Alexis Dormal et sa mère Dominique Roques sont à l’origine de la bande-dessinée Pico Bogue. Une série de sketches qui content les aventures d’un enfant aussi impertinent qu’attachant, né à La Hulpe, en plein coeur du Brabant wallon.

Il était une fois une mère et un fils. Qui vivaient paisiblement à Gaillemarde, un petit hameau de La Hulpe, en Brabant wallon. Qui, jamais au grand jamais, n’auraient imaginé, un jour, écrire et dessiner une bande dessinée. Pour Dominique Roques, le quotidien s’organisait principalement autour de sa petite famille, son mari, ses deux garçons. Pour son aîné, Alexis, c’est le cinéma qui l’attirait. Mais la vie réserve parfois de bien belles surprises…

L’histoire commence véritablement lorsque le jeune homme décide de changer de voie, après avoir étudié la réalisation à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), à Louvain-la-Neuve.  » Je cherchais quelque chose de plus silencieux et intimiste, qui corresponde davantage à mon tempérament, détaille-t-il. D’où ce désir de partir à Lyon, pour apprendre le dessin. Au final, la mise en scène est aussi présente en bande dessinée. Il faut choisir un point de vue, une lumière, un personnage.  »

Pendant ce temps, sa mère se dit que c’est bien beau d’apprendre à esquisser, encore faut-il un scénario à illustrer. La voici donc qui, seule dans son coin, se met à annoter des mots, qu’elle agence bout à bout.  » Le premier jet ne lui a pas plu du tout, avoue Dominique Roques. Mais certaines pistes ont émergé. J’ai donc continué à écrire. Dans des petits carnets, je compilais le fruit de mes lectures et de mes réflexions.  »

Son diplôme en poche, le fiston décide de rentrer au bercail. Besoin de se reconstruire, envie de bosser sur un projet commun.  » Avec le recul, si je n’étais pas retourné à Gaillemarde, dans la maison familiale, jamais cette idée n’aurait pu aboutir, remarque-t-il. Je vivais coupé du monde, sans être stressé par le temps qui passe. Comme un ermite, en somme.  » Au final, plus de deux ans de travail intensif. Mère et fils penchés sur leurs papiers, des personnages qui se profilent, un principe de gags courts qui se dégage.

Pas de conflit de génération pour autant. Ces deux-là partagent le même humour, les mêmes conceptions de la vie.  » C’est une chouette rencontre. Il se trouve que l’on se connaissait depuis longtemps « , plaisante Alexis, qui n’hésite pas à lancer à sa mère un  » retourne dans ta chambre « , lorsqu’elle doit bûcher davantage sur l’un de leurs sketches. Sa chambre/atelier, justement, n’est pas des plus désagréables. A la façon d’un phare, elle offre un panorama extraordinaire sur le village et la forêt de Soignes.  » Il n’y a qu’en Belgique que l’on peut se payer d’aussi beaux ciels et paysages « , estime Dominique. Autour d’eux, un coin privilégié qui fleure bon les bois humides et les champs labourés. Un vrai bol d’air, une douceur de vivre. Des conditions idéales pour donner naissance à Pico Bogue.

EN CULOTTE COURTE

Le nom du personnage central de leur ouvrage n’a pas été choisi par hasard. Pico vient de L’Exobiographie du poète et dramaturge français René de Obaldia, dans laquelle apparaît Pico del Oro, traduisez Bec d’or. Pico, pour éloquence, donc, cette tchatche qu’a ce petit bout d’homme à la tignasse rebelle. Et Bogue ?  » En référence aux châtaignes que j’adore tant et que l’on ramassait sur les chemins près d’ici « , précise Dominique.

Pico Bogue, c’est une répartie d’adulte dans un corps de gosse, subtile confusion des âges. Un propos mature, aussi juste que désarçonnant, qui oscille entre cynisme et fraîcheur. Entouré de sa famille, le bonhomme disserte sur le sens de l’existence, la mort, le cosmos, la brutalité ou l’amour. Aucun sujet (ou presque) qui ne soit éludé, et qu’importe si Pico les maîtrise peu, c’est dans ces naïvetés d’enfant que se retrouvent souvent les plus grandes vérités. A l’instar des Calvin and Hobbes, Charly Brown ou Mafalda, ces personnages de bandes dessinées qui n’ont pas leur langue en poche et que Dominique Roques faisait lire à ses fils, le héros tente de casser les clichés, en mettant le doigt sur des lieux communs.

 » Il ne faut pas infantiliser les enfants, considère la scénariste. Ils peuvent avoir des paroles bien pesées, un vocabulaire choisi. Souvent, les adultes oublient qui ils ont été. Pour ma part, je fais partie de cette génération qui a eu une enfance très sage. Etant petite, je n’avais pas le droit de parler. Avec cette BD, je prends finalement ma revanche, en dotant Pico Bogue de cet esprit d’à-propos qui lui permet de sortir la réplique adéquate au bon moment.  »

Combinées au crayonné spontané et expressif d’Alexis Dormal, ces histoires drôles séduisent immédiatement Dargaud – cela tombe bien, le duo ne rêvait que de cette maison d’édition-là, référence à Astérix ou à des auteurs comme Manu Larcenet et Claire Bretécher. Résultat, le premier album de Pico Bogue paraît en 2008, sous le titre Légère contrariété. Suivent quatre autres tomes, tandis qu’un nouvel opus est en préparation, avec sortie prévue à l’automne prochain.

 » Au début, il régnait autour de nous une certaine incrédulité, se rappelle en souriant le tandem. Les gens avaient du mal à imaginer qu’une mère et un fils, reclus à la campagne, puissent être à l’origine d’une bande dessinée. C’était pour eux quelque chose d’abstrait, d’inatteignable. Ils nous demandaient si on la vendait dans notre garage, sans se douter une seule seconde qu’elle était disponible dans les librairies belges, mais aussi françaises, suisses et canadiennes.  »

Si les deux parents de Pico Bogue n’habitent plus à Gaillemarde depuis peu, la région continue de vivre dans quelques-uns de leurs dessins, comme la vallée qui bordait leur jardin ou l’ambiance inspirée de certains petits quartiers bourgeois.  » Une lectrice nous a un jour demandé où se passait notre récit, tellement l’endroit lui semblait paradisiaque, raconte le dessinateur. Malheureusement, il n’existe pas en tant que tel, puisqu’il rassemble les falaises normandes, les toits en zinc de Paris et quelques touches du Brabant wallon.  » Une raison de plus de se plonger dans les pages de Pico Bogue, pour goûter à ce petit coin de paradis… ?

Pico Bogue, Restons Calmes, par Alexis Dormal et Dominique Roques, Dargaud.

Des dessins de Pico Bogue seront exposés à la galerie Barbier & Mathon, à 75 009 Paris, en décembre prochain. http://barbiermathon.com

PAR CATHERINE PLEECK

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