Barbara Witkowska Journaliste

Le sellier parisien vient d’engager un compositeur de parfums talentueux et renoue, ainsi, avec la tradition de la grande parfumerie. Jean-Claude Ellena signe la collection Hermessence, composée de quatre fragrances aux senteurs enivrantes.

(*) La collection Hermessence sera disponible en Belgique à partir de la troisième semaine de septembre, en exclusivité à la boutique Hermès à Bruxelles.

Jadis, le parfum était rare. Il avait une âme et une personnalité. Il véhiculait l’esprit du luxe, il incitait au rêve. Toute grande maison parisienne se devait d’avoir son propre compositeur de parfums. Aujourd’hui, Chanel est la seule maison qui emploie, à demeure, son propre parfumeur, Jacques Polge. La société de consommation a, en effet, totalement bousculé les habitudes. L’explosion du marché de la parfumerie et une concurrence féroce poussent à des lancements de nouveautés à un rythme effréné, difficile à suivre. Couturiers, stylistes et marques de cosmétiques font appel à des  » nez  » au sein de grandes sociétés multinationales qui fabriquent des parfums à la chaîne. Banal objet de consommation et accessoire de mode, le parfum est voué à une vie de plus en plus éphémère. Et, n’ayons pas peur des mots, la quantité supplante de plus en plus souvent la qualité.

Dans ce contexte, l’initiative de la maison Hermès de s’adjoindre la collaboration permanente du parfumeur Jean-Claude Ellena mérite un coup de chapeau car elle signe une volonté de retour aux sources de la grande parfumerie.  » Ce choix s’inscrit naturellement dans l’histoire de notre maison, explique Véronique Gautier, président du directoire d’Hermès Parfums. Hermès est une maison de métiers, pas de mode. La collaboration avec Jean-Claude Ellena exprime pleinement notre vocation d’offrir des parfums-signature issus d’un savoir-faire unique. Jean-Claude a une patte et une signature qui reflètent parfaitement l’esprit de notre maison.  »

Doué d’une écriture olfactive très personnelle, Jean-Claude Ellena est né à Grasse, capitale des parfums, dans une famille de parfumeurs. L’école l’ennuie très vite et son père, désespéré, le place à l’âge de 16 ans dans une usine. Il nettoie les alambics et donne un coup de main pour distiller les matières premières.  » J’étais proche des ouvriers, je m’y sentais à l’aise, raconte le créateur. Rapidement, j’ai exprimé une volonté très ferme de me prendre en charge.  » Aussitôt dit, aussitôt fait. Il se marie à 18 ans, puis, avec femme et enfant, il se dirige vers Genève. Givaudan, société de fabrication de parfums, vient d’ouvrir une école de parfumerie et Jean-Claude Ellena devient son premier élève. Homme pressé, il  » boucle  » sa formation en 9 mois (au lieu de 3 ans) et réclame, chez Givaudan, un vrai travail.  » Je suis tranquille et pugnace, sourit-il. Effectivement, j’ai été nommé rapidement jeune parfumeur.  »

Très vite, un premier grand défi est relevé pour Van Cleef & Arpels. Il est de taille, car c’est la toute première fois qu’un joaillier lance un parfum. On montre au jeune parfumeur un pendentif avec un serti de diamants qui sera interprété en flacon. Sa tâche ? Inscrire le parfum dans ce bijou ! Jean-Claude Ellena s’applique, travaille à l’instinct, imagine un jus riche et complexe. Le jasmin, sa fleur fétiche, est en vedette. Il flirte, notamment, avec le bourgeon de cassis, utilisé pour la première fois dans un parfum féminin, le narcisse, le santal et la vanille.  » Un soir, le responsable de Van Cleef & Arpels m’a appelé en me demandant si la composition était définitive et si l’on pouvait y aller, se souvient Jean-Claude Ellena. J’avais 28 ans et soudain j’ai senti tout le poids du lancement. Mais, très tranquillement, j’ai dit oui.  » C’était en 1976. First s’est imposé d’emblée comme un grand classique international de la parfumerie de luxe et reste toujours un best-seller.

Deuxième success story ? L’Eau Parfumée de Bulgari.  » Théophile « , autrement dit grand amateur de thé, ce nez surdoué a imaginé dans sa tête un parfum à base de thé et y croît énormément. Lorsque le joaillier italien Bulgari lui demande de composer une Eau de Cologne naturelle, vendue exclusivement dans les boutiques, il soumet deux propositions : une Eau de Cologne et une Eau parfumée au thé. C’est la seconde qui l’emporte d’emblée et à l’unanimité. L’engouement de la clientèle est tel que l’Eau Parfumée sera obligée de se faire moins élitiste et sera donc distribuée dans toutes les parfumeries.  » Cette fragrance a marqué un tournant dans mon parcours, note Jean-Claude Ellena. Auparavant, j’étais une sorte d’éponge, j’étais réceptif à toutes les tendances du marché. First de Van Cleef & Arpels, par exemple, était un parfum très complexe, réunissant entre 160 et 180 composants. L’Eau Parfumée de Bulgari, en revanche, n’en comptait que 19. A partir de ce moment, j’ai décidé de diminuer la palette et d’utiliser des formules très courtes. Quand on simplifie, on va à l’essentiel. On crée l’illusion, plus forte que la réalité. L’illusion est un artifice parfait de la séduction. Quand il y a l’illusion, on s’approche de l’art et l’art est une forme de séduction.  »

Cette philosophie trouve son plus bel aboutissement chez Hermès, maison avec laquelle Jean-Claude Ellena se sent parfaitement en phase et où il peut exprimer pleinement sa pensée créatrice, sans tenir compte des influences du marché. Le premier  » test « , très positif, a eu lieu en 2002, avec la création d’Un Jardin en Méditerranée, une eau de toilette mixte et fraîche qui est comme une promenade olfactive parmi les figuiers, la bergamote, la fleur d’oranger, le lentisque et le laurier-rose. Pour marquer d’une pierre blanche une collaboration qui va s’inscrire dans la durée, Jean-Claude Ellena vient de composer quatre fragrances, réunies sous le nom de Collection Hermessence (*). Elles offrent plusieurs façons d’approcher une femme. Le fil conducteur ?  » Pas de prise de tête, pas de parfum intellectuel, note le parfumeur. Il ne faut pas que la femme sente le travail, mais juste du plaisir, de la curiosité et de la surprise.  » Rose Ikebana chante la rose, la rhubarbe lui donne un côté croquant et végétal ; une fragrance tout en transparence, vaporeuse, sereine et fluide. Accord classique, Vétiver Tonka, a été travaillé de façon différente, en supprimant la facette âpre de la  » terre  » et de la  » racine « . Le sillage boisé est tendre et plus doux, apaisé. La noisette apporte un côté gourmand et suave. Dans Poivre Samarcande, le poivre vert, le poivre blanc et la baie rose s’enroulent dans un halo boisé moelleux et, en même temps, nerveux et tendu. Ambre Narguilé, le plus charnu, fait appel à l’ambre gourmand, au pain d’épices, à la cannelle et au tabac blond. Un vrai envoûtement.

Barbara Witkowska

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