Haider Ackermann est l’une des étoiles montantes de la mode actuelle. Après avoir fait ses armes à Anvers, ce créateur pluriculturel a posé ses valises à Paris. Sa collection éponyme nous promet un printemps tout en suggestion et en inspiration désertique. Rencontre avec un écorché sympathique.

A quelques jours des défilés parisiens, Haider Ackermann a des poussées d’adrénaline. Il n’en garde pas moins le sourire et l’allure décontractée. Chaleureux, son petit accent ajoute un soupçon exotique à son physique latino. Né en 1970, en Colombie, le garçonnet a en effet été adopté par un couple français. Son père, de par son métier de cartographe, a entraîné sa famille métissée (Haider a une s£ur vietnamienne et un frère coréen) à travers l’Orient, l’Occident et l’Afrique. Pas étonnant que ces parfums d’ailleurs pimentent aujourd’hui la griffe d’Haider. Mais avant de concrétiser ses rêves de mode, le créateur est passé par l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers. Contraint d’abandonner ses études pour des raisons financières, il n’a pas pour autant renoncé à l’envie de créer et a réussi à se hisser finalement au niveau des créateurs prometteurs. Sa collection printemps/été 2006 est à l’image de cet homme qui cultive la pureté, l’intemporalité et le mystère : évadée du désert, la femme Ackermann exulte une sensualité à fleur de peau. Serait-ce un doux mirage ?

On vous décrit comme quelqu’un de calme. Un volcan sommeille-t-il en vous ?

( Rires.) Même pendant les défilés, je semble respirer la sérénité. En réalité, je suis tellement anxieux que cela bouillonne à l’intérieur. Chaque collection est une mise à nu. J’affiche mes sentiments devant tout le monde. C’est un peu comme plonger en eaux troubles sans savoir où l’on va. Or, c’est ce qui me plaît : j’aime travailler avec ce sentiment d’écorché.

Quel est le terme qui vous caractérise le mieux ?

Je suis un  » bordélique structuré « . Ayant toujours la tête débordante d’idées, je me dois de les canaliser. Je suis aussi nostalgique. Non seulement du passé mais plutôt des attitudes. Aujourd’hui, les gens sont moins maniérés, ils se laissent facilement aller. Tout se consomme si vite, qu’on ne prend même plus le temps d’admirer quelque chose de beau.

Précisément, que signifie le beau pour vous ?

C’est ce qui m’intrigue, ce qui me pousse à me poser une question. Il en va ainsi du travail des artistes qui me touchent comme par exemple les toiles torturées de Bacon. La beauté, c’est aussi ma famille et mes amis. Ils sont mon plus grand luxe.

En quoi votre vie métissée vous influence-t-elle ?

On porte tous l’enfance en nous. Plus je vieillis, plus cette enfance s’évanouit. Alors, je me glisse dans la brume pour capturer un bruit, une odeur, une image. Ces allers-retours constituent une énorme richesse, tant sur le plan personnel que créatif. Pour moi, chaque collection correspond au chapitre d’un livre qui ne finira jamais et que j’essaie sans cesse d’améliorer.

Selon vous, quel est le rôle de la mode ?

C’est de faire rêver en montrant de belles choses. Face aux infos déprimantes, une jolie robe peut faire contrepoids à la laideur. On peut être stimulé et emporté par la beauté. Une expo, un film, une chanson ou un livre ont ce même pouvoir. Quoi qu’on en dise, la mode procure aussi du travail à beaucoup de gens. Parfois, elle peut servir de vecteur à un message politique. Et puis, elle définit une certaine période. Je suis ravi du retour de la femme élégante chez les jeunes créateurs, comme pour Olivier Theyskens par exemple, car ce relais nous fait croire à la beauté.

Comment percevez-vous la mode belge dont vous faites malgré tout partie ?

Les créateurs sont tellement différents que j’avoue avoir du mal à la généraliser. En ce qui me concerne, le fait d’être en vogue me terrifie d’autant plus que la roue tourne rapidement. Seul le talent prouve qu’on peut continuer à intriguer (à l’instar d’Ann Demeulemeester), mais vu que nous exerçons le même métier, il y a une vraie solidarité entre les Belges. Ne sommes-nous pas tous finalement sur un bateau qui risque de couler un jour ? Partageant nos affinités et nos anxiétés, nous nous respectons énormément.

Qu’avez-vous gardé de votre formation à l’Académie de mode d’Anvers ?

Autant il est impossible de parler d’une mode belge, autant on peut vraiment évoquer une école belge. Celle-ci m’a appris la rigueur et la discrétion. Même si je suis moins ancré dans le  » Belgian dark « , je suis très attaché à la sobriété. Personnellement je suis content d’avoir été formé dans une école qui est centrée sur le vêtement.

Que regardez-vous en premier chez une femme ?

La nuque et les mains. Celles-ci disent tant de choses sur sa vie, son élégance, sa noblesse ou ses souffrances.

Qu’avez-vous éprouvé la première fois que vous avez vu une femme porter l’une de vos créations ?

Je l’ai suivie pendant trois quarts d’heure dans la rue ! Elle a vraiment dû se demander ce que cet Arabe moustachu lui voulait ( rires). Moi, ça m’intéresse de voir comment une femme combine mes vêtements. J’avoue que j’éprouve à chaque fois une certaine fierté. Mais étant très autocritique, je me remets tout de suite en question.

Qu’aimeriez-vous exprimer à travers cet art de la mode ?

La mode n’est pas un art. Personnellement, je sais que je suis à la recherche de quelque chose, mais j’ignore quoi. Disons que je raconte juste ma petite histoire, en espérant qu’on me suivra. Pourquoi ai-je choisi ce métier plutôt qu’un autre ? Peut-être pour trouver une certaine beauté et une certaine élégance. J’aime exprimer une attitude, un geste, une discrétion. Quand je vois une femme en trench-coat, assise à un bar, je n’ai pas besoin de mots. Je suis envoûté par son allure, ses vêtements et son regard. Les non-dits me parlent énormément, c’est à partir de là que je compose une histoire.

Quelle est la phase de création que vous préférez ?

C’est le rêve… Quand je suis seul dans la rue, à 4 heures du matin, et que j’imagine la collection idéale. Je suis alors transporté. Mais j’aime aussi le moment du défilé. Comme j’ai envie de faire rêver les gens, je suis très impliqué dans le choix de la musique, de la lumière et du lieu. Cette recherche me permet de capter une atmosphère afin de raconter mon histoire. Lorsque je vois mon équipe, les larmes aux yeux, je me sens heureux. Car il m’est impossible de réaliser tout cela sans eux. C’est aussi la preuve que je dois poursuivre sur cette voie.

Pourquoi avez-vous peur de la couleur ?

Parce que je préfère la discrétion. Aussi, je n’utilise jamais d’imprimés. Ils sont trop présents. Ils diffusent un message trop clair. Même si j’admire les coloris flamboyants quand je suis en Inde par exemple, j’aime surtout le sombre et les ombres. Je suis indiscutablement attiré par une  » mélancolie abîmée « . Pour moi, le gris, plus discret, incarne l’aspect vieilli, la brume ou l’intemporalité. Ceci explique que cette tonalité soit présente dans chacune de mes collections. Une femme en rose gris se voit moins et se révèle donc plus mystérieuse. Charlotte Rampling personnifie à mes yeux LA femme énigmatique. Je déplore aujourd’hui l’absence de mystère. Le déballage du corps et de la vie privée n’offre aucune élégance. On a perdu tout respect.

Qu’en est-il des contrastes (doux/dur, travaillé/brut) et des oppositions (masculin/féminin) qui sont typiques dans vos créations ?

C’est vrai que je suis fasciné par la richesse des nuances. Unir le côté écorché et  » sexe  » du cuir à la douceur de la mousseline permet, selon moi, d’équilibrer les choses. A la beauté absolue, je préfère la femme cicatrisée. La faille humaine m’intrigue car nous sommes tous façonnés de facettes lisses et brutes. Moi, j’ai toujours été captivé par des silhouettes androgynes à l’image de Françoise Hardy. Une femme en pantalon et pull en V cachemire offre une vision des plus féminine.

Qu’est-ce qui distingue chez vous une silhouette hivernale et estivale ?

En hiver, tout est plus lourd, pesant et sombre, même si cette saison est pourtant plus romantique… Rien n’équivaut à l’image d’une femme marchant le long des quais ! Enveloppée dans une grande écharpe, elle se blottit contre le vent et la grisaille. L’été, en revanche, elle se dévoile plus, mais pas trop. J’aime qu’une femme laisse toujours un voile devant elle.

Vous qui avez sillonné la planète, où aimeriez-vous nous emmener avec votre collection printemps/été 2006 ?

Sous-entendre que mes défilés vous transportent dans un autre univers est le plus beau des compliments ! Car mon souhait le plus cher est de vous immerger dans une histoire. Composée d’observations, de rêves et de constructions d’idées, l’atmosphère qui naît dans ma tête est pourtant difficile à décrire… En réalité, le point de départ de cette ligne est mon déménagement à Paris. Même si j’adore Anvers – dont je connais les moindres recoins -, je voulais changer d’air. Bien que je sois français, je n’avais bizarrement jamais vécu en France. Aujourd’hui, je suis curieux de découvrir cette part inconnue de moi-même.

N’est-ce pas votre côté nomade qui reprend le dessus ?

J’ai tellement voyagé dans mon enfance que j’ai toujours ce réflexe de prendre mon sac à dos pour poursuivre mon chemin. Cette crainte de la stabilité m’inspire. Aller vers l’inconnu permet de remuer certaines choses. A Paris, je peux à nouveau m’envoler. De ce sentiment de légèreté est né, pour la première fois, une palette lumineuse : rose pâle, gris perle, blanc… Cette collection a également été inspirée par mon voyage dans le désert. Le sable, les tempêtes et les tissus qui volent au vent s’y retrouvent. Je voulais que ces tons entrent dans la peau pour devenir couleur chair. Que les silhouettes passent avant de disparaître. Que les capes en mousseline accentuent la beauté du mouvement et du mystère. Nul ne sait d’où viennent ces femmes…

Le saroual évoque la culture orientale…

J’ai toujours rêvé d’en avoir un quand j’étais gamin. Comme mes parents ont toujours refusé de m’en acheter, je prends ma revanche en imaginant cette version ultraféminine ( rire) ! C’est aussi ma façon de leur montrer que le passé m’inspire inlassablement.

Plus étonnant pour l’été : les collants. Pourquoi sont-ils omniprésents dans votre collection ?

J’avais envie d’une certaine uniformité entre toutes les filles. Tissés de façon mi-dentelle, les collants allongent la silhouette et rappellent les sculptures longilignes de Giacometti. J’utilise aussi des lacets qui évoquent un look motard que j’adore. Cet aspect rude et masculin est atténué par les coloris du cuir beige ou rose pâle et par la combinaison avec un chemisier en mousseline. Mais l’apothéose de l’envoûtement se situe dans le top, en fil de soie, de la femme araignée. Un documentaire m’a appris à quel point le tissage des araignées est d’une finesse absolue. J’ai donc opté pour une toile noire afin de la faire ressortir auprès des silhouettes pâles. Enfin, les superpositions estivales servent de couches protectrices. Au lieu de tout dénuder, je préfère insuffler le mystère.

Est-ce de là que naît la sensualité de cette collection ?

Aujourd’hui, tout est sexuel. Alors, je milite pour qu’on se contente simplement d’effleurer la femme. Ce jeu de nudité mesurée attire d’emblée l’autre. La sensualité éveille l’imagination car on désire en savoir plus…

Finalement, quelle est votre conception de la liberté ?

C’est de faire le métier que j’aime en étant entouré des gens qui me tiennent à c£ur. La liberté, c’est de respecter la solitude et l’autre. C’est aussi de pouvoir gesticuler comme je le veux et être celui que je suis, sans jugement d’autrui. A l’heure qu’il est, je ne sais toujours pas qui est Haider Ackermann, mais je crois que je n’aimerais pas vraiment le savoir…

Kerenn Elkaïm

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