d’art Extra City, établie dans un ancien silo (79, Tulpstraat), le plus grand espace d’exposition dédié à l’art contemporain après le MUHKA. Son mantra :  » Art is a passion, customer satisfaction an art. « 

D’Extra City, on n’est qu’à un jet de pierre du centre névralgique d’Anvers 2060 : le parc Spoor Noord, ancienne gare de triage convertie en oasis de verdure où on vient jouer au football, au cricket ou au Kubb. Des enfants de toutes les couleurs s’ébattent dans les fontaines de la plage urbaine, des jeunes s’exercent au breakdance ou font des acrobaties sur leur skateboard ou leur BMX, les pizzas cuites sur pierre et mojitos du bar Cargo se vendent comme des petits pains… Tout le quartier se retrouve ici pour un jogging, un bain de soleil, un pique-nique ou un barbecue, des écolo-bobos aux primo-arrivants en passant par la classe moyenne immigrée.

Le bureau Secchi-Vigano a mis un point d’honneur à écouter les desiderata des habitants, dessinant à leur demande un parc très ouvert avec peu de buissons, histoire de ne pas attirer dealers et prostituées – et, cerise sur le gâteau, le succès de l’espace vert se répercute sur l’ensemble du quartier : de plus en plus de bâtiments délabrés sont rénovés pour abriter des logements unifamiliaux ou des appartements et les restos/bistrots branchés (Zum, Caravan, Zeppelin…) et bars à café (Crumbles & Beans) se multiplient entre les vieux cafés populaires. Pour se reposer et se repasser le film de cette journée riche en émotions, on peut aussi opter pour une valeur sûre, le Rode Zeven (Sint-Jansplein)… réputé pour son service particulièrement amical.

www.2060.be

http://noordlink.wordpress.com

www.kunstennoord.net

www.cityLabo.be (promenades guidées)

PAR LINDA ASSELBERGS / PHOTOS : WOUTER VAN VAERENBERGH

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